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Et ce fut de cette dernière que vint le salut.

Quand Madec Tevenin revint de la poste aux lettres où il était allé chercher le courrier comme il le faisait trois fois la semaine, il rapportait une missive venant de Paris et adressée à " la Citoyenne Adams, aux bons soins de la Citoyenne Laudren ". C'était Julie Carreau, épouse Talma, qui écrivait :

" Sans nouvelles de vous depuis si longtemps, ma chère amie, je me prends à douter si vous vous souvenez encore de moi. Cependant, outre le plaisir de me rapprocher de vous par ces quelques lignes, il me faut - et je vous en demande excuses ! - vous écrire pour une très vulgaire question d'affaires. Le bail de votre maison de la rue du Mont-Blanc arrivera sous peu à expiration et je voudrais savoir si vous souhaitez le renouveler ou me rendre la disposition des lieux. Si vous preniez cette dernière décision j'en serais désolée parce qu'elle signifierait que vous vous détachez de vos amis parisiens qui seraient pourtant tellement heureux de vous revoir. Mais il est possible aussi que la vie chez nous ne vous séduise plus. Il est vrai qu'elle est bien folle en ce moment : trop gaie pour certains, trop difficile pour d'autres dont j'ai bien peur de faire partie. Par grâce, écrivez-moi vite un mot qui m'apporte au moins la certitude qu'il vous arrive de penser encore à votre affectionnée Julie... " La lettre s'achevait sur un post-scriptum qui fit bondir le cour de la jeune femme : " Notre ami B. que vous aviez autorisé à user de la maison à sa convenance est venu hier m'en rapporter les clefs. Je n'étais pas seule et il ne m'a donné aucune explication mais il a promis de revenir. "

Sa réaction fut immédiate. Après avoir consulté un calendrier, elle se mit à la recherche de Bina qu'elle trouva occupée à balayer la chambre de Lalie :

- Laisse là ton balai et cours à la poste aux chevaux me retenir une place pour demain dans le coche de Rennes. La " malle " pour Paris en part dans deux jours. Ensuite tu reviendras faire mes bagages !

Au lieu de s'élancer, la jeune fille se figea sur place.

- Vous partez ? Et toute seule ?

- Oui. C'est préférable. Mon passeport délivré par le Comité de sûreté générale est toujours valable et il faudrait que j'en fasse faire un pour toi. Je n'ai pas le temps...

- Alors, vous n'emmenez pas non plus Jaouen ? Il y avait une note d'espérance dans la voix de

Bina qui ne désespérait toujours pas de toucher le cour de l'intendant.

- Non. Je compte loger chez Mme Talma à qui je rendrai l'hôtel de la rue du Mont-Blanc. Je n'ai besoin de personne mais, s'il te plaît, dépêche-toi ! Je suis pressée.

- Oui mais que va dire Jaouen quand il rentrera ?

Il s'était rendu en effet à la Fougeraye pour apprendre aux serviteurs que leur maître vivait toujours mais qu'il serait sans doute absent pendant quelque temps. La remarque de Bina eut cependant le don d'irriter sa maîtresse :

- Jaouen ! Jaouen ! Est-ce lui qui commande ici ? Fais ce que je te dis et ne discute pas !

Bina enfin partie, Laura rentra chez elle pour commencer ses préparatifs. Lalie serait prévenue de son départ au repas du soir, ce qui laissait le temps à la joie de s'épanouir. Laura se sentait l'âme d'une pensionnaire à la veille des vacances. De ce que lui écrivait Julie, elle ne retenait qu'une chose : Batz était à Paris et la seule idée de le revoir l'emplissait d'un bonheur qui lui donnait envie de rire et de pleurer tout à la fois. Que la capitale fût affamée et redevînt dangereuse ne la tourmentait guère. D'ailleurs, le printemps arrivait et il serait pour elle le plus beau de tous puisque l'amour allait l'illuminer. Et il fallait qu'il en soit ainsi ! Foin des scrupules, des souvenirs et même de la pudeur ! Si Jean ne venait pas à elle, elle irait à lui et elle lui dirait qu'elle l'aimait plus que tout, qu'elle voulait être à lui, partager sa vie, ses jours comme ses nuits, connaître enfin cette ivresse de l'âme et du corps que Marie avait connue et emportée avec elle dans la mort. Avec Batz tout était possible, car c'était un magicien et, ayant enlevé du Temple le petit roi, il saurait bien comment en faire sortir sa sour !

Quand vint l'heure du souper, Laura descendit rejoindre Lalie armée de toute sa détermination, prête à livrer combat contre tout ce qui ferait mine de s'opposer à son dessein. Elle trouva son amie déjà assise à table et lisant un papier qu'elle mit de côté en entendant arriver Laura. Lalie lui sourit :

- Alors, dit-elle, vous nous quittez ? Une décision bien soudaine, il me semble ?

- Très et je pensais vous l'annoncer moi-même mais on dirait que Bina m'a précédée ?

- Je l'ai trouvée en train de pleurer sur une de vos chemises qu'elle repassait. Je lui ai demandé pourquoi.

- Elle n'a aucune raison de pleurer. Je ne l'emmène pas, et pas davantage Jaouen qui sera plus utile ici : j'ai reçu une lettre de Julie Talma. Elle a besoin de moi et je pars demain matin par le coche...

- Une drôle d'idée. Si vous êtes pressée, la diligence n'est pas le moyen le plus rapide...

- Le coche est plus sûr, étant donné les surprises que peut rencontrer une voiture isolée. En outre, je ne regagne pas Paris pour tenir maison ouverte rue du Mont-Blanc. Je vais en rendre la disposition à Julie et je passerai quelques jours chez elle en attendant de trouver un logis selon mon goût.

- Qu'entendez-vous par là ?

- Je vous ai raconté mon séjour à la Rotonde du Temple avec Mme Cléry. C'est là que je voudrais retourner. Et pour habiter deux petites pièces, je n'ai pas besoin de femme de chambre. Encore moins d'un intendant !

Le visage jusqu'alors serein de la vieille dame s'assombrit :

- J'aurais dû m'en douter, murmura-t-elle. Vous voulez vous rapprocher de celle qui est toujours là-bas ?

- Oui. Quelque chose me dit qu'elle aura besoin de moi. Ne me demandez pas de vous expliquer cette sensation.

- Mais que pourrez-vous faire, seule et sans aide ?

- Vous savez bien que je ne manque pas d'amis à Paris. Quant à l'aide, j'espère en avoir. Tenez, lisez ! ajouta-t-elle en tendant la lettre de Julie pardessus la table. Lalie chaussa ses besicles, parcourut le message et le rendit à Laura qu'elle contempla un instant sans rien dire. Il y avait sur le visage de la jeune femme, dans l'expression de ses yeux noirs le reflet d'un bonheur en gestation, d'une attente heureuse qui l'émut sans qu'elle voulut le montrer.

- Je crois qu'à votre place j'agirais de même, soupira-t-elle. Cependant, je vous supplie d'être prudente, Laura. Ceux qui vous aiment ne sont pas tous à Paris !

- Et ceux que j'aime non plus, vous le savez bien, dit-elle, touchée de voir la cuillère à potage trembler légèrement dans la main de Lalie. Vous m'êtes plus chère que ne l'était ma mère et j'ai besoin de savoir que vous êtes avec moi. Ce qui ne sera sûrement pas le cas de tout le monde...

- Vous pensez à Jaouen ? Rassurez-vous, il est au courant...

- Et il ne dit rien ? Il fait des progrès ajouta Laura soulagée...

Mais le lendemain matin quand elle demanda à Elias d'aller chercher une brouette pour porter son bagage au coche, elle vit une chaise de poste s'arrêter devant la maison. Jaouen était sur le siège du cocher dont il portait l'équipement. Sans la regarder, il sauta à terre et voulut s'emparer de la petite malle et du sac mais elle l'arrêta d'un sec :

- Laissez cela !

Plein d'éclairs, son regard foudroya son serviteur :

- Qui vous a ordonné de commander ça ? Visiblement prêt à l'affrontement, il serra son poing unique et ouvrit la bouche pour répondre quand Lalie déclara :

- C'est moi Laura. Ne vous en prenez qu'à moi.

- Mais pourquoi ? Je veux voyager seule et, en outre, il ne peut être question d'encombrer Mme Talma plus qu'il ne faut...

- Eh bien, Jaouen rentrera une fois que vous serez à destination, mais je vous en prie prenez la chaise ! L'idée de vous savoir cahotée pendant des jours et des jours au milieu de gens plus ou moins agréables m'est insupportable. Si je n'avais tant à faire je viendrais avec vous, mais puisque vous partez seule, permettez-moi... permettez-nous de veiller à ce que vous voyagiez plus confortablement... et plus rapidement ! N'avez-vous pas dit que vous étiez pressée ?