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— Vous dites que je vais apprendre qu’il n’en va pas ainsi. Cela signifie-t-il que vous n’avez pas l’intention de me faire exécuter ? » Dans mon cou, le sang battait plus fort, tandis que la tache écarlate s’agrandissait sur ma cuisse.

« Parce que vous êtes maintenant au fait de mon secret ? Non. Nous avons d’autres emplois pour vous. Je vous en ai parlé lorsque nous étions dans la pièce derrière le tableau.

— Parce que j’avais prêté serment à Vodalus. »

À cette réplique, son amusement prit le dessus. Rejetant la tête en arrière il se mit à rire, comme quelque gros poupon qui viendrait juste de découvrir les secrets d’un jouet compliqué. Lorsque son rire se mua en simples bruits de gorge joyeux, il se mit à frapper des mains. En dépit de leur apparence délicate, elles étaient étonnamment bruyantes.

Deux créatures ayant des corps de femme et des têtes de chatte entrèrent alors. Leurs yeux étaient bien à une paume l’un de l’autre, et gros comme des prunes ; elles avançaient sur le bout des pieds comme le font parfois les danseuses, mais avec infiniment plus de grâce que toutes les danseuses que j’aie jamais vues ; il y avait quelque chose dans leur démarche qui me disait que c’était leur manière naturelle de se déplacer. J’ai dit qu’elles avaient un corps de femme, mais ce n’était pas entièrement vrai, car je vis dépasser la pointe de griffes rétractées dans les doigts courts et délicats qui m’habillaient. Émerveillé, je saisis l’une de ces mains et la pressai comme on peut le faire avec un chat bien apprivoisé : les griffes en jaillirent. Les larmes me vinrent aux yeux en les voyant, car elles avaient la même forme que cette griffe qui est la Griffe, qui fut autrefois cachée dans la gemme que, dans mon ignorance, j’appelais la Griffe du Conciliateur. L’Autarque me vit pleurer et ordonna aux femmes-chattes qu’elles m’étendent de nouveau car elles me faisaient mal. Je me sentais comme un enfant qui vient d’apprendre qu’il ne reverra plus jamais sa mère.

« Nous ne lui faisons aucun mal, Légion », protesta l’une d’elles, d’une voix dont le timbre était entièrement nouveau pour moi.

« Recouchez-le, je vous dis !

— Elles ne m’ont même pas égratigné, Sieur. »

Soutenu par les femmes-chattes, je fus capable de marcher. C’était le matin, ce moment où toutes les ombres fuient la première apparition du soleil. Les rayons qui m’avaient éveillé étaient les tout premiers du nouveau jour. La fraîcheur de l’air emplissait mes poumons, et la rosée qui recouvrait l’herbe grossière sur laquelle nous avancions noircissait mes vieilles bottes couvertes d’éraflures ; une brise presque aussi légère que les étoiles étaient imperceptibles vint jouer dans mes cheveux.

Le pavillon de l’Autarque se dressait au sommet d’une colline. Tout autour s’étendait le bivouac principal de son armée – des tentes noir et gris, d’autres de la couleur des feuilles mortes, des huttes de terre et des trous conduisant dans des abris souterrains, d’où des soldats sortaient maintenant comme autant de fourmis d’argent.

« Nous devons prendre nos précautions, me dit l’Autarque, car bien que nous nous trouvions ici à une certaine distance du front, un endroit moins vallonné serait une invitation à l’attaque par le ciel.

— Je me suis toujours demandé pourquoi le Manoir Absolu se trouvait en dessous de ses propres jardins, Sieur.

— La raison en a disparu depuis longtemps, mais il y eut une époque où ils ont mis Nessus à sac. »

En dessous de nous, le son venant de toutes les directions, retentirent les trompettes à l’embouchure d’argent.

« N’y a-t-il eu qu’une nuit de passée, demandai-je, ou bien ai-je aussi dormi toute une journée ?

— Non, seulement une nuit. Je vous ai fait prendre des médicaments pour soulager la douleur et prévenir l’infection. Je n’avais pas l’intention de vous réveiller ce matin, mais j’ai vu que vous l’étiez quand je suis venu vous visiter… de toute façon, nous n’avons plus guère le temps. »

Je ne voyais pas très bien ce qu’il voulait dire par là. Avant que j’aie pu le lui demander, j’aperçus six hommes presque nus occupés à haler un câble. Je crus tout d’abord qu’ils étaient en train d’amener au sol un énorme ballon, mais je reconnus bientôt un atmoptère, et la vue de sa coque noire ramena en moi un flot de souvenirs liés à la cour de l’Autarque.

« Je m’attendais plutôt… quel est son nom, déjà ?… à voir Mamillian.

— Non, pas d’animal familier, aujourd’hui, Mamillian est un excellent compagnon, silencieux, sage et capable de combattre avec un esprit indépendant du mien, mais en réalité, c’est pour le plaisir que je l’utilise. En ce jour, nous allons prendre une corde à l’arc des Asciens, et employer un mécanisme. Ils nous en ont beaucoup dérobé eux-mêmes.

— Est-il vrai qu’ils consomment beaucoup d’énergie pour atterrir ? Il me semble que l’un de vos aéronautes m’a dit cela, autrefois.

— Quand vous étiez la châtelaine Thècle, vous voulez dire. Uniquement elle.

— Oui, bien sûr. Serait-il maladroit de ma part, Autarque, de vous demander pourquoi vous m’avez fait tuer ? Et comment il se fait que vous me reconnaissez maintenant ?

— Je vous ai reconnue lorsque j’ai vu votre visage dans le visage de mon jeune ami, et que j’ai entendu votre voix dans la sienne. Vos servantes aussi vous ont reconnue. Regardez-les donc. ».

Je me retournai, et vis les femmes-chattes, le visage marqué d’un rictus où on lisait la peur et l’émerveillement.

« Quant à la raison de votre mort… j’en parlerai, je lui en parlerai, à bord de l’atmoptère, si nous en avons le temps. Disparaissez, maintenant. Il vous est facile de vous manifester en ce moment parce qu’il est faible et malade, mais c’est lui qu’il me faut, et non vous. Si vous ne voulez pas nous laisser, il y a des moyens… »

« Sieur…

— Oui, Sévérian ? Auriez-vous peur ? N’êtes-vous jamais monté dans un engin semblable auparavant ?

— Non, jamais. Mais je n’ai pas peur.

— Vous rappelez-vous votre question à propos de leur source d’énergie ? Elle est vraie, en un certain sens. La force qui les soulève a son origine dans de l’antimatière de fer, isolée grâce à de puissants champs magnétiques. Étant donné que l’antifer a une structure magnétique inversée, il est repoussé par le promagnétisme terrestre. Les constructeurs de cette machine l’ont entourée d’aimants, si bien que lorsque la charge d’anti-fer quitte sa position d’équilibre au centre, elle pénètre dans le champ magnétique et se trouve repoussée. Sur un monde fait d’antimatière, ce fer pèserait autant que de la roche, mais ici, sur Teur, il s’équilibre avec le poids de la matière utilisée pour construire l’appareil. Me comprenez-vous ?

— Il me semble, Sieur.

— Le problème est que notre technologie n’est pas en mesure d’arriver à fermer hermétiquement la chambre de confinement de l’antifer. Un peu de notre atmosphère – à peine quelques molécules – arrive à franchir les porosités des soudures, ou à passer par les isolants du câblage magnétique. Chacune de ces molécules neutralise son équivalent d’antifer en dégageant de la chaleur ; à chaque fois que ce phénomène se produit, l’atmoptère perd une partie infinitésimale de sa portance. La seule solution que l’on ait trouvée consiste à maintenir les atmoptères aussi hauts que possible, à une altitude où la pression de l’air est réduite à presque rien. »

L’atmoptère piquait maintenant du nez vers le sol et, à cette distance, je pouvais en apprécier la forme, mince et élancée, rappelant tout à fait celle d’une feuille de cerisier.