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- Il y a le souvenir de Marie...

- Je n'ai jamais parlé d'un avenir immédiat, précisa placidement la comtesse. J'ai dit : quand il en aura fini. A ce moment il serait bien que vous ayez pu obtenir la preuve de votre veuvage... définitif.

- Ne rêvons pas, mon amie ! Cette preuve, il se peut que je ne la reçoive jamais... et " lui " m'a dit un jour que le mariage n'était pas pour lui. On n'épouse pas la tempête...

- Il n'y a pas d'exemple d'une tempête qui ne se soit enfin calmée.

Lalie prit un temps de réflexion et, pendant quelques minutes, on n'entendit plus que le crépitement du feu dans la cheminée devant laquelle Laura, à demi étendue dans un fauteuil et les yeux clos semblait s'assoupir. Elle les rouvrit quand le comtesse, à la poursuite de son idée, hasarda :

- Cet homme que nous avons aperçu tout à l'heure... Ce Bran Magon de -je ne sais plus quoi...

- La Fougeraye...

- Si vous voulez ! Cet homme aurait assisté à l'explosion du haut des remparts ? Il en saurait peut-être un peu plus que les autres ?

- C'était en pleine nuit, Lalie, et à la sortie des passes. S'il attendait que le lougre saute, tout ce qu'il a pu voir, même avec une longue-vue, c'est une explosion de lumière, des flammes. Il ignorait que sa fille était à bord et je pense qu'il a dû être fort surpris lorsque l'on a retrouvé son corps...

- Pourquoi ne pas le lui demander ?

A cet instant, le vieux Guénolé entra, portant une lettre sur un plateau :

- On vient d'apporter ceci, dit-il en offrant le tout à Laura.

- De qui est-ce ?

- Je ne sais pas.

- Qui l'a portée ?

- Ça non plus je ne le sais pas. Une espèce de paysan...

Laura fit sauter le cachet à la gravure illisible et alla à la signature...

- Eh bien, dit-elle, les grands esprits se rencontrent ! Ce mot vient justement de la Fougeraye : M. Magon me demande d'aller le voir. Il dit qu'il lui est impossible de se déplacer et il souhaite., que je vienne à la tombée de la nuit...

- Et vous rentrerez comment, une fois les portes fermées ? maugréa Lalie qui n aimait pas du tout cela.

- Il m'invite à souper et ajoute qu'il nous logera pour la nuit moi, et le serviteur qui m'accompagnera.

- Il vous accorde une escorte ? Il est bien bon.. Les yeux toujours sur la lettre qu'elle lisait à mesure, Laura poursuivit :

- Le serviteur doit être armé à cause des mauvaises rencontres possibles et des patrouilles côtières toujours à la recherche de quelque chouan en mission.

- De mieux en mieux ! C'est un coupe-gorge sa maison ? Et il ne serait pas en train de vous tendre un traquenard ?

- Pour quelle raison ? Il s'excuse de toutes ces précautions qu'il juge nécessaires et il conclut en ajoutant qu'il souhaite m'apprendre certains faits d'importance ayant trait à la Laudrenais.

Elle replia le papier, le mit dans sa poche et déclara :

- Je vais y aller demain, Lalie ! N'essayez surtout pas de m'en empêcher, vous perdriez votre temps...

- J'ai bien envie d'aller avec vous...

- Certainement pas ! D'abord vous n'êtes pas invitée et ensuite Jaouen devrait suffire à la tâche. Je vais le prévenir et je suis certaine qu'il ne m'arrivera rien de fâcheux.

- Dans ce cas, allons nous coucher pour faire une bonne nuit, car je suis bien sûre de ne pas arriver à fermer l'oil demain soir...

Le lendemain, peu avant la tombée de la nuit, Laura et Jaouen approchaient de la Fougeraye. La lettre du gentilhomme précisait que sa propriété n'était pas facile à trouver et qu'il enverrait un domestique armé d'une lanterne au carrefour des chemins de Paramé, Saint-Ideuc et Rothéneuf. Dès qu'il aperçut les deux cavaliers - sur le conseil de Jaouen qui connaissait bien la région, la jeune femme avait choisi d'y aller à cheval - il quitta l'ombre des cornouillers où il s'abritait, éleva la lanterne allumée bien qu'on y vît encore suffisamment et fit signe de le suivre. Il s'engagea dans un chemin assez large qui semblait piquer vers la mer, prit soudain à droite, entre deux rochers tellement couverts de végétation que le passage était invi sible pour qui ne le connaissait pas. Ensuite, le sentier s'enfonçait dans ce qui devait être un reste de l'ancienne forêt druidique : un fouillis de verdure, de pins noirs mais aussi de chênes et de hêtres dont les branches dépouillées par la saison, autant que par le vent, permettaient une meilleure vision. On arriva bientôt à une antique demeure gardée par de vieux pommiers givrés de lichen et par des murs nés sans doute au temps des ducs de Bretagne. C'était sous de longs toits d'ardoise un fort manoir flanqué d'une tour courte dont le granit gris se mouchetait de blanc, planté entre un grand potager enclos de pierres levées et un tunnel de branches plongeant vers les reflets mouvants de la mer. Des fenêtres étroites, grillées pour celles donnant sur le chemin, basses et fleuronnées pour celles de la façade ouvertes sur un jardin mal entretenu qui semblait s'arrêter net sur le vide. Au-dessus du cintre de pierre de la porte basse apparaissaient des armoiries à moitié rongées. Laura pensa que cette maison ressemblait beaucoup à son propriétaire : usée mais toujours solide !

Celui-ci vint accueillir sa visiteuse, lui offrit la main avec une parfaite courtoisie pour l'aider à mettre pied à terre et la précéda dans une vieille salle dallée de grandes pierres réchauffées d'une magnifique cheminée dont le feu faisait miroiter de très beaux meubles anciens astiqués et luttant de reflets avec les vieux étains, les cuivres et les faïences colorées. Le couvert était mis sur une nappe de lin blanc éclairée par deux chandeliers, mais ce fut vers l'âtre que La Fougeraye mena Laura pour la faire asseoir dans un antique fauteuil de chêne sculpté garni de coussins de velours rouge.

- Merci d'être venue, commença-t-il. Ma lettre a dû vous surprendre ?

- Je l'avoue.

- Pourtant vous avez accepté ?

- Oui. Le personnage que vous me semblez être ne fait pas en vain une démarche de ce genre. Si vous m'avez appelée, c'est qu'une conversation entre nous vous paraît importante...

- Vous êtes bien jeune pour posséder un jugement aussi sûr. Pourtant, nos relations précédentes ne devraient guère vous inciter à me rencontrer davantage et à partager avec moi le pain et le sel ?

- Ai-je dit qu'il me conviendrait de m'asseoir à cette table ? D'après vos explications, vous jugiez peu convenable, voire dangereux de venir chez moi, je viens donc à vous. Parlez, je vous écoute.

Planté sur ses deux jambes, les mains nouées dans le dos, le petit homme darda son regard nuageux sur cette grave jeune femme dont les profonds yeux noirs faisaient un si joli contraste avec ses cheveux blonds argentés.

- Pas encore. Il me faut d'abord vous offrir mes excuses pour la manière dont je me suis comporté envers vous.

- Ce n'est pas envers moi que vous vous êtes mal comporté, c'est...

Il l'arrêta du geste :

- Envers celle qui était ma fille... ma dernière fille car de ma famille il ne me restait qu'elle. Une enfant tournée vers Dieu, vouée à Dieu de son propre choix et depuis l'enfance ! Quand, avec ses compagnes, on l'a chassée de son couvent, elle s'y est cramponnée jusqu'à la dernière seconde avec un désespoir farouche et j'attendais qu'elle revienne ici. Cette demeure où l'on a toujours vécu dans l'honneur, où mon épouse et mes autres enfants ont laissé la trace de leur simple vertu était digne de la recueillir. Elle aurait pu y servir Dieu presque aussi bien que chez les religieuses. Il y a même une chapelle dans le bois voisin... mais ce misérable a mis sa main sur elle parce qu'elle était la plus belle. Il l'a emmenée chez lui... chez vous à la Laudrenais. Je ne sais ce qu'il lui a fait, de quelle magie infernale il a usé, mais de ce corps, de cette âme il s'est emparé. De cette fille de pureté il a fait une putain !