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« L’une des idées bizarres en question avait trait à l’élevage des poulets. Chacun sait que dans une basse-cour, on chaponne tous les jeunes coqs, à l’exception d’un seul : sans quoi ils se battraient.

« Mais ce fermier s’épargnait cette peine. “Qu’ils grandissent, disait-il, et qu’ils se battent. Et permettez-moi de vous le dire, voisin : c’est le plus vaillant et le plus vigoureux qui l’emportera, et c’est lui qui engendrera le plus grand nombre de rejetons pour grossir mon élevage. Qui plus est ce coq sera le plus résistant et le moins sensible aux maladies de tous – lorsque tous vos poulets seront le ventre en l’air, bon voisin, venez me voir : je me ferai un plaisir de vous vendre l’un de mes durs à cuire et vous ferai un prix. Quant aux individus éliminés, ma famille et moi nous ferons un plaisir de les manger. Il n’est pas de chapon aussi tendre qu’un coq mort à l’issue d’un combat – de même que la meilleure viande de bœuf est inférieure à celle qui provient d’un taureau mort dans l’arène, et que la meilleure venaison est celle d’un cerf poursuivi toute une journée par la meute. En outre, manger du chapon est mauvais pour la virilité des hommes.”

« Cet étrange fermier croyait aussi qu’il était de son devoir, chaque fois que l’on mettait une volaille au menu, de choisir le moins beau volatile de la basse-cour. “C’est de l’impiété, avait-il coutume de dire, que de prendre les plus belles bêtes. On doit les laisser prospérer sous l’œil du Pancréateur, qui a fait les coqs et les poules comme il a fait les hommes et les femmes.” Peut-être était-ce dû à cette manière de ressentir les choses : toujours est-il que son troupeau de volailles était tellement magnifique, que l’on n’aurait su dire, bien souvent, quelle bête était la moins belle.

« Après ce que je viens d’expliquer, on aura compris que le coq de cette basse-cour était un animal particulièrement remarquable. Il était jeune, fort et brave. Sa queue était aussi resplendissante que celle de maints faisans, et sa crête aurait été certainement tout aussi belle, si elle n’avait été mise en lambeaux au cours des terribles combats à l’issue desquels il avait acquis sa place. Son poitrail était d’un écarlate éclatant – comme celui des robes des pèlerines –, mais les oies prétendaient qu’il était blanc avant d’avoir été teinté de son propre sang. Ses ailes étaient tellement puissantes qu’il volait mieux que n’importe lequel des canards blancs, ses ergots étaient plus longs que le majeur d’une main d’homme, et son bec était aussi effilé que mon épée.

« Ce coq magnifique avait un millier d’épouses, mais sa préférée était une poule aussi splendide que lui, fille d’une noble race, et reconnue comme la reine de toutes les basses-cours à plusieurs lieues à la ronde. Il fallait les voir aller fièrement du coin de la grange jusqu’au bord de la mare des canards ! On n’aurait pu rêver plus beau spectacle, non, non pas même si l’on avait vu l’Autarque faire parader sa favorite dans le puits des Orchidées – ne serait-ce, d’après ce que j’ai entendu dire, que parce que l’Autarque n’est qu’un chapon lui-même.

« La vie n’était que gourmandise pour cet heureux couple ; ou du moins elle le fut jusqu’à cette nuit où le coq fut réveillé par un terrible vacarme. Un grand duc énorme avait en effet réussi à pénétrer dans le poulailler où tout ce petit monde se perchait pour la nuit, et semait la panique, à la recherche de son repas. Il ne trouva bien entendu rien de mieux que de s’emparer de la favorite du coq ; la prenant dans ses serres, il déploya ses vastes ailes silencieuses pour prendre son essor. Les hiboux voient admirablement bien dans l’obscurité, et celui-ci dut certainement apercevoir le coq se jetant sur lui, les plumes en bataille. Quelqu’un a-t-il jamais vu une expression de stupéfaction dans des yeux de hibou ? C’est bien pourtant ce que l’on aurait pu voir dans ceux du grand duc, cette nuit-là. Les ergots du coq bondissaient plus vite que des pieds de danseur, et son bec frappait en direction des grands yeux ronds et brillants à la vitesse de celui d’un pic-vert martelant un tronc d’arbre. Eberlué, le grand duc lâcha la poule et s’enfuit du poulailler ; jamais on ne l’y revit.

« Le coq avait certes toutes les raisons du monde d’être fier de lui, mais il devint vraiment trop fier. Ayant vaincu un grand duc dans l’obscurité, il se crut capable de vaincre n’importe quel oiseau, n’importe où. Il commença par parler de faire lâcher leurs proies aux faucons, puis de s’en prendre au tératornis, le plus grand et le plus redoutable des oiseaux capables de voler. Eût-il été entouré de conseillers pleins de sagesse, comme le lama et le cochon, que la plupart des princes choisissent pour les guider dans leurs décisions, je suis convaincu qu’ils auraient su rapidement et courtoisement mettre fin à ses extravagances. Mais, las, tel n’était pas le cas. Il n’écoutait que ses poules, toutes folles de lui, et les oies et les canards, qui, en tant que compagnons de basse-cour, avaient l’impression que quelque chose de la gloire du héros des lieux rejaillissait sur eux. Mais vint finalement le jour – comme il vient toujours pour ceux qui montrent trop de prétentions – où il alla trop loin.

« C’était au lever du soleil, l’heure la plus dangereuse pour tous ceux qui ne vont pas parfaitement bien. Le coq prit son vol, et monta, monta, comme s’il s’apprêtait à transpercer le ciel ; finalement, à l’apogée de son vol, il alla se percher sur la girouette qui couronnait le pignon de la grange – le point le plus haut de tous les bâtiments de la ferme. Alors, tandis que le soleil chassait les ombres avec ses fouets d’écarlate et d’or, il répéta à plusieurs reprises son cri d’orgueil, disant qu’il était le seigneur de la gent emplumée. Par sept fois il le chanta, et rien ne se serait passé s’il s’en était tenu là, car sept est un chiffre qui porte bonheur. Mais il ne sut pas s’arrêter. Il clama une huitième fois ses prétentions, puis revint au sol.

« À peine s’était-il posé au milieu de son peuple que se produisait, très haut dans le ciel, un merveilleux phénomène, juste au-dessus de la ferme. On aurait dit que cent rayons de soleil étaient en train de s’emmêler entre eux comme brins de laine mis en pelote par un chaton, et de s’enrouler comme pâte à gâteau qu’une femme malaxe dans son pétrin. Cette multitude de glorieuses lumières se dota de bras, de jambes, d’une tête et finalement d’une paire d’ailes, avant de descendre en planant vers la basse-cour. C’était un ange aux pennes rouges et bleues, aux rémiges d’or et d’émeraude, et bien que sa taille n’excédât pas celle du coq, ce dernier sut immédiatement, au premier coup d’œil, qu’à l’intérieur il était infiniment plus grand que lui.

« “Voici, dit l’ange, que justice t’est proposée. Tu prétends être le seigneur de la gent emplumée. Or donc regarde, je porte d’évidence des plumes. J’ai abandonné derrière moi toutes les armes puissantes des bataillons de lumière, et tous deux, nous allons combattre.”

« À ces mots, le coq déploya ses ailes et s’inclina si bas que sa crête déchiquetée vint frotter la poussière. “Jusqu’au dernier de mes jours, je serai honoré d’avoir été considéré comme digne d’un tel défi, répondit-il, un défi comme encore jamais oiseau n’en reçut. Et c’est avec le plus profond regret que je dois vous dire que je ne saurais le relever, et cela pour trois raisons. La première étant que, bien que vous ayez des plumes sur vos ailes (d’évidence, comme vous dites), ce n’est pas à vos ailes que j’entends m’attaquer, mais à votre tête et à votre poitrine. Autrement dit vous n’êtes pas une créature emplumée, dans le cadre du combat.”