Niote 28: (retour) Anges, pièces d'argent.
ANTIPHOLUS.-Ce garçon est fou, et moi aussi; et nous ne faisons qu'errer d'illusions en illusions. Que quelque sainte protection nous tire d'ici!
(Antipholus et Dromio vont pour sortir.)
LA COURTISANE -Ah! je suis bien aise, fort aise de vous trouver, monsieur Antipholus. Je vois, monsieur, que vous avez enfin rencontré l'orfèvre: est-ce là la chaîne que vous m'avez promise aujourd'hui?
ANTIPHOLUS.-Arrière. Satan! je te défends de me tenter.
DROMIO.-Monsieur, est-ce là madame Satan?
ANTIPHOLUS.-C'est le démon.
DROMIO.-C'est pis encore, c'est la dame du démon, et elle vient ici sous la forme d'une fille de plaisir; et voilà pourquoi les filles disent: Dieu me damne! ce qui signifie: Dieu me fasse fille de plaisir! Il est écrit qu'ils apparaissent aux hommes comme des anges de lumière. La lumière est un effet du feu, et le feu brûle. Ergo, les filles de plaisir brûleront; n'approchez pas d'elle 29.
Niote 29: (retour) L'équivoque est fondée sur le mot light, qui, pris adjectivement, veut dire léger, légère (fille légère), et substantivement lumière (fille de lumière).
LA COURTISANE.-Votre valet et vous, monsieur, vous êtes merveilleusement gais! Voulez-vous venir avec moi? nous trouverons ici de quoi rendre notre dîner meilleur.
DROMIO.-Mon maître, si vous devez goûter de la soupe, commandez donc auparavant une longue cuiller.
ANTIPHOLUS.-Pourquoi, Dromio?
DROMIO.-Vraiment, c'est qu'il faut une longue cuiller à l'homme qui doit manger avec le diable.
ANTIPHOLUS, à la courtisane.-Arrière donc, démon! Que viens-tu me parler de souper? tu es, comme tout le reste, une sorcière. Je te conjure de me laisser, et de t'en aller.
LA COURTISANE.- -Donnez-moi donc mon anneau que vous m'avez pris à dîner; ou, pour mon diamant, donnez-moi la chaîne que vous m'avez promise, et alors je m'en irai, monsieur, et ne vous importunerai plus.
DROMIO.-Il y a des diables qui ne demandent que la rognure d'un ongle, un jonc, un cheveu, une goutte de sang, une épingle, une noisette, un noyau de cerise; mais celle-ci, plus avide, voudrait avoir une chaîne. Mon maître, prenez bien garde; et si vous lui donnez la chaîne, la diablesse la secouera, et nous en épouvantera.
LA COURTISANE.-Je vous en prie, monsieur, ma bague, ou bien la chaîne. J'espère que vous n'avez pas l'intention de m'attrapper ainsi.
ANTIPHOLUS.-Loin d'ici, sorcière!-Allons, Dromio, partons.
DROMIO.-Fuis l'orgueil, dit le paon; vous savez cela, madame.
(Antipholus et Dromio sortent.)
LA COURTISANE.-Maintenant il est hors de doute qu'Antipholus est fou; autrement il ne se fut jamais si mal conduit. Il a à moi une bague qui vaut quarante ducats, et il m'avait promis en retour une chaîne d'or; et à présent il me refuse l'une et l'autre, ce qui me fait conclure qu'il est devenu fou. Outre cette preuve actuelle de sa démence, je me rappelle les contes extravagants qu'il m'a débités aujourd'hui à dîner, comme quoi il n'a pu rentrer chez lui, comme quoi on lui a fermé la porte; probablement sa femme, qui connaît ses accès de folie, lui a en effet fermé la porte exprès. Ce que j'ai à faire à présent, c'est de gagner promptement sa maison, et de dire à sa femme, que dans un accès de folie il est entré brusquement chez moi, et m'a enlevé de vive force une bague qu'il m'a emportée. Voilà le parti qui me semble le meilleur à choisir; car quarante ducats, c'est trop pour les perdre.
SCÈNE IV
La scène se passe dans la rue.
ANTIPHOLUS d'Éphèse ET UN SERGENT.
ANTIPHOLUS.-N'aie aucune inquiétude, je ne me sauverai pas; je te donnerai, pour caution, avant de te quitter, la somme pour laquelle je suis arrêté. Ma femme est de mauvaise humeur aujourd'hui; et elle ne voudra pas se fier légèrement au messager, ni croire que j'aie pu être arrêté dans Éphèse: je te dis que cette nouvelle sonnera étrangement à ses oreilles.
(Entre Dromio d'Éphèse, avec un bout de corde à la main.)
ANTIPHOLUS d'Éphèse.-Voici mon valet; je pense qu'il apporte de l'argent.-Eh bien! Dromio, avez-vous ce que je vous ai envoyé chercher?
DROMIO d'Éphèse.-Voici, je vous le garantis, de quoi les payer tous.
ANTIPHOLUS.-Mais l'argent, où est-il?
DROMIO.-Ah! monsieur, j'ai donné l'argent pour la corde.
ANTIPHOLUS.-Cinq cents ducats, coquin, pour un bout de corde.
DROMIO.-Je vous en fournirai cinq cents, monsieur, pour ce prix-là.
ANTIPHOLUS.-A quelle fin t'ai-je ordonné de courir en hâte au logis?
DROMIO.-A cette fin d'un bout de corde, monsieur; et c'est à cette fin que je suis revenu.
ANTIPHOLUS.-Et à cette fin, moi, je vais te recevoir comme tu le mérites.
(Il le bat.)
L'OFFICIER.-Monsieur, de la patience.
DROMIO.-Vraiment c'est à moi d'être patient: je suis dans l'adversité.
L'OFFICIER, à Dromio.-Allons, retiens ta langue.
DROMIO.-Persuadez-lui plutôt de retenir ses mains.
ANTIPHOLUS.-Bâtard que tu es! coquin insensible!
DROMIO.-Je voudrais bien être insensible, monsieur, pour ne pas sentir vos coups.
ANTIPHOLUS.-Tu n'es sensible qu'aux coups, comme les ânes.
DROMIO.-Oui, en effet, je suis un âne; vous pouvez le prouver par mes longues oreilles.-Je l'ai servi depuis l'heure de ma naissance jusqu'à cet instant, et je n'ai jamais rien reçu de lui pour mes services que des coups. Quand j'ai froid, il me réchauffe avec des coups; quand j'ai chaud, il me rafraîchit avec des coups; c'est avec des coups qu'il m'éveille quand je suis endormi, qu'il me fait lever quand je suis assis, qu'il me chasse quand je sors de la maison, qu'il m'accueille chez lui à mon retour. Enfin je porte ses coups sur mes épaules comme une mendiante porte ses marmots sur son dos; et je crois que quand il m'aura estropié, il me faudra aller mendier avec cela de porte en porte.
(Entrent Adriana, Luciana, la courtisane, Pinch et autres.)
ANTIPHOLUS.-Allons, suivez-moi, voilà ma femme qui vient là-bas.
DROMIO.-Maîtresse, respice finem, respectez votre fin, ou plutôt, comme disait le perroquet, prenez garde à la corde 30.
Niote 30: (retour) Respice finem, respice funem, ces mots semblent renfermer une allusion à un fameux pamphlet du temps, écrit par Buchanan contre Liddington, lequel finissait par ces mots. La prophétie du perroquet fait allusion à la coutume du peuple qui apprend à cet oiseau des mots sinistres. Lorsque quelque passant s'en offensait, le maître de L'oiseau lui répondait: Prenez garde, mon perroquet est prophète. WARBURTON.
ANTIPHOLUS, battant Dromio.-Veux-tu toujours parler?
LA COURTISANE, à Adriana.-Eh bien! qu'en pensez-vous à présent? Est-ce que votre mari n'est pas fou?
ADRIANA.-Son incivilité me le prouve assez.-Bon docteur Pinch, vous savez exorciser; rétablissez-le dans son bon sens, et je vous donnerai tout ce que vous demanderez.