Выбрать главу

Le secrétaire de l'évêque, assisté de Don Nicola, veille aux préparatifs de la messe. Une télé est déjà là. Je n'ai rien demandé de tout ça. Je veux rentrer chez moi.

— Monsieur Polsinelli, je travaille pour la Croix-Rouge et…

Sans le laisser terminer je lui colle le dottore dans les pattes.

— Monsieur Polsinelli, je suis le clerc du notaire, si vous pouviez passer à son étude rapidement, s'il vous plaît…

— Monsieur Polsinelli ! Je suis le dessinateur, je peux vous montrer les croquis de l'étiquette de la prochaine bouteille.

— Monsieur Polsinelli, je suis entrepreneur, je vous propose mes services pour reconstruire vos caves, parce que…

Eux aussi veulent ma peau. Je vais encore avoir besoin d'un miracle si je veux tenir encore un peu. 25 % pour ces ordures ? Plutôt crever, plutôt fuir, rentrer à Paris, ou n'importe où ailleurs, dans un endroit où on ne me connaît pas, où on ne me retrouvera jamais. Je vais peut-être créer la première colonie italienne aux Galapagos.

Mais vous ne m'aurez pas.

* * *

Dès seize heures trente, le dottore m'a fait part de ses conclusions. Calculs à l'appui, après une synthèse de toutes les propositions, il était en mesure exactement de doubler les bénéfices prévus.

— Réfléchissez, Signor Polsinelli.

Réfléchir à quoi ? À de nouveaux emmerdements ? Doubler les nuisances, doubler les chantages ? Je l'ai quitté en lui promettant d'étudier la question.

Ils ne m'auront pas.

J'ai voulu changer de route, par méfiance, et prendre le raccourci que m'avait indiqué Marcello. Et je me suis demandé si c'était vraiment une bonne idée. C'est en passant à portée du champ de blé qu'il a commencé à pleuvoir. Des pierres. Une, deux, qui m'ont rasé le crâne, je n'ai vu personne, j'ai pensé à un gosse ou deux planqués dans un arbre. Et puis, un nuage entier de cailloux a explosé au-dessus de moi, je me suis mis à courir, des centaines d'autres ont jailli de partout, je n'ai pas pu voir qui les lançait, des gosses ou des adultes, perchés dans les hauteurs ou courbés dans les plantations. Une pierre m'a cogné le dos, j'ai crié, en une fraction de seconde j'ai pu voir une fermière avec un foulard blanc sur la tête se pencher vers le sol pour prendre d'autres munitions.

Qu'est-ce que je leur ai fait…

Ils m'auront, si je reste une heure de plus au village.

J'ai couru à m'en faire péter les poumons. J'ai saccagé les champs sur mon passage, j'ai rejoint la ville comme un dératé, proche de l'asphyxie, les passants m'ont applaudi, je n'ai pas ralenti jusqu'à la maison de Bianca.

Elle cousait à la machine, devant le téléviseur.

— C'est quoi, cette mallette, Antonio… ?

J'ai hésité à lui dire que cette mallette pouvait lui être aussi fatale qu'à moi.

— Je m'en vais ou je crève ici, j'ai dit, sans réussir à reprendre mon souffle.

Je dois être immonde à voir. Suffocant, couvert de boue et ruisselant de sueur. Avec ma tête de dément. Elle m'a pris dans ses bras.

— Tout le village m'a demandé des renseignements sur toi. De quelle famille tu venais, si tu comptais partir, et quand.

— Partir ? À quelle heure part le dernier car pour Rome ? Vite !

– À cinq heures.

Moins dix, à ma montre.

Je me suis dégagé de son étreinte, trop violemment sans doute, et me suis rué dans la chambre où j'ai fourré mes affaires et quelques liasses de liquide dans un sac. Bianca n'a pas dit un mot, elle s'est remise à son ouvrage en faisant semblant de ne pas me voir. Brusquement j'ai pensé que je n'existerais jamais plus pour elle. La trouille s'accommode trop bien des remords. J'ai hésité, une seconde, à lui dire au revoir. Et je suis parti.

Le car contenait une trentaine de personnes, des pèlerins pour la plupart.

— On part quand ? j'ai demandé au chauffeur, installé près du guichet.

Il m'a montré trois doigts. Au fond du car, j'ai repéré des places vides, et m'y suis affalé.

Giacomo et le dottore s'occuperont de tout. Ils se débrouilleront sans doute mieux sans moi pour faire fructifier les terres. Et je reviendrai quand toute la ville sera calmée, quand l'évêque aura fini sa messe, quand ses sbires auront fini leur enquête, et quand les Américains seront de retour au pressing. Je colle ma joue contre la vitre, pour jeter un ultime regard sur Sora…

Tout est redevenu plus calme.

Hormis le chauffeur qui discute, nerveux, avec deux ou trois employés de la compagnie.

Je ne sais pas si c'est ma parano montante, mais j'ai bien l'impression qu'ils me regardent. Deux commerçants rappliquent, je reconnais le patron du café. Ils jettent des œillades discrètes de mon côté. Je me trompe sans doute. Je vais devenir dingue si je me laisse avoir par la suspicion. Les trois minutes sont écoulées. Le chauffeur tarde, leur discussion s'anime, ils s'efforcent de parler bas, j'ouvre la fenêtre sans entendre pour autant, le chauffeur secoue la tête, on lui prend le bras, on le secoue un peu. Je ne comprends rien.

Il monte dans le car, sans s'asseoir, et lance à la cantonade :

— On a un petit problème de moteur. Faut réparer. Le car ne pourra pas partir maintenant. La compagnie est désolée. On va essayer d'en trouver un autre d'ici ce soir. Tout le monde descend !

Les passagers grognent, se lèvent, essaient de parlementer avec le chauffeur qui fait de grands gestes désolés.

Je reste là, stupide, pantelant, sans pouvoir réaliser ce qu'il vient de dire.

Les ordures…

Ils ne m'auront pas. Je sors et passe devant le petit groupe, le patron du bistrot tourne la tête ailleurs. Vous voulez me ferrer, me retenir, m'empêcher de bouger… Je ne sais pas ce que vous cherchez. Mais vous ne m'aurez pas.

Je tourne le coin de la rue à l'endroit où d'habitude sont garés les trois seuls taxis de la ville. On m'attrape par le bras, je sursaute, prêt à envoyer mon poing dans la gueule de celui qui cherche à me retenir.

— Hé… Hé ! Calmez-vous, Signor Polsinelli ! C'est moi, vous me reconnaissez ?

Le notaire. Qu'est-ce qu'il fout là… ?

— Je vous cherche partout, mais on peut plus vous mettre la main dessus !

— Mais si, tout le monde y arrive sauf vous. Je suis pressé, qu'est-ce que vous voulez ?

— Je tenais juste à vous dire que… C'est délicat… Je me trompe peut-être, mais…

Il s'approche de mon oreille et lance des regards furtifs autour de nous.

— Je suis astreint au secret professionnel, signor… Mais on ne peut pas éviter toutes les fuites… Je n'y suis pour rien, je peux vous le jurer… Mais tout le village a fini par savoir qu'il y avait… la clause…

— Quelle clause ?

— Comment ça, quelle clause ? C'est la première chose dont je vous ai parlé quand vous êtes arrivé ! La clause qui dit qu'après vous vos terres reviennent entièrement à la commune…

— Comprends pas.

— Vous le savez bien, c'était le souhait de M. Trengoni. Au cas où vous refusiez les terres, elles revenaient au village entier. Même chose après votre… votre décès.

— Pardon ?

— Tout est sur le papier. Et maintenant que Sant'Angelo nous a fait la grâce de revenir, et que vous avez fait des millions avec la vigne…

Un mal de tête commence à me marteler le crâne.

— Méfiez-vous, Signor Polsinelli…

À peine supporté par mes jambes, je m'adosse contre un mur.

— Attendez une seconde… Attendez… Vous essayez de me dire que pour se partager la vigne, les villageois seraient prêts à…

— Je ne dis rien, moi. Je vous mets en garde, c'est tout. Alors bonne chance, signor…

Il me laisse tomber et me salue d'un petit geste de la main.