- Non. Tu rest'ras ici jusqu'à ce que j sache où est passé ce foutu bonhomme ! T'as compris ?
- Qu'en avez-vous à faire après tout ? s'écria Laura. C'est mon oncle, pas le vôtre, et c'est à moi de le rechercher...
- Et moi j'dis qu'tu bougeras pas ! Tu vas r'mon-ter là-haut et attendre bien sagement ! ajouta-t-il en l'empoignant par le bras. Elle se débattit mais sa force de jeune femme était sans commune mesure avec celle de cette brute. Alors elle se mit à crier, appelant au secours de toute sa voix tandis que Tangou la traînait vers l'escalier. A sa surprise, une voix goguenarde lui répondit :
- Voilà, voilà ! On arrive !
L'instant d'après, Laura se retrouvait par terre mais libre et considérait avec stupeur Alain Crenn qui appuyait un pistolet contre les côtes de l'aubergiste.
- Le bonjour, citoyenne Laudren ! fit-il gaiement.
On dirait que nous arrivons à point nommé ? Dis donc, toi, si c'est comme ça que tu traites tes clients, il ne doit pas y avoir foule dans ce trou.
- Jlui veux point d'mal ! grogna Tangou. JVoulais seulement qu'elle m'en fasse point...
Pendant ce temps, Jaouen s'était précipité sur Laura pour l'aider à se relever :
- Vous n'avez rien ? demanda-t-il, si visiblement anxieux qu'elle lui sourit :
- Non. Tout va bien pour moi mais je crois que vous êtes arrivés à temps. Cet homme prétendait me séquestrer jusqu'à ce que l'on ait retrouvé... mon oncle.
- Ce vieux brigand de La Fougeraye a disparu ? fit Crenn qui, à l'aide d'une corde qu'il avait trouvée accrochée à un clou, était en train de ficeler l'aubergiste.
- Il n'y a pas matière à plaisanterie, dit Laura avec sévérité. Je suis très inquiète pour lui. Mais, je vous en prie, capitaine ne restons pas plus longtemps...
- Que craignez-vous puisque vous n'êtes plus seule ?
- La femme n'est plus là ! Peut-être est-elle allée chercher à son tour de l'aide...
- Elle a raison, intervint Jaouen. Nous aurons tout le temps ensuite d'apprendre ce qui s'est passé ici. Vous êtes venus avec la charrette qui est dans la cour ? ajouta-t-il, tourné vers Laura qui confirma. Je vais atteler et je mènerai...
- Je peux très bien le faire, dit Laura. Le cheval est doux et cela vous permettra de garder les vôtres...
En dépit des protestations du capitaine, Laura tint à payer son écot et laissa quelques assignats sur la table devant l'aubergiste qui roulait des yeux furibonds en poussant des grognements parce que Crenn avait jugé utile de le bâillonner.
- Sa femme le libérera si ça lui chante ! fit-il en conclusion. A moins qu'elle ne préfère le laisser ainsi ? Pour ce que j'en ai vu, je me demande ce qu'une créature comme elle fait avec un rustre comme celui-là. Elle est diantrement belle !
Quelques instants plus tard, le trio quittait le Guildo mais Laura était loin d'être satisfaite. Quand on fut à l'embranchement de deux chemins dont l'un allait sur Trégon et l'autre remontait sur Plancoët, elle engagea la charrette dans cette dernière direction tandis que le capitaine, qui allait devant, prenait la première.
- Ce n'est pas le bon chemin ! cria Jaouen en se portant à sa hauteur. Nous sommes venus par Trégon. C'est beaucoup plus rapide...
- Ah oui ? Alors pourquoi avez-vous mis si longtemps ?
- Le cheval du capitaine s'est déferré. Nous avons dû nous arrêter à Ploubalay... Faites demi-tour, Madame Laura !
- Certainement pas ! Moi, je vais à Plancoët... Je dois faire visite à des personnes amies de M. de la Fougeraye. Je crois qu'elles sauront le rechercher mieux que quiconque. D'ailleurs je leur laisserai cette voiture qui pourra leur être utile...
- Et vous reviendrez à pied ?
- Si l'un de nous devait rentrer à pied ce serait vous, mon cher Jaouen, fit Laura. Mais Rollon est capable de porter deux personnes : je reviendrai en croupe.
Crenn cependant accourait aux nouvelles. Laura lui fit part de son intention. Au contraire de ce qu'attendait Jaouen, il ne la combattit pas.
- Après tout, dit-il, ce n'est pas une mauvaise idée. Nous n'avons pas éclairci l'affaire du vieux couvent dont on vous a dit qu'il recelait les meubles et collections volés à la Laudrenais.
- J'ai voulu aller voir, soupira Laura mais dans le chemin j'ai rencontré l'aubergiste. Il a dit qu'il n'y avait rien...
- Et bien sûr, il était difficile d'insister compte tenu de la différence des forces en présence. Raison de plus pour que j'aille voir. Aussi, je vous accompagne à Plancoët. Je verrais les collègues et j'arriverai peut-être à obtenir une perquisition s'ils veulent bien se remuer un peu.
- Offrez une récompense ? suggéra Laura. Vous l'estimerez vous-même. Ma trésorerie peut encore me le permettre, surtout si je retrouve ce que je cherche...
On fit donc route ensemble jusqu'à la petite ville aux abords de laquelle on se sépara, Crenn allant à la mairie et Laura vers la demeure des demoiselles de Villeneux. En arrivant devant la porte, elle sauta à terre, attacha le cheval à un anneau puis fit comprendre à Jaouen qu'elle préférait qu'il n'entre pas avec elle :
- Ce sont deux vieilles filles, expliqua-t-elle. Vous pourriez les effrayer. En outre, elles seront plus en confiance seules avec moi qu'elles connaissent déjà...
Jaouen eut un de ses rares sourires et celui-là était franchement ironique :
- Encore un nid de chouans ?
Le regard noir de la jeune femme se planta dans le sien :
- Cela se peut en effet, et j'espère que vous l'oublierez. S'il y a une chance de retrouver M. de la Fougeraye, ce sont elles qui la détiennent. Attendez-moi, je n'en ai pas pour longtemps, ajouta-t-elle en frappant comme l'avait fait la veille son compagnon. Elle craignait un peu de se trouver devant la fragile et larmoyante Léonie et ce fut, en effet, ce qui se produisit : le visage inquiet qui apparut dans l'entrebâillement de la porte était le sien. Sans ouvrir davantage, elle examina Laura puis l'homme qui l'accompagnait :
- Madame de Laudren ?... Que voulez-vous ?... Et pourquoi M. de la Fougeraye n'est-il pas avec vous ? Qui est cet homme ?
- Si vous voulez que je réponde à toutes vos questions, il faut m'ouvrir, mademoiselle Léonie. On ne parle pas d'affaires graves dans la rue !
- D'affaires graves ? Mon Dieu, serait-il arrivé quelque chose à notre ami ?
Cramponnée au battant, elle commençait à pleurer sans livrer pour autant le passage. Ce qui eut le don d'exaspérer Laura qui, depuis leur rencontre, savait que la tendre Léonie ne débordait pas de sympathie pour elle...
- Mademoiselle Louise n'est pas là ?
- N... on. Non, ma sour... n'est pas... au logis !
- Je devine où elle est. En ce cas, il faut que vous preniez sur vous et que vous m'entendiez ! Vous pleurerez plus tard si cela vous chante : encore une fois ce qui m'amène est grave.
Avec un nouveau gémissement, Léonie se décida à écarter le battant qui se fit un devoir de grincer en écho. Laura marcha avec décision jusqu'au salon qu'elle connaissait déjà et, se retournant, fit face à la vieille demoiselle entrée derrière en fermant la porte :
- Ecoutez-moi bien ! intima-t-elle en s'asseyant sans attendre d'y être invitée, je vais vous raconter ce qui s'est passé au Guildo.
Elle s'attendait à un festival de petits cris - ou même de grands cris ! -de soupirs, d'exclamations, de sanglots. Or, Mlle Léonie l'écouta sans émettre un son. Elle ne pleurait plus mais, quand ce fut fini, elle leva sur son interlocutrice un regard plein de rancune :
- Je savais bien qu'il ne fallait pas y aller, que le Guildo était un lieu maudit et c'est à cause de vous qu'il y est allé ! M. de la Fougeraye est un homme vaillant, un vrai chevalier d'autrefois et je suis bien certaine qu'avant de vous mener au vieux couvent il a voulu s'assurer par lui-même de ce que l'on y pouvait trouver !