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- Tout seul et en pleine nuit ?

- Naturellement ! C'est un brave je vous le répète ! Et d'ailleurs, quelle aide pouviez-vous lui apporter ?

- J'y suis allée moi aussi, je vous l'ai dit.

- Et vous vous êtes laissée dissuader par cet aubergiste d'aller jusqu'au bout ? Pourtant, si j'ai bien compris, vous avez été secourue, vous n'êtes plus seule ? Alors pourquoi n'y être pas montée ?

- Allez-y vous-même ! s'écria Laura que le ton accusateur de la vieille fille agaçait. Quoi qu'il en soit, le capitaine Crenn pense convaincre les gendarmes d'ici d'y faire une descente. Vous n'aurez qu'à aller avec eux !... Maintenant et avec votre permission, je me retire en vous demandant seulement de rapporter à Mlle Louise ce que je vous ai appris. Elle saura, j'en suis certaine, agir comme il convient. Si quelqu'un est capable de retrouver notre ami, c'est elle... A présent je me retire, ajouta-t-elle en se levant. Bien entendu je vous laisse la voiture de M. de la Fougeraye.

- Mais vous-même, comment rentrerez-vous ?

- En croupe de mon serviteur que vous avez vu dehors, mais j'espère recevoir bientôt des nouvelles rassurantes...

- Je vous le souhaite... Sinon je crois que j'aurai beaucoup de mal à ne pas vous maudire !

Ce fut sur ces paroles de réconfort que Laura quitta la maison des vieilles filles pour se mettre à la recherche d'Alain Crenn : elle ne voulait pas quitter Plancoët sans savoir s'il avait obtenu l'aide désirée. Et l'on se dirigea vers la gendarmerie.

A sa surprise, le capitaine y avait reçu un accueil non seulement courtois mais amical : cela tenait à ce qu'un nouveau brigadier venait de s'y installer et que celui-ci avait servi déjà sous ses ordres et en avait gardé un assez bon souvenir. Il se nommait Merlu et, sous des dehors épineux, c'était le meilleur garçon de la terre. En outre, depuis sa prise de fonction, il s'ennuyait : dans son coin, les chouans se tenaient plutôt tranquilles et sa brigade n'avait pas grand-chose à se mettre sous la dent en fait de délinquants. L'idée de faire une descente dans un vieux couvent hanté le séduisit immédiatement, mais quand Laura et Jaouen se présentèrent il refusa catégoriquement de les emmener :

- Pas de civils avec nous ! Et encore moins de femmes ! Faites excuses, citoyenne, mais c'est le règlement.

- Et moi ? riposta Crenn. Est-ce que je ne suis pas en civil ?

- Ce n'est pas l'uniforme qui fait le gendarme ! C'est le cour, répliqua le brigadier Merlu. Tous ici nous savons qui tu es, citoyen capitaine. Désolé pour vous autres, ajouta-t-il à l'intention des " civils ", mais il ne vous reste plus qu'à aller coucher à l'auberge si vous voulez savoir la suite. On ira voir demain matin à l'aube.

Laura consulta Jaouen du regard. Celui-ci haussa les épaules :

- De toute façon, la nuit va tomber et nous ne pouvons pas rentrer à Port-Malo ce soir. Il y a une auberge convenable ici ?

- Même à Rennes y'a pas mieux ! C'est celle de ma cousine Etiennette et, pour la propreté comme pour la tambouille, elle craint personne. J'vais vous y conduire.

- Dans ce cas, dit Crenn, j'irai aussi. Il faut bien que je couche quelque part !

Merlu disait vrai. L'auberge de l'Arguenon, située au bord du petit port dont, deux fois par jour, la mer gonflait ou réduisait le cours, ressemblait tout à fait à la description qu'il en avait donnée : brillante de propreté à l'image de sa propriétaire dont la coiffe blanche ressortait, comme les assiettes de faïence naïve, sur le satin sombre de ses vaisseliers bien cirés. Laura y dormit dans un bon lit après un souper de moules, de truites et de crêpes auquel participa Merlu, invité par Crenn. Les émotions de la veille l'avaient rompue et il faisait grand jour quand elle se réveilla mais la journée lui parut longue parce qu'elle ne savait trop à quoi l'occuper. Il faisait froid et gris. Aussi, à l'exception d'une promenade au bord de l'Arguenon et d'une autre à une source que l'on disait miraculeuse et dont Etiennette jurait qu'elle guérissait toutes les maladies [xix], Laura la passa au coin de la grande cheminée de granit rosé à regarder la petite aubergiste, aussi ronde qu'une pomme, vider des poissons, gratter des coquillages ou préparer la pâte des galettes, mais sans beaucoup parler. Au cours des dernières années, Etiennette avait appris à se méfier des gens qu'elle ne connaissait pas. Au long des côtes d'Armorique, larges ouvertes sur la mer et l'Angleterre, les espions fleurissaient presque autant que les clandestins en route vers plus de liberté et une apparence aristocratique ne signifiait pas forcément que la personne appartînt à la cause dont - Laura l'aurait juré ! -Etiennette était partisane. Et de toute façon la conversation n'était pas son fort. Jaouen, lui, erra dans le pays. Aussi fut-ce avec un soupir de soulagement qu'au crépuscule, Laura le vit revenir en compagnie d'Alain Crenn.

Celui-ci pourtant semblait très soucieux :

- Nous rentrons bredouilles ! soupira-t-il en étalant devant le feu son manteau de cheval qui dégagea aussitôt une forte odeur de chien mouillé. Le citoyen Tangou avait raison : La Fougeraye semble avoir disparu de la surface de la terre aussi radicalement que s'il avait été enlevé au ciel ! Nous avons fouillé le village sur les deux rives et deux de nos hommes sont allés jusqu'à Saint-Jacut...

- Et le couvent ? demanda Laura. Avez-vous réussi à y entrer en dépit des pièges dont on m'a parlé ?

- Des pièges ? Et pour garder quoi ? Le couvent est vide, madame. Il ne reste même rien des meubles que les trois derniers religieux ont bien été obligés de laisser en s'enfuyant. Les pillards sont passés par là...

- Il n'y a rien ? murmura la jeune femme profondément déçue.

- Absolument rien. Je suis désolé...

- Pourtant, M. de la Fougeraye était certain de son fait !

- Je ne sais sur quoi il fondait cette certitude. En tout cas la preuve est là : il n'y a rien... Ah si, tout de même, j'ai trouvé ceci.

De sa poche, il tira un objet de métal terni, une sorte de sceptre en miniature dans lequel tintait un grelot. Un ruban fané s'y attachait encore.

- C'est un hochet d'enfant, je crois, et il devrait être en argent.

- Il est en argent, dit Laura en s'emparant du petit jouet dont elle frotta la tête avec son mouchoir avant d'ajouter avec émotion : il appartenait à mon frère et ma mère y tenait beaucoup ! Tenez, voyez ! Voici nos armes gravées... Et il était au couvent ?

- Oui, dans un coin où il a dû rouler.

- Eh bien, cela devrait suffire à vous prouver que M. de la Fougeraye ne se trompait pas. Les dépouilles de la Laudrenais ont séjourné dans cette maison. Autrement, je ne vois pas comment en expliquer la présence.

- Peut-être, mais qu'elles y soient venues est pour vous sans intérêt puisqu'elles n'y sont plus. Sans doute ont-elles été embarquées par la suite.

- Avec votre permission, capitaine, ce raisonnement ne tient pas, intervint Jaouen. Reprenons l'affaire à son début. Les déménageurs de la Laudrenais se sont servis de barges. En ce cas, je ne vois pas pourquoi on se serait donné la peine de hisser tout ce chargement jusqu'au monastère pour ensuite le remporter jusqu'à un navire ? Il était plus simple d'y aller directement à ce navire.

- Il est probable que tu as raison, reprit Crenn sans se formaliser, mais pas complètement. Moi, je vois la chose différemment : Pontallec s'est fait donner le vieux couvent pratiquement abandonné par ses moines dans l'intention d'en faire le coffre au trésor de toutes ses rapines et il y a joint ce que contenait la malouinière familiale, avec la bénédiction de son ami Le Carpentier. Là-dessus le vent s'est mis à souffler pour eux du mauvais côté mais peut-être avait-il pu faire passer certaines choses en Angleterre ou à Jersey. Peut-être aussi une grande partie se trouvait-elle à bord du vaisseau qui l'attendait au large de Saint-Malo au moment où le lougre a explosé ? Quant à ce qui pouvait rester au couvent, il est probable que les gens du pays en aient fait leurs choux gras. A commencer par l'aubergiste dont la tête et le comportement ne me reviennent pas du tout !

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xix

Devenue une excellente eau de table, l'eau de Plancoët est appréciée dans toute la Bretagne.