Alain Bresson
La cité marchande
Introduction
Ce livre rassemble douze essais sur le commerce et l'échange en Grèce ancienne. Six sont inédits. Six autres ont déjà fait l’objet d'une première publication et dans ce cas la date en est précisée en sous-titre. Les articles que nous avons publiés sur des sujets touchant à l’histoire monétaire ne sont pas repris. Il en va de même de l'essai consacré à la notion d'emporion, qui garde sa place auprès des textes avec lesquels il a été publié[1].
Après l’ouvrage collectif L'emporion publié avec Pierre Rouillard, le présent volume affronte en effet cette fois plus largement la question de l’échange, qui a joué un rôle central dans la réflexion sur les structures économiques de la Grèce ancienne. Ce livre n'aborde donc pas. ou de manière marginale, d’autres problèmes clés comme la terre comme facteur de production, la monnaie, l’importance de la production artisanale ou la ville antique comme “ville de consommation”. Ces questions sont renvoyées à une éventuelle phase ultérieure de notre recherche.
Pour ouvrir de nouvelles voies en histoire économique de l'antiquité, il faut inventer de nouveaux concepts mais aussi revenir aux sources, pour faire sauter les verrous qui bloquent la réflexion. Max Weber avait déjà fortement incité à dégager la spécificité de chaque société avant d’élaborer des modèles généraux : “Ce n’est qu’en soulevant des problèmes concrets que des sciences ont été fondées et que leur méthode continue à être développée. Jamais encore des considérations purement épistémologiques ou méthodologiques n’y ont joué un rôle décisif”[2]. Telle est exactement la démarche suivie ici. Sur des questions centrales comme la structuration des échanges internationaux, la formation des prix ou les structures de marché, on proposera ici des solutions nouvelles à de vieux problèmes ou à de vieilles énigmes, mais toujours en se fondant sur un examen détaillé des sources anciennes.
Les études rassemblées dans ce volume ont donc d’abord pour but d’établir des données factuelles sur des bases renouvelées. Il en est ainsi en particulier pour les deux premiers chapitres de l’ouvrage, qui sont consacrés à l' emporion de Naucratis en Égypte. Le chapitre I analyse en termes juridiques le statut de Naucratis, le chapitre II faisant un bilan de la recherche des deux dernières décennies et offrant de nouvelles réflexions sur l'interaction entre guerre et commerce au ve s. et sur la notion d'emporion. Dans la continuité des rapports entre la Grèce et l’outre-Méditerranée, le chapitre III propose de nouvelles analyses sur la fameuse coupe d'Arcésilas, du vie s. a.C. Le chapitre IV fait faire un grand bond dans le temps pour présenter l’activité de familles de commerçants en grain en mer Égée au iiie s. a.C. Le chapitre V, qui traite de l’évolution des cités de Lesbos, est issu d’un séminaire de réflexion à l’Université Michel-de-Montaigne (Bordeaux III) : nous lui avons volontairement laissé ce caractère généraliste, en adjoignant seulement une bibliographie des principaux travaux récents traitant de l’île de Lesbos. Les chapitres VI et VII traitent sous deux angles différents des formes juridiques du commerce international. Utilisant tous les deux des sources athéniennes, les chapitres VIII et IX abordent la question des prix, prix de détail pour le premier, prix de gros pour le second. Dans ces deux essais écrits en parallèle, la démarche est la même : le point de départ est l'analyse d'un document, l’inscription agoranomique du Pirée du Ier s. a.C. pour le chapitre VIII, la notion de “prix officiel’’(kathestèkuia timè) pour le chapitre IX ; ensuite la réflexion s’élargit sur la portée de ces documents et des documents analogues pour la formation des prix en Grèce ancienne. Le chapitre X traite de ce qui est apparemment un point de détail : utilisait-on ou non des monnaies comme instrument de pesée en Grèce ancienne ? Pour donner une réponse à cette question, on doit auparavant lever un certain nombre d'a priori méthodologiques qu'il faut bien qualifier de “primitivistes”.
La dernière partie de l’ouvrage a en outre pour but d’amorcer une nouvelle réflexion sur l'économie de la Grèce des cités sous l’angle de l’échange. Ce travail de conceptualisation est abordé au chapitre XI et surtout au chapitre XII. Rédigé dans une perspective différente, moins technique, mais utilisant de manière systématique les données élaborées dans les chapitres précédents, ce dernier chapitre se présente comme la conclusion de l’ouvrage et la synthèse des positions défendues dans ce livre. Au reste, on ne prétendra nullement ici atteindre des solutions définitives, mais du moins apporter une contribution à la recherche de voies nouvelles pour l’interprétation de l’économie de la Grèce ancienne. Ce travail devra être développé et poursuivi ultérieurement.
Pour les études déjà publiées, c’est en règle générale le texte original des articles qui a été reproduit ici, mais mis aux normes de la collection. Les additions ou corrections, sauf sur quelques points mineurs, sont explicitement signalées entre crochets droits. Pour le chapitre VII, quelques modifications ont été apportées au texte initial, principalement pour ie calcul du volume des exportations de Cyrène, en fonction des éléments nouveaux apportés par la nouvelle loi attique sur le blé récemment publiée (Stroud 1998).
C’est enfin un agréable devoir de remercier ici tous ceux qui nous ont aidé dans la rédaction de ce livre, qu’il s’agisse des six chapitres déjà publiés ou des chapitres encore inédits. Pour le chapitre I, nous sommes particulièrement redevables aux remarques de Jacques Menaut, ainsi qu’à celles de Christine Giesecke, Pierre Debord, Raymond Descat (Bordeaux), Pierre Rouillard (Paris), Pierre Lévêque (Besançon) et Michael H. Jameson (Stanford), qui nous avait communiqué avant publication le texte et la nouvelle datation de l’inscription de Carpathos IG, I3, 1454 ; pour le chapitre II, à Lidia Domaradzka et au regretté Mieczyslaw Domaradzki, trop tôt disparu, qui nous avaient généreusement accueilli sur le site de l'emporion proche de Vetren (Bulgarie) ; pour le chapitre III à Marie-Christine Villanueva-Puig (Paris) pour plusieurs références, à Dirk van Der Plas (Utrecht) pour ses conseils sur les “choses égyptiennes”, et non moins à Catherine Dobias-Lalou (Dijon) pour de précieux commentaires sur les inscriptions de la coupe d’Arcésilas ; pour le chapitre V à Patrice Brun (Tours), Pierre Debord et Raymond Descat, avec qui les thèses de cette petite étude avaient été largement discutées ; pour le chapitre VII à Christophe Pébarthe (Bordeaux) pour la question du rôle de l’écrit dans le commerce, et Vincent Gabrielsen (Copenhague) pour des compléments sur le rôle de l'écrit dans les comptabilités de la flotte de guerre ; pour le chapitre VIII, à Christophe Pébarthe qui a attiré notre attention sur l'inscription agoranomique du Pirée, à Marie-Claire Ferriès (Grenoble), Alexandre Marcinkowski (Paris), Jocelyne Nelis-Clément (Bordeaux), Damien Nelis (Dublin) pour plusieurs références, à M. l'Éphore Georges Steinhauer (Athènes) pour son accueil cl son aide amicale au Musée du Pirée, et non moins aux précieux conseils de Simone Follet (Paris), qui a accepté d'en relire le manuscrit, d’en compléter la bibliographie et de nous faire profiter de sa connaissance des choses athéniennes ; pour le chapitre X, à Marie-Christine Marcellesi (Paris), qui nous avait fait parvenir son manuscrit sur le même sujet avant publication, à Richard Ashton (Londres) pour la discussion de plusieurs questions de numismatique rhodienne. et à Véronique Chankowski (Athènes) pour ses remarques touchant aux questions déliennes ; enfin pour le chapitre XII à Christophe Pébarthe, pour ses suggestions et ses encouragements à publier une réflexion jusque là menée seulement dans le cercle des oikeioi, et qui sans lui n’aurait peut-être jamais vu le jour. Pour divers autres points, nous sommes particulièrement redevables à Gary Reger (Hartford), et en outre à Joan R. Mertens (New York). Jurgen Deininger (Hambourg), Marie-Thérèse Le Dinahet (Lyon), Christian Settipani (Paris). Laurent Capdetrey et Delphine Roumillac (Bordeaux).
2
Max Weber (1906, in Weber [1965], 217), cité par Hinnerk Bruhns (1996, 1259 et 1998, 58), à qui nous empruntons cette traduction.