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Il comprit qu’il pleurait en sentant une main légère essuyer ses larmes et rouvrit les yeux pensant voir l’infirmière auprès de lui, mais il s’agissait d’Adalbert et il grogna :

— Drôle de spectacle que je t’offre.

— Bah ! Ce n’est pas si affligeant ! Tu es rasé, propre comme un sou neuf !

— Et je pleure comme un gamin…

— Ne te gêne pas pour moi ! C’est plutôt rassurant !

— Ah, tu trouves ?

— Bien sûr ! Ça prouve seulement que tout fonctionne normalement là-dedans, fit Adalbert en posant un doigt léger sur le pansement qui enveloppait la tête de son ami. Ce n’était pas évident au départ ! D’après ton chirurgien – qui entre parenthèses est un maître ! –, ta chance a l’air de tenir bon.

— Ma chance ? Avec ma vie en miettes, une femme qui me méprise autant qu’elle me déteste… et qui peut-être m’a déjà remplacé ? Et par un homme qui vient d’essayer de me tuer ?

Comprenant que le temps des plaisanteries réconfortantes n’était plus au programme, Adalbert attira une chaise pour être plus près du lit et s’assit :

— Je ne pensais pas en venir aux explications si vite mais je devrais te connaître mieux. Qu’as-tu vu en sortant du château ?

— Un homme a appelé ma femme et elle a couru à sa rencontre. Ils sont partis après s’être embrassés et moi je n’ai plus rien vu du tout…

— J’étais derrière toi et j’en ai vu à peu près autant…

— Sais-tu d’où est parti le coup de feu ?

— Pas de la voiture, bien sûr, mais ça en était proche.

— D’où tu conclus ?

— Rien encore mais je me suis donné à tâche de retrouver le tireur. J’aimerais d’ailleurs savoir comment l’homme à la voiture…

— Je crois qu’on peut, sans risque de se tromper, l’appeler Gaspard Grindel !

— L’amoureux obstiné qui gère la banque de ton beau-père à Paris ? Ce serait assez logique si l’on part du principe que c’est lui qui a dû être chargé de réunir l’argent et peut-être de l’apporter mais, ce qui me paraît plus difficile, c’est de se lancer sur la trace des ravisseurs de Lisa… plus dangereux aussi ! Et pourquoi pas en embarquant le tireur avec lui ? Et le tout sans se faire repérer ? Il faudrait être non seulement rusé mais aussi un as du volant possédant des yeux de chat…

— Pour ce qui est du volant, il l’est ! C’est sa passion : il court les Vingt-Quatre Heures du Mans chaque année. Il a même gagné une fois !

— Et Lisa t’a préféré ce héros ?…

L’entrée de l’infirmière en chef interrompit le dialogue :

— Je vous avais accordé dix minutes ! Et à condition de ne pas le fatiguer ! rappela-t-elle sévèrement.

— Ça ne doit pas faire beaucoup plus… et je m’en vais ! Quant à l’avoir fatigué, je crois lui avoir surtout changé les idées…

— En tout cas, priez les dames de la famille de bien vouloir attendre à demain…

— Oh non ! gémit Aldo.

— Oh si ! Déjà je n’aurais pas dû permettre à votre ami d’entrer mais comme il campe pratiquement dans la salle d’attente, il m’a fait pitié !

— Inspirer la pitié, lui ? C’est bien la première fois que ça lui arrive !

— Il y a un commencement à tout ! lança l’intéressé du seuil de la chambre. Mais soyons raisonnables ! À demain… et merci encore, madame !

En rentrant à l’hôtel, Adalbert se hâta de délivrer sa bonne nouvelle : Aldo avait refait surface et, cette fois, c’était pour de bon : le docteur Lhermitte en répondait.

— Dès demain vous pourrez le voir tout à votre aise !… Mais où est Marie-Angéline ?

— Où voulez-vous qu’elle soit ? À la cathédrale bien évidemment. Sa splendeur lui est apparue comme seule digne de recevoir ses prières. En outre, elle désire faire la connaissance de saint Gatien qui en est le protecteur. Au cas où il aurait une spécialité intéressante !

Adalbert ne put s’empêcher de rire :

— Elle ne laisse rien passer ! Aucune nouvelle de Venise ? Lisa n’est toujours pas rentrée ?

Le visage de Mme de Sommières se rembrunit :

— Non. En revanche on sait où elle est !

— À Vienne sans doute ? Auprès des enfants ?

— Non, à Zurich ! Guy Buteau m’a dit au téléphone qu’elle y était arrivée avant-hier juste à temps pour se faire hospitaliser…

— Mon Dieu ! Elle a eu un accident ?

— Oui… et inattendu : elle était enceinte de plus de cinq mois ! Elle est tombée et elle a perdu l’enfant. Et je ne vous cache pas – surtout si Aldo n’est plus en danger – que j’ai l’intention de m’y rendre. Je ne m’attarderai pas puisque Aldo doit passer sa convalescence chez moi mais cela me permettra peut-être de remettre les pendules à l’heure.

— Il est certain que, dans sa clinique, elle aura du mal à vous échapper !

— Adalbert ! s’indigna la marquise. Comment pouvez-vous être à ce point dépourvu de compassion ? Perdre un enfant, même à l’état d’ébauche, est un véritable drame pour une femme ! Particulièrement pour elle, car de plus maternelle je n’en connais pas ! J’espère seulement ramener un peu de paix dans ce couple qui est en train de se déchirer. En souhaitant qu’il ne soit pas trop tard ! Nous rentrons à Paris tout à l’heure avec Plan-Crépin et demain nous prendrons la direction de Zurich.

— Savez-vous où elle est hospitalisée ?

— Non, mais on trouvera !

— Et qu’est-ce que je vais raconter à Aldo, moi ? Il regrettait déjà de ne pas vous voir aujourd’hui ! Alors s’il ne vous voit pas demain !…

— Que j’ai pris froid, que je tousse, que j’éternue, toutes activités prohibées là où il est. De toute façon, nous ne serons pas absentes bien longtemps, juste l’aller et retour… Ah, vous voilà ! ajouta-t-elle à l’adresse de Marie-Angéline qui rentrait. Descendez donc demander l’heure d’un train pour Paris après déjeuner puis revenez faire les valises.

— Nous rentrons ? gémit-elle, déçue. Mais pourquoi ? Aldo…

— Est tiré d’affaire, dixit le docteur Lhermitte. Adalbert a eu l’autorisation de le voir par faveur spéciale et nous n’aurions pu lui rendre visite que demain. Or, nous avons une mission à remplir.

— Nous allons à Venise ?

— Non. À Zurich où Lisa vient de faire une fausse couche. Alors il faut que demain soir nous soyons là-bas !

— Je vois ! Dois-je prévenir qu’on nous garde les chambres ? Car nous reviendrons, n’est-ce pas ?

— Naturellement… et avec des nouvelles réconfortantes !… Du moins je l’espère.

— Voulez-vous que je vous accompagne ? proposa Adalbert.

— Jamais de la vie ! Qui tiendrait compagnie à Aldo… puisque Pauline vient de repartir ? Quant à ce vieux fou d’Hubert, il est en train de filer le parfait amour avec Wishbone auquel il fait visiter le pays tout en essayant sournoisement de le convertir au druidisme. Ils s’entendent comme larrons en foire ! Mais, au fait, pourquoi voulez-vous nous accompagner ?