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Le voyage arrivait à son terme ; les parois du tunnel ne s’enfuyaient plus à une vitesse aussi vertigineuse. Yarlan Zey se mit à parler, pressant et péremptoire comme jamais auparavant.

« Le passé est achevé ; nous avons accompli notre mission, pour le mieux ou le pire, et c’en est fini. Lorsque vous avez été créé, Jeserac, on vous a gratifié de cette peur du monde extérieur, de cette contrainte intime de demeurer dans la cité, que vous partagez avec tous dans Diaspar. Vous savez maintenant que cette peur était sans fondement, qu’elle vous a été artificiellement imposée. Moi, Yarlan Zey, qui vous l’ai infligée, je vous libère en cet instant de son emprise. Comprenez-vous ? »

Sur ces derniers mots, la voix de Yarlan Zey se fit de plus en plus forte, jusqu’à paraître retentir dans l’espace tout entier. Le véhicule souterrain à bord duquel Jeserac se mouvait à une si grande vitesse, vacilla et se brouilla autour de lui, comme si son rêve s’achevait. Cependant, au fur et à mesure que s’évanouissait la vision, il pouvait encore entendre cette voix tonnant dans son cerveau :

« Vous n’avez plus peur, Jeserac. Vous n’avez plus peur. » Il lutta pour reprendre conscience, comme un plongeur remonte vers la surface de la mer. Yarlan Zey avait disparu, mais il y eut un étrange intermède pendant lequel des voix que Jeserac connaissait, mais ne reconnaissait pas, lui parlèrent d’un ton encourageant, et il se sentit soutenu par des mains amies. Alors, rapide aurore, la réalité reparut.

Il ouvrit les yeux et il vit à ses côtés Alvin, Hilvar et Gérane, debout et anxieux. Mais il ne leur accorda aucune attention ; son esprit était trop rempli des merveilles qui s’étalaient maintenant devant lui — le panorama de forêts et de rivières, et le dôme bleu du ciel ouvert.

Il était en Lys ; et il n’avait pas peur.

Personne ne le dérangea, tandis que se gravait à jamais, dans son esprit, cet instant hors du temps. Enfin, lorsqu’il se fut convaincu que tout cela était vraiment la réalité, il se tourna vers ses compagnons.

« Merci, Gérane, dit-il. Je n’aurais jamais cru que vous réussiriez. »

Le psychologue, l’air très satisfait de lui-même, faisait la délicate mise au point d’un petit appareil suspendu dans l’air à ses côtés.

« Vous nous avez donné des instants d’inquiétude, admit-il. Une fois ou deux, vous vous êtes mis à poser des questions auxquelles on ne pouvait faire de réponse logique, et j’ai craint d’être forcé d’interrompre la séquence.

— Supposons que Yarlan Zey ne m’ait pas convaincu. Qu’auriez-vous fait alors ?

— Nous vous aurions gardé inconscient, puis ramené à Diaspar où vous vous seriez éveillé normalement, sans plus jamais savoir que vous aviez été en Lys.

— Et cette image de Yarlan Zey que vous avez introduite dans mon esprit… Dans ce qu’il a dit, quelle est la part de vérité ?

— La plus grande, je crois. Je tenais bien davantage à ce que ma courte saga soit convaincante, qu’historiquement exacte, mais Callitrax l’a étudiée et il n’a pu trouver aucune erreur. Elle est certainement compatible avec tout ce que nous savons de Yarlan Zey et des origines de Diaspar.

— Nous pouvons donc maintenant ouvrir véritablement la ville, déclara Alvin. Cela prendra peut-être beaucoup de temps, mais il nous sera éventuellement possible de neutraliser cette peur, afin que ceux qui le désirent puissent quitter Diaspar.

— Cela prendra sûrement beaucoup de temps, reprit sèchement Gérane. Et n’oubliez pas que Lys est à peine assez vaste pour recevoir des millions d’habitants supplémentaires, si tous vos compatriotes décidaient de venir ici. Je ne crois pas que cela se produise, mais c’est possible.

— Ce problème trouvera de lui-même sa solution, répondit Alvin. Lys est peut-être un petit pays, mais le monde est grand. Pourquoi l’abandonnerions-nous tout entier au désert ?

— Ainsi tu rêves encore, Alvin ? intervint Jeserac, souriant. J’étais en train de me demander ce que tu pouvais faire… »

Alvin ne répondit pas ; c’était là une question de plus en plus pressante pour son esprit, au cours des dernières semaines. Il demeura perdu dans ses pensées, replié sur lui-même, derrière les autres qui descendaient la colline en direction d’Airlee. Les siècles qui lui restaient à vivre ne seraient-ils qu’un long ré-enlisement ?

La réponse était entre ses mains. Il s’était acquitté de son destin ; maintenant, peut-être, il pouvait commencer de vivre.

XXVI

Il y a une mélancolie particulière dans l’accomplissement, dans le fait de savoir qu’un but longuement visé a enfin été atteint, et que la vie doit maintenant s’apprêter à de nouveaux desseins. Cette mélancolie, Alvin la connut tandis qu’il errait solitaire dans les forêts et les prairies de Lys. Même Hilvar ne l’accompagnait pas, car il arrive parfois qu’un homme ait besoin d’être à l’écart, serait-ce de ses meilleurs amis.

Il n’errait pas sans but, bien qu’il ne sût jamais quel village serait sa prochaine étape. Il ne cherchait aucun lieu en particulier, mais un état d’esprit, une influence — en fait, un mode de vie. Diaspar n’avait plus besoin de lui à présent ; les ferments qu’il y avait introduits se développaient rapidement, et il ne pouvait rien faire pour accélérer ou retarder ces changements.

Mais cette campagne paisible allait se transformer, elle aussi. Fréquemment, Alvin se demandait s’il ne s’était pas trompé dans sa quête effrénée de l’assouvissement de sa curiosité, en rouvrant l’antique voie entre les deux cultures. Cependant, il valait sûrement mieux que Lys sut qu’elle aussi, comme Diaspar, avait été en partie fondée sur des mensonges et des craintes.

Parfois, il s’interrogeait : quelle forme prendrait la nouvelle société ? Il pensait que Diaspar devrait s’évader de la prison des banques à mémoire et restaurer ainsi le cycle de la vie et de la mort. Hilvar, Alvin le savait, était convaincu que cela pouvait se faire, bien que ses suggestions fussent trop techniques pour qu’Alvin pût bien les saisir. Peut-être viendrait de nouveau le temps où l’amour ne serait plus totalement stérile, à Diaspar.

Était-ce cela, se demandait Alvin, qui lui avait toujours manqué dans Diaspar, était-ce cela qu’il avait vainement cherché ? Il savait maintenant que lorsque la puissance, l’ambition et la curiosité étaient satisfaites, restaient encore les aspirations du cœur. Nul n’a vécu vraiment, avant de réaliser cette synthèse de l’amour et du désir dont il n’avait jamais même rêvé, jusqu’à sa venue en Lys.

Sur les planètes des Sept Soleils, il avait marché, premier homme à le faire depuis un milliard d’années. Cependant, cela ne signifiait pas grand-chose pour lui à cette heure ; parfois, il pensait qu’il aurait donné toutes ses réussites pour entendre le cri d’un enfant nouveau-né, et savoir que c’était le sien.

En Lys, il trouverait peut-être, un jour, ce qu’il cherchait ; il y avait une chaleur et une compréhension chez ce peuple qui, Alvin s’en rendait maintenant compte, manquaient à Diaspar. Mais avant de se reposer, avant de trouver la paix, il avait encore une décision à prendre.

Entre ses mains était venue la puissance et cette puissance, il la possédait encore. C’était là une responsabilité qu’il avait jadis cherchée et acceptée avec empressement, mais aujourd’hui, il savait qu’il ne connaîtrait pas de paix tant qu’elle resterait sienne. La rejeter serait néanmoins trahir un espoir…