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Il avait craché le mot et comme Laura choquée faisait mine de de se lever, il l'arrêta de nouveau et poursuivit :

- Je vous blesse mais cette flétrissure convient à celle qui se donne à Satan, qui trouve son bonheur dans cette abjection, qui renie tout ce qui fut sa vie, sa joie pour ne plus exister que par lui... Lorsque j'ai su qu'il allait s'enfuir - il était surveillé, croyez-moi ! - j'ai repris Loeiza de force et je l'ai enfermée. Si vous l'aviez vue ! Une furie déchaînée ! Elle s'est vantée de son amour, de son péché ; elle les a revendiqués comme le bien suprême et à cet instant j'aurais pu la tuer. Un reste de tendresse m'a retenu et je me suis contenté de la boucler dans sa chambre mais elle a réussi à s'enfuir et elle l'a rejoint. Vous savez la suite...

- Tout de même, devant ce cadavre brisé, déchiré, qui proclamait ce qu'a été sa fin, ne pouviez-vous pardonner ?

- Non et je ne le peux toujours pas. Quelque chose me dit que même en mourant de sa main, elle aimait encore ce bourreau.

- Qu'en savez-vous ?

La riposte vint, brutale, et prit Laura au dépourvu :

- Et vous ? Au bout de combien de temps avez-vous cessé de l'aimer ?

Pour échapper au regard gris qui essayait de la percer à jour, elle tourna les yeux vers la cheminée mais elle avait trop d'honnêteté pour lui refuser la vérité :

- C'est vrai je l'ai aimé longtemps... Des années, en dépit de sa froideur, de sa cruauté, et je n'avais trouvé d'autre solution que la mort pour lui échapper. Au point d'avoir regretté que l'on m'ait sauvée des massacreurs de Septembre [v]. C'était pourtant la troisième fois qu'il essayait de me tuer...

- Vous voyez bien ? Peut-être l'aimez-vous encore ?

- Ah non ! Non ! Non... mille fois non ! Moi j'ai rencontré un sauveur et ce sauveur je ne pouvais pas ne pas... m'attacher à lui. Votre fille n'a pas eu cette chance. On ne lui en a pas laissé le temps.

- C'est possible ! Quoi qu'il en soit, en vous demandant de venir, je voulais surtout vous dire merci...

- Et de quoi mon Dieu ?

- D'avoir fait ce à quoi ma colère ne pouvait se résoudre : lui donner un bout de terre chrétienne... Depuis qu'elle y est, depuis que je vous ai vue déposer un bouquet sur sa tombe, ma colère s'est apaisée. Je me sens mieux...

Une porte s'ouvrit pour livrer passage à une solide servante en tablier et coiffe blanche qui portait avec précaution une grande soupière de faïence qu'elle vint déposer au centre de la table. Puis elle s'immobilisa, les yeux sur son maître, attendant un ordre. Mais ce fut à Laura qu'il s'adressa :

- Je ne vous ai pas encore tout dit, mais pensez-vous, à présent, pouvoir accepter de partager ceci avec moi ?

Elle prit dans sa poche le brin de bruyère qu'elle avait arraché du bouquet et le lui tendit :

- Si vous acceptez.... Oui.

La Fougeraye contempla les menues fleurs mauves sans tendre la main pour les recevoir puis, soudain, saisissant Laura par le bras, il l'entraîna vers l'escalier qui prenait naissance au fond de la salle.

- Venez ! dit-il seulement en prenant sur la table l'un des flambeaux.

Intriguée elle se laissa mener à l'étage où, tirant une clef de sa poche, il la fit pénétrer dans une chambre presque aussi austère qu'une cellule monacale. Les murs étaient blancs comme le lit étroit enveloppé de rideaux de même couleur assortis à ceux de la fenêtre. Un coffre, une table, deux chaises paillées et un prie-Dieu sans coussin disposé devant un crucifix d'ébène et d'ivoire composaient avec un coffre à vêtements et une cheminée sans feu tout le mobilier de cette pièce tellement virginale qu'elle en paraissait irréelle.

- Voilà sa chambre ! J'avais veillé à ce qu'elle soit aussi proche que possible de celle du couvent. Mais quand je l'y ai ramenée elle n'était plus la même, et voyez !

Il écarta les rideaux de la fenêtre, révélant les barreaux extérieurs sciés. Ils n'étaient pas très épais mais en être venue à bout faisait grand honneur à l'énergie de Loeiza. Le père les considéra emporté tout ce qu'il a pu trouver d'or, d'argent ou d'assignats et, malheureusement, la mer, si elle rend parfois les corps, ne restitue pas les bagages. Il me reste une petite fortune que ma mère a pu me transmettre au jour de sa mort et dont la majeure partie se trouve chez un banquier parisien, mais je doute que même en réalisant le tout ce soit suffisant. Mon amie Sainte-Alferine qui s'est chargée de ce poids ne me cache pas ses soucis.

- Vous avez encore un navire qui croise du côté des Mascareignes ?

- Oui. Le Griffon. Son retour pourrait nous sauver, mais reviendra-t-il jamais ?

Soudain, des coups rapides furent frappés à l'une des deux fenêtres de la salle : celle qui donnait sur le jardin. Le gentilhomme imposa silence. Il se figea, écouta intensément. Les coups reprirent sur le même rythme : cinq vifs et trois plus lents. Alors il se précipita, ouvrit la fenêtre, échangea avec le visiteur encore invisible quelques mots que Laura n'entendit pas, referma, courut à la porte et sortit, laissant pénétrer une rafale de vent et de pluie. Le temps avait dû changer depuis l'arrivée de la jeune femme mais elle ne s'en était pas aperçue. Un instant plus tard, son hôte revenait en compagnie d'un homme vêtu d'un manteau trempé sur une veste de laine et des culottes de cuir. Un chapeau à forme haute dégoulinant d'eau coiffait le visage mal rasé aux traits fins et aux yeux noirs de l'arrivant, qui pouvait avoir entre vingt-cinq et trente ans. L'affrontant portait un sac de voyage à la main. Il se découvrit devant la jeune femme, sourit et s'inclina tandis que La Fougeraye déclarait.

- Je vous présente le comte Armand de Chateaubriand qui, au péril de sa vie, assure depuis longtemps déjà les liaisons entre notre Bretagne et l'île de Jersey. Il est le courrier des Princes. Mais nous, nous l'appelons l'Ami des vagues car il conduit lui-même sa barque et il n'est pas une crique, un rocher qu'il ne connaisse à fond. Armand, voici, comme je vous l'ai dit, Mme de Laudren.

Le jeune homme mouillé baisa la main que Laura lui tendait.

- Je suis sans doute pour vous un inconnu, madame, commença-t-il, mais elle ne le laissa pas poursuivre :

- Je suis malouine comme vous-même, monsieur, et votre nom m'est familier. Ma mère était je crois une amie de la vôtre. Il est étonnant que nous ne nous soyons jamais rencontrés.

- Dans les temps que nous vivons, rien n'est étonnant, madame, surtout pas les étranges destins qui nous sont donnés. Je sais que l'on vous a crue morte et que Pontallec a épousé votre mère. C'est lui d'ailleurs que je cherche. Le prince de Bouillon qui tient Jersey vient d'être nommé chef de la correspondance des Princes en remplacement de lord Belcare et il m'envoie tout spécialement pour savoir ce qu'il advient du marquis. Voilà des semaines que nous n'avons eu de ses nouvelles.

- Parce qu'il vous en donnait ? articula La Fougeraye soudain glacial.

- Mais bien sûr. Vous l'ignorez peut-être, vous qui vivez si retiré, mais il est le meilleur représentant en Bretagne de Mgr le comte de Provence, régent de France, et leur courrier passe par Jersey et l'Angleterre. Il le déposait au château du Val d'Arguenon... chez nous, ajouta le jeune homme avec dans la voix une fêlure.

- Comment est-ce possible ? Votre père est mort en prison il y a peu, de maladie et du chagrin que lui avait causé le décès de votre mère. Quant à vos sours, enfermées dans l'infecte geôle que l'on avait fait du couvent de la Victoire, l'une, Marie, est morte aussi et si les deux autres, Emilie et Modeste, sont encore en vie c'est parce qu'à Paris on a abattu Robespierre et qu'elles ont été délivrées. Elles ont trouvé refuge à Saint-Malo, au Petit-Placitre, chez votre ancienne lingère, Mlle Lhotelier. Elles n'ont plus rien ! Alors, que venez-vous me parler du château de votre père ? Il ne lui appartient plus...

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Voir tome I.