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- Je voudrais voir la ci... Mme de Laudren ! clama-t-il d'emblée après avoir, tout de même, ôté son couvre-chef. Peut-elle me recevoir ?

- Non, fit Lalie le nez dans ses registres et sans prendre la peine de lever la tête.

- Pourquoi, s'il vous plaît ?

- Elle n'est pas là...

- Pas là ? Alors je veux savoir où elle est !

Le ton autoritaire obtint tout de même que Lalie le regarde :

- Tiens ! Le capitaine Crenn ! Je n'avais pas reconnu votre voix et, en outre, je finissais une addition... pénible ; veuillez m'excuser. Vous disiez ?

- Que je voulais voir Madame Laura.

- C'est bien ce que j'avais cru comprendre et j'ai répondu, je crois, qu'elle n'était pas là. Ce à quoi vous avez rétorqué que...

- ... que je voulais savoir où elle était !

- Et en quoi, s'il vous plaît, les faits et gestes de ma cousine - en Bretagne où tout le monde est plus ou moins cousin on n'aurait pas compris qu'aucun lien de parenté n'unît les deux femmes et l'on s'était tenu au plus simple puisque Lalie était nantaise - doivent-ils vous être soumis ?

Par-dessus les lunettes posées sur le bout du nez, l'oil gris de la comtesse fusillait Crenn mais il refusa de se laisser impressionner, même si cette authentique grande dame possédait le don de le mettre mal à l'aise. Il répondit sans baisser le ton :

- Je n'en demande pas tant mais sa sécurité m'importe. Or, je viens d'apprendre qu'hier matin on avait vu Madame Laura partir en voiture avec ce vieux chouan de La Fougeraye. Et ils ont passé la Rance. Alors je voudrais savoir s'ils sont rentrés.

- Ce n'était pas prévu, fit sobrement Lalie en retournant à ses comptes.

- Qu'est-ce qui était prévu ?

- Une absence de deux ou trois jours... mais enfin vous commencez à m'agacer, " citoyen " capitaine ! s'écria-t-elle en jetant sa plume qui protesta en faisant un gros pâté. Encore une fois en quoi cela vous regarde-t-il ? Ne sommes-nous plus en... république ?

- Cela me regarde en ce que je suis responsable de sa sécurité comme de celle de tous les autres habitants de...

- de Saint-Servan ! Pas de Saint-Malo !

Crenn comprit qu'il n'en viendrait pas à bout en continuant sur le même mode. Jetant son bicorne sur un classeur, il se laissa tomber sur une chaise avec un soupir découragé :

- Je pourrais vous dire que la Laudrenais est sur... Port-Solidor mais je n'ai pas envie de discuter davantage. Disons que je m'inquiète... par amitié. Courir les routes avec ce vieux bandit ne me paraît pas une bonne chose. Alors, s'il vous plaît, madame, dites-moi où elle est ?

- Bon, je vais vous le dire. Après tout, c'est sans grande importance et je n'ai pas juré le silence : ils sont partis pour le Guildo. D'après M. de la Fouge-raye, le produit des vols commis justement à la Laudrenais pourrait s'y trouver...

Crenn bondit :

- Au Guildo ? Un coin fréquenté par des contrebandiers et tous les brigands qui hantent les parages depuis le cap Fréhel jusqu'en forêt de la Hunaudaye ? Mais c'est du délire !

Son inquiétude presque palpable finit par entamer la sérénité de Lalie. De mauvaise grâce, elle lança :

- Puisque vous le savez, pourquoi ne nettoyez-vous pas le coin comme vous dites ?

- C'est de l'autre côté de la Rance. Ce n'est pas de mon ressort mais de celui des gendarmes de Plancoët et même ce sont ceux de Lamballe qui devraient mettre de l'ordre, mais j'admets que la région est difficile... Est-ce qu'ils ont au moins emmené l'homme au crochet de fer ?

Jaouen entrait à cet instant précis et se chargea de la réponse :

- Non. On n a pas voulu de moi, fit-il avec raideur. Cet homme et Mme de Laudren sont censés être un oncle et sa nièce qui vont voir d'abord à Plancoët puis dans le Val d'Arguenon ce que la Révolution a laissé de leur parentèle. La Fougeraye m'a refusé et on m'a interdit de bouger d'ici !

D'un coup d'oil expert, Crenn jaugea les six pieds de muscles de l'intendant, son visage aux traits sculptés et, sous le ressaut des épais sourcils bruns, les yeux farouches dont le gris froid rappelait celui du redoutable crochet d'acier qui remplaçait son avant-bras gauche.

- Je te réquisitionne l'ami ! Tu as un cheval ? En ce cas, tu me rejoins au petit jour au bac...

- Pourquoi pas maintenant ?

- Parce que la mer est pleine et que, de nuit, le bac ne part pas. Il faudrait passer par Dinan, ce qui allongerait sacrement le chemin. En outre j'ai des ordres à donner, des dispositions à prendre pour être remplacé. Enfin, je ne serai pas en uniforme : un, parce que je vais m'aventurer hors de ma juridiction, et deux, parce que une tête de gendarme coiffée de son bicorne est la cible favorite des pétoires chouannes. Ça te va comme explications ?

- Tout à fait. Je serai au bac et... bien armé.

- Tu as été soldat, je crois ?

- Oui. Sous le général Kellermann. Un boulet de canon m'a enlevé ça à Valmy mais je m'arrange encore très bien de ce qui reste !

- Autrement dit... tu étais républicain ?

- Je le suis toujours, riposta Jaouen avec un regard sur Lalie qui, les yeux au ciel, haussait les épaules, mais ma république à moi ne règne pas du haut d'un échafaud !

- Sur ce sujet-là je serais assez de ton avis ! A demain !... citoyenne ! ajouta-t-il en saluant Lalie avant de tourner les talons pour regagner son logis et y passer la nuit que l'on sait.

A l'aube du lendemain, ils traversaient la Rance et s'élançaient sur la route étroite qui, par Ploubalay et Trégon, les mènerait directement au Guildo en laissant Plancoët sur leur gauche.

Tout au contraire du capitaine, Laura, elle, avait bien dormi. La fatigue du voyage en charrette et la certitude que son compagnon veillait sur son sommeil - puisqu'il lui avait dit qu'il ne se coucherait pas - lui accordèrent un véritable repos. Aussi quand elle descendit dans la salle, toilette faite et prête à partir, fut-elle très surprise de ne pas l'y voir. Il n'y avait là que Gaïd occupée à éplucher des raves et des choux pour préparer la soupe du jour.

En voyant la jeune femme, elle se leva, alla chercher un bol de lait, une cuillère et un chanteau de pain noir dont elle coupa une épaisse tranche et les disposa sur la table avant de retourner à son épluchage ; le tout sans proférer une parole. Elle s'était contentée d'un signe de tête pour répondre au bonjour de sa cliente. Celle-ci cependant ne prit pas place devant ce qu'on lui proposait. Son regard parcourut la salle, puis elle se pencha pour voir à travers les petits carreaux et finalement demanda :

- Où est mon oncle ? L'avez-vous vu ?

L'autre fit non de la tête. Laura alors sortit dans l'air vif du matin. Le vent avait chassé les nuages et il faisait presque beau. Aussi une certaine animation se manifestait-elle dans les maisonnettes et vers le gué de l'Arguenon. La mer était basse et des gamins armés de pelles et de paniers allaient récolter coques et palourdes, mais nulle part Laura n'aperçut la silhouette grise de La Fougeraye. En revanche elle vit Tangou l'aubergiste qui revenait, un panier de crabes sous le bras. Elle alla vers lui et posa de nouveau sa question. Mais comme la femme, l'homme hocha la tête. Toutefois, il consentit à ajouter :

- Il aura été se promener dans les rochers...

- Cela m'étonnerait. Il m'avait dit qu'il passerait la nuit dans la salle, qu'il n'avait pas sommeil. A quelle heure avez-vous fermé l'auberge ?

L'homme haussa les épaules :

- Y a rien à voler ici ! Qu'est-ce que vous voulez qu'on ferme ?

- Mais enfin, lorsque vous êtes allé vous coucher, était-il là ?