Выбрать главу

- Oh, les voisins sont au courant. D'ailleurs, il n'y avait aucune raison de se cacher puisque la gendarmerie a recherché elle-même La Fougeraye. Je m'y suis rendue au lendemain de son arrivée chez nous.

- Et avez-vous dit d'où vous le sortiez ?

- Je ne jouerais jamais un aussi mauvais tour à Yann Gornek. J'ai dit que je l'avais trouvé errant sur la lande et que d'abord je ne l'avais pas reconnu, déguenillé qu'il était avec la barbe longue, les traits ravagés et le vieux chapeau cachant son crâne rasé où les cheveux repoussent mal, mais qu'ensuite j'avais pensé que la seule chose à faire était de le ramener à la maison.

- Et vous comptez le garder ?

- Où voulez-vous qu'il aille dans son état ? Il a encore besoin de soins...

- Qu'on pourrait peut-être lui dispenser chez lui ? H ne vit pas seul à La Fougeraye que je sache, et ses serviteurs m'ont paru dévoués.

Mlle Louise rougit aussi violemment qu'aurait pu le faire la sensible Léonie, toussa pour éclaircir une gorge soudain encombrée.

- Certes, certes ! Mais vous savez que sur son promontoire le domaine est loin de tout, sauf de la mer. Chez nous, en ville, nous disposons de plus de facilités à commencer par notre médecin et un apothicaire...

- Et surtout, assena Laura en souriant, Mlle Léonie tient essentiellement à soigner de ses mains un blessé qui lui est cher ?

Louise de Villeneux ne put s'empêcher de rire :

- Je vois que vous savez à merveille " délaby-rinther " les sentiments et j'aurais dû parler plus net. Les temps ne sont plus aux mignardises de salon ! Voilà des années que ma sour souhaite s'attacher notre ami et, même réduit à cet état, elle en est heureuse. Les soins qu'elle lui donne sont touchants, ajouta-t-elle en reprenant son sérieux.

- Je n'en doute pas et je suppose qu'il est inutile de vous rendre votre visite... puisque M. de la Fougeraye ne se souvient de rien ?

- Inutile, en effet ! Mais je tenais à ce que vous cessiez de vous tourmenter à son sujet.

- Merci. Une question se pose encore, cependant. Qui l'a mis dans cet état ? L'aubergiste du Guildo ? Il a une vraie tête d'assassin...

- J'y ai pensé, bien sûr, mais pour quelle raison aurait-il agi ainsi ? Yann a parlé d'une chute malencontreuse dans les rochers...

- Qu'est-ce que La Fougeraye serait allé y faire en pleine obscurité et alors que, peu confiant justement dans l'aubergiste, il m'avait annoncé son intention de ne pas se coucher et de passer la nuit dans la salle ? Votre Gornek me paraît moins intelligent que vous le dites...

- Ne vous y trompez pas ! Il m'a servi ce qui ressemble à une version officielle. Mais il n'y croit pas... Et maintenant, La Fougeraye va rejoindre la collection de légendes affreuses qui courent sur le château de Gilles de Bretagne-Mile Louise acheva le café qu'elle avait bu avec une visible délectation et se leva. Laura en fit autant mais, au lieu de l'accompagner au-dehors, elle la pria de l'attendre, s'éclipsa et revint portant un sac de jute d'environ trois livres, fermé par un lien scellé d'un cachet rouge :

- Votre blessé aime beaucoup le café, dit-elle et, avec ce mauvais hiver, vous en manquez peut-être un peu ce qui n'est pas notre cas.

A nouveau la vieille demoiselle rougit mais cette fois, ce fut de plaisir. Empoignant alors Laura aux épaules, elle lui plaqua un baiser sonore, à la paysanne, sur chaque joue :

- Merci ! dit-elle émue. Vous êtes un brave cour ma petite, et moi je n'en ai jamais douté...

Au moment où elle allait partir, Laura s'avisa que le temps était toujours aussi exécrable et la retint :

- Vous n'allez pas rentrer ce soir à Plancoët ? Le mieux serait de rester ici ?

- Je vous remercie mais non. Je ne rentre pas chez nous ce soir. Passé la Rance, je sais où trouver un lit.

Laura n'insista pas et reconduisit enfin sa visiteuse. En rentrant avec Jaouen qui avait mis la vieille fille en voiture, elle ne put s'empêcher de remarquer :

- Il me semble que, chez lui, au milieu de ses habitudes, La Fougeraye aurait plus de chances de recouvrer la mémoire ? Le garder à Plancoët n'a aucun sens.

- C'est aussi mon avis mais la mégère que j'ai vue l'autre jour n'a sans doute pas le même point de vue. Un mauvais hasard lui a livré celui qu'elle aime. Elle fera tout pour le garder. Vous devriez le comprendre ?

- Oh, je comprends tout à fait. Eh bien, laissons ce pauvre homme à son sort ! Il a au moins l'avantage de lui faire oublier ses haines comme ses amours et la cruelle blessure infligée par sa fille. C'est peut-être mieux ainsi...

Et Laura remonta dans sa chambre, emportant la pénible impression d'être de moins en moins utile et de ne servir à rien. Le silence de la maison dont les épais murs de granit étouffaient les bruits lui parut soudain insupportable. Alors que Lalie débordait d'activité, elle-même ne se trouvait plus aucun pôle d'intérêt : elle se faisait l'effet d'un naufragé jeté par la mer sur un îlot stérile sans aucun moyen de communication avec un vaste monde où chacun s'affairait, courait à ses travaux, à ses amours... Elle découvrait chaque jour davantage à quel point elle avait changé... à quel point Batz l'avait changée ! Il ne restait plus grand-chose de la petite marquise de Pontallec, ravagée de douleur par la mort de son enfant et tentant désespérément de s'accrocher à l'homme qu'elle avait épousé, cherchant simplement la mort quand elle se sut abandonnée. Et Batz était venu et rien n'avait été comme avant. A présent, Laura découvrait que du fond de sa belle demeure bretonne, elle regrettait jusqu'aux temps affreux de la Terreur où la peur du lendemain mais surtout la crainte de ce qui pouvait arriver à celui qu'elle aimait donnaient son prix à chaque jour.

Ce soir-là, prétextant une migraine, elle ne descendit pas souper, resta de longues heures pelotonnée au coin du feu comme faisait Marie jadis quand elle attendait le retour de son amant à cette différence que Laura n'avait à attendre le retour de personne. Quand Bina puis Lalie montèrent la voir, elle ferma les yeux, feignant le sommeil, et elles se retirèrent sur la pointe des pieds. Et quand, enfin, elle se coucha, elle ne réussit pas à dormir, hantée par l'idée déprimante que personne sur cette terre n'avait besoin d'elle. Surtout pas Jean de Batz puisque, depuis des mois, il ne donnait plus de nouvelles !

Se laisser abattre ainsi sans réagir ne ressemblait pas plus à Laura Adams que celle-ci ne ressemblait à Anne-Laure de Pontallec. Elle n'avait plus rien de la victime résignée à son sort et quand elle fut au bout de ses larmes et de ses interrogations elle découvrit qu'au-delà des jours heureux vécus à Charonne, le logis qu'elle regrettait le plus n'était pas son petit hôtel de la rue du Mont-Blanc mais les deux pièces qu'elle avait occupées avec Mme Cléry à la Rotonde du Temple [xxii] quand toutes deux s'efforçaient d'apporter, par la musique, un peu de distraction à la famille royale, encore au complet, emprisonnée dans la Tour.

Une envie soudaine, brûlante, insistante, lui vint d'y retourner pour essayer d'apercevoir cette enfant toujours captive du sinistre donjon. Elle, peut-être, avait besoin d'un dévouement, d'une tendresse dédaignés par d'autres. Il lui restait au moins quelqu'un à aimer et Laura enfin s endormit quand elle eut pris la décision de partir pour Paris.

N'importe quel prétexte ferait l'affaire, même si l'armement Laudren n'avait plus besoin de la petite fortune déposée chez Lecoulteux. De préférence un bon prétexte, car elle ne se berçait pas d'illusions : Lalie et Jaouen feraient tout pour l'empêcher de retourner dans une ville dont leur affection grossissait les dangers connus au travers des rares nouvelles que l'on en recevait... Mais elle tiendrait bon. Même si Batz restait introuvable, Laura avait envie de revoir Pitou, Swan et ses amis américains, Talma et Julie et...

вернуться

xxii

Voir tome II.