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— Il n’est pas d’échec qui soit permanent, dit l’officier ascien en jetant un coup d’œil au fourgon brillant, et le succès, inévitable, peut parfois requérir de nouveaux plans et des forces plus grandes.

— Vous acceptez donc notre proposition ? » Je ne m’étais pas rendu compte que je transpirais, mais la sueur me coulait dans les yeux en les picotant. Je m’essuyai le front du revers de ma cape, de ce même geste habituel qui caractérisait maître Gurloes.

L’officier ascien acquiesça. « L’étude de la Pensée Correcte finit toujours par révéler le chemin du succès.

— En effet, dis-je. Et d’ailleurs, je l’ai étudiée. Au-delà de nos efforts, faisons en sorte de trouver d’autres efforts. »

C’est le même homme animalisé que la fois précédente qui fit son apparition à la fenêtre du fourgon lorsque je revins vers le véhicule ; il ne me sembla pas aussi hostile que la fois précédente. « Les Asciens ont accepté d’essayer une fois de plus de sortir cet engin de la boue, lui expliquai-je. Mais pour cela, il va falloir le décharger.

— Impossible.

— Si nous ne le faisons pas, l’or sera perdu de toute façon au coucher du soleil. Je ne vous demande pas de le restituer, mais simplement de le sortir et de monter la garde autour. Vous aurez vos armes, et si un seul être humain armé s’approche de vous, vous pourrez l’abattre. En plus je serai avec vous, désarmé. Vous pourrez aussi me tuer. »

La discussion se prolongea encore un bon moment, mais ils finirent par accepter. Je fis déposer les armes aux blessés qui surveillaient jusqu’ici les Asciens, pour qu’ils puissent atteler quatre paires de nos destriers au fourgon, tandis que j’indiquais aux Asciens où se placer pour pousser efficacement aux roues. Puis la porte latérale du véhicule s’ouvrit, et les hommes-bêtes sortirent un certain nombre de petits coffres métalliques ; deux d’entre eux travaillaient, tandis qu’un troisième, celui avec qui j’avais négocié, montait la garde. Ils étaient plus grands que ce à quoi je m’attendais, et étaient armés de fusils et de pistolets passés dans leur ceinturon. C’étaient les premiers pistolets que je voyais, depuis que les hiérodules avaient sorti les leurs lors de la charge de Baldanders, dans les jardins du Manoir Absolu.

Une fois que tous les coffres furent sortis (les trois hommes animalisés, prêts à faire feu, montant la garde autour), je lançai un ordre bref. Les soudards blessés fouettèrent les destriers attelés, et les Asciens poussèrent de toutes leurs forces, jusqu’à ce que les yeux leur sortent de la tête… et j’étais sur le point de penser que jamais nous n’y arriverions, lorsque le fourgon d’acier s’arracha à la boue avant même que les blessés ne réussissent à arrêter leurs bêtes. Guasacht faillit bien nous faire tuer tous deux en arrivant de nos positions en courant, agitant mon contus au-dessus de sa tête ; mais les hommes animalisés firent preuve de bon sens et comprirent qu’il était simplement excité.

Il le fut encore plus en voyant les hommes-bêtes de l’Autarque recharger immédiatement le fourgon, et quand il sut quelles promesses j’avais faites aux Asciens. Je dus lui rappeler qu’il m’avait donné tout pouvoir pour négocier à sa place.

« Lorsque j’agis, cracha-t-il, c’est avec l’idée de gagner. »

Je lui avouai manquer d’expérience militaire, mais lui fis remarquer que, dans certaines circonstances, gagner consistait en premier lieu à se dégager du mauvais pas dans lequel on se trouvait pris.

« Il n’empêche, j’avais espéré que tu trouverais quelque chose de mieux. »

Montant inexorablement alors même que nous ne prêtions aucune attention à leur mouvement, les sommets des montagnes occidentales griffaient déjà le bas du disque solaire ; je le lui montrai.

Soudain, Guasacht eut un sourire. « Après tout, ce sont les mêmes Asciens auxquels nous l’avions déjà pris… »

Il fit venir l’officier ennemi et lui indiqua que notre cavalerie conduirait l’attaque, tandis que ses hommes devraient suivre le fourgon d’acier à pied. Sur le moment, l’Ascien parut d’accord, mais une fois que ses soldats furent à nouveau en armes, il insista pour en installer une demi-douzaine sur le toit du véhicule, et pour conduire lui-même l’attaque avec les autres. Guasacht accepta avec une apparente mauvaise grâce qui me sembla de la plus parfaite hypocrisie. Par contre, chacun des destriers attelés retrouva son cavalier en armes, et je vis Guasacht parler d’un air sérieux avec celui qui faisait office de cornette.

J’avais promis à l’Ascien que nous briserions l’étau des déserteurs au nord, mais le terrain, dans cette direction, était peu propice au passage d’un véhicule, si bien qu’il fallut s’entendre à nouveau : l’accord se fit sur un itinéraire prenant par le nord-nord-ouest. L’infanterie ascienne s’élança au pas de gymnastique, en maintenant un feu soutenu. Le fourgon suivit. Les minces éclairs rectilignes de nos contus firent des ravages parmi la foule en guenilles qui tenta de se refermer sur lui ; les jets d’énergie violets des arquebuses que les Asciens utilisaient depuis le toit du fourgon les arrosèrent. Quant aux hommes-bêtes, qui faisaient feu à travers les barreaux des fenêtres, la précision de leur tir était telle qu’une seule rafale faisait plusieurs morts.

Le reste de nos troupes, parmi lesquelles je me trouvais, fermait la marche après avoir tenu le périmètre jusqu’à ce que le fourgon l’eût quitté. Pour économiser les précieuses charges des contus, nombreux furent ceux à mettre l’arme à l’arçon et à tirer l’épée, pour se frayer un chemin au milieu des restes épars de la horde des maraudeurs.

Le cordon fut franchi : devant nous, la route était libre. Aussitôt, les soudards qui étaient sur les destriers attelés leur enfoncèrent les éperons dans le ventre, et Guasacht et Erblon, aidés de trois ou quatre hommes qui chevauchaient derrière le fourgon, balayèrent d’une seule décharge les Asciens juchés sur le toit de la voiture blindée, dans des flammes cramoisies suivies d’une âcre fumée. Ceux qui étaient à pied se dispersèrent immédiatement, et se retournèrent pour faire feu.

Je ne me sentais pas le cœur de participer à ce combat. Je tirai sur les rênes, et c’est ainsi que je pus contempler – vraisemblablement avant tous les autres – la première anpiel qui – comme l’ange dans la fable de Méliton – fondit d’entre les nuages qu’ensanglantait le soleil. Elles étaient superbes à voir, dans la nudité de leur corps féminin juvénile aux formes élancées ; mais leurs ailes aux couleurs de l’arc-en-ciel avaient une envergure supérieure à celle du tératornis, et chacune de leurs mains tenait un pistolet à énergie.

Tard dans la nuit, nous étions de retour au camp. Une fois les blessés soignés, je demandai à Guasacht s’il s’y prendrait encore de la même manière dans des circonstances identiques.

Il réfléchit un certain temps. « Je n’avais aucun moyen de savoir que ces filles volantes interviendraient. Maintenant que j’y pense tranquillement, cela paraît bien naturel : il devait y avoir assez d’argent dans ce fourgon pour payer la moitié de l’armée, et il était normal que l’on envoyât des troupes d’élite pour le protéger. Mais aurais-tu été capable de le prévoir avant leur arrivée ? »

Je secouai la tête.

« Écoute bien, Sévérian. Je ne devrais pas te dire tout cela ; mais tu as fait ce que tu as pu, et tu es bien le meilleur toubib que j’aie jamais vu. De toute façon, les choses ont fini par bien tourner pour nous, n’est-ce pas ? As-tu remarqué comment leur séraphine s’est montrée amicale ? Mais après tout, qu’a-t-elle vu ? Une bande de courageux gaillards tentant de reprendre le fourgon aux Asciens. Je crois que nous devrions être cités à l’ordre de l’armée. Et peut-être même avoir une récompense.