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Nous étions presque au maximum de notre extension à présent. Une vibration électrique s’est manifestée en moi : Vox en train de remonter mes niveaux mentaux, de s’approcher de la surface, de se préparer au départ.

« Capitaine, nous sommes tournés dans le mauvais sens ! s’est écrié Fresco.

— Je sais, j’ai dit. Du calme. Nous ferons demi-tour dans un moment.

— Il est devenu fou ! » a lâché Pedregal.

J’ai senti Vox glisser hors de mon esprit. Mais, d’une certaine façon, j’étais encore conscient de ses mouvements – sans doute parce que j’étais relié à Jason 612 et que Jason 612 contrôlait tout. En douceur, tranquillement, Vox s’est fondue dans la coque du vaisseau.

« Capitaine ! » a hurlé Fresco, et il a commencé à se battre avec moi pour prendre la direction des opérations.

J’ai tenu le navigateur à distance et regardé dans un calme étrange et merveilleux Vox passer en un instant à travers le système électrique du vaisseau et émerger au bout du mât, face aux étoiles. Et se jeter à la dérive.

Comme j’avais retourné le vaisseau, elle ne pouvait être capturée et détenue par le puissant réseau navigationnel de Cul-de-Sac ; elle était libre de s’enfoncer dans les cieux. Qui seraient pour elle comme une mer au gré de laquelle il ne lui restait plus qu’à s’abandonner. Au bout d’un certain temps elle serait si loin qu’elle ne pourrait plus rester en phase avec les bioprocesseurs de bord qui maintenaient les structures de sa conscience, et, même si le réseau d’impulsions électriques qui constituait la matrice de Vox ne devait jamais cesser d’aller de l’avant, toujours plus loin, l’ensemble de réactions qui constituait l’identité de Vox elle-même ne tarderait pas à perdre sa cohésion, commencerait à se relâcher et à se brouiller. Bientôt, ou peut-être à plus longue échéance, mais inévitablement, sa représentation d’elle-même comme entité indépendante disparaîtrait. Autrement dit, elle mourrait.

Je l’ai suivie aussi longtemps que j’ai pu. J’ai vu une étincelle traverser la vaste nuit. Puis plus rien.

« Très bien, j’ai dit à Fresco. Maintenant tournons le vaisseau dans le bon sens et livrons nos amis. »

19.

Tout cela remonte à bien des années. Peut-être personne ne se souvient-il de ces événements qui, même à moi, m’apparaissent aujourd’hui comme un rêve. L’Épée-d’Orion m’a transporté depuis dans presque tous les coins de la galaxie. Durant certains voyages j’ai été capitaine ; pour d’autres, déchargeur, subrécargue, balayeur mental, et même parfois unité de propulsion. Dans le Service, peu importe la façon de servir.

Je pense souvent à elle. Il y a eu un temps où penser à elle revenait à faire face à des sentiments de chagrin, de souffrance et de perte irrémédiable, mais plus maintenant, depuis bien des années. Elle doit être morte depuis longtemps à présent, quelque vivace et résistante qu’ait pu être l’étincelle à laquelle elle se résumait. Et pourtant elle continue de vivre. De cela je suis certain. Il y a une place en moi où je peux joindre sa chaleur, sa force, sa vitalité fantasque, sa brusquerie déconcertante. Je sens tous ces aspects de sa personnalité, ces dons de son court temps d’asile à l’intérieur de moi, comme une présence toujours vivante, et je crois qu’il en sera toujours ainsi tant que j’irai d’un monde en laisse à un autre, tant que je serai du grand voyage, couvrant sans fin les noires années-lumière dans ce gigantesque vaisseau céleste.

Titre original :

The Secret Sharer

paru dans Isaac Asimov’s Science Fiction,

septembre 1987