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Ce fut seulement quand ils se retrouvèrent côte à côte dans la blancheur des draps froissés que Jean, se hissant sur un coude, dit :

- Bonjour !... C'est gentil d'être venue me surprendre de si bon matin ! Je n'ai jamais eu de petit déjeuner aussi délicieux !

Il riait de toutes ses belles dents blanches et ses yeux noisette pétillaient tandis que ses doigts effleuraient les douces rondeurs du corps étendu contre le sien :

- Délicieux mais insuffisant, reprit-il. Savez-vous ma belle que j'ai encore très faim ?

Et il le lui prouva.

Cela dura cinq jours. Cinq jours de passion, de silences, de murmures, de folie et aussi d'infinie tendresse. Jean et Laura se découvraient et cette découverte les emportait vers des enchantements infinis. Portes closes sauf pour le porteur d'eau - ils prenaient un plaisir extrême à se baigner ensemble ! - et pour l'homme qui leur apportait leurs repas de chez un traiteur voisin, les deux amants oublièrent tout ce qui n'était pas eux, les mots qu'ils se disaient, anciens comme l'humanité mais qui leur paraissaient merveilleusement neufs et, après l'amour, les moments de repos qui ne les séparaient pas : ils mêlaient leurs souffles comme ils avaient mêlé leurs corps et les bras de Jean ne permettaient jamais à Laura de s'écarter de lui. Mais il dormait moins qu'elle, en homme pour qui l'alerte fait partie de tous les jours, et il restait de longs moments à contempler sa beauté pure sertie dans la broussaille soyeuse de ses cheveux dénoués et, comme Pygmalion devant sa statue, il s'émerveillait du tendre rayonnement que lui donnait l'amour comblé. Entre ses mains, elle était devenue une autre femme, une femme dont il savait qu'il la désirerait toujours, qu'il l'aimerait toujours. Alors, sans l'éveiller, il s'emparait d'elle et Laura passait de ses rêves à la plus brûlante, la plus délicieuse réalité...

Au matin du sixième jour, ce fut un simple morceau de papier qui referma les portes du Paradis pour ce nouvel Adam et cette nouvelle Eve : une lettre portée par un commissionnaire. Jean lut et disparut : le baron de Batz reprenait le devant de la scène.

- Je vais devoir partir pour Bruxelles, soupira-t-il. La nouvelle de la mort officielle de Louis XVII a plongé dans le marasme les royalistes de Paris mais plus encore ceux de là-bas qui doivent former le noyau d'une armée de reconquête. Il faut que j'aille réchauffer les enthousiasmes et...

- Au nom de qui pourrais-tu le faire, puisque pour tous il passe pour être mort ? Vas-tu travailler pour le Régent qui, à cette heure ne doit plus l'être...

- Tel que je le connais il n'a pas perdu une minute pour se proclamer roi : le roi Louis XVIII, ajouta Batz avec amertume. Depuis sa naissance je crois, il rêve de ce moment. Bien que, si les choses s'étaient passées comme il l'escomptait, Louis XVI n'aurait jamais eu d'enfants et c'est lui qui aurait été Louis XVII. De toute façon, la plupart des royalistes vont se tourner vers lui et ma politique à moi, à présent, consistera à faire mine de me convertir à cette religion-là parce qu'il ne faut plus diviser nos forces. Ouvrons donc pour Louis XVIII et, quand le chemin du trône sera ouvert, j'irai chercher mon petit roi pour l'y installer !

- Et tu crois que Monsieur se laissera déposséder ainsi ? Il criera à l'imposture et tu n'auras aucune chance de prouver ta vérité.

- Tu oublies le prince de Condé, peut-être le duc de Bourbon son fils qu'il a dû mettre dans le secret et surtout le jeune duc d'Enghien qui, lui, sait où se trouve le vrai Roi... Et puis, lorsqu'il s'agira de montrer la voie à la noblesse de France, il reste ce document meurtrier que détient mon ami Orner Talon...

- Quel document ?

- La confession du marquis de Favras, pendu en 1790 pour avoir voulu " enlever " Louis XVI et l'écarter définitivement du pouvoir. Talon qui était alors l'avocat et l'ami de Favras l'a recueillie dans sa prison avant l'échafaud. La perte de " Louis XVI " y est inscrite en toutes lettres. Je l'ai lue. Donc je pars et je t'en demande infiniment pardon, mon amour, mais tu sais que je n'ai jamais laissé mon bonheur passer avant mon devoir. Que vas-tu faire maintenant ? Tu rentres chez toi ?

- Non. Au Temple ! Au cas où tu l'aurais oublié. il y a là-bas une adolescente qui pourrait, elle aussi, avoir des droits et reprendre à son compte les voux de ceux qui rêvent d'une monarchie constitutionnelle.

- Je ne l'oublie pas, Laura. Et je reviendrai m'occuper d'elle.

Seulement vêtue de ses jupons, Laura avait pris sa robe mais la laissa retomber, la mine découragée...

- Faut-il vraiment que je rentre au Temple à demi-nue ? Tu as tranché les rubans de cette robe...

Il se mit à rire et la prit dans ses bras pour lui donner un baiser qui manqua de peu les renvoyer sur le lit dévasté :

- Crois-tu que je permettrais à qui que ce soit de contempler la moindre parcelle de ton corps ? Je suis jaloux, tu sais ? ajouta-t-il soudain très grave avant de conclure : Attends-moi un instant. Je vais en chercher d'autres. Il y a un mercier pas loin d'ici...

Une demi-heure plus tard, Laura quittait l'hôtel de Beauvais dans un fiacre que Jean lui avait ramené. Elle était tirée à quatre épingles, coiffée à ravir - Jean lui-même s'en était chargé - et le soleil éclatant de ce jour de juin autorisait le grand chapeau de paille qui, sous la pluie, eût été ridicule. Comme Marie, jadis, elle ne savait pas quand elle le reverrait mais elle emportait une fabuleuse moisson de bonheur et de ces souvenirs que l'on ne confie jamais à personne, même à l'amie la plus chère, qui font éblouissant le jour le plus gris et chaudement émouvante la nuit la plus froide. Ce que Laura ignorait, c'est que le rayonnement qui émanait d'elle, contre lequel on ne peut rien et que donne l'amour comblé.

En la voyant revenir, Louise Cléry sut tout de suite qu'elle sortait des bras d'un homme. Ce n'était pas difficile à deviner, puisqu'elle portait les mêmes vêtements que lors de son départ : donc Laura n'était pas rentrée chez elle. Mais si elle devina, elle n'en dit rien, se contentant de rassurer son amie : non, elle ne s'était pas vraiment inquiétée, pensant que si Laura ne donnait pas signe de vie c'est qu'elle devait être trop occupée. Elle-même d'ailleurs avait eu l'esprit absorbé. Elle et Lepitre avaient beaucoup joué, chantant à pleine voix les airs qui pouvaient le mieux distraire la jeune prisonnière si on lui avait appris la mort de son frère. En outre, Meunier avait laissé entendre que celle-ci pourrait bénéficier prochainement de grands adoucissements dont le premier serait la promenade au jardin...

- fl paraît même que le Comité de sûreté générale fait choix ces jours-ci d'une femme autorisée à venir s'occuper d'elle...

- Mon Dieu ! gémit Laura. Quel genre de virago ces hommes vont-ils désigner ?

- Nous ne sommes plus sous Robespierre et je crois que l'on mettra quelque soin à envoyer quelqu'un de convenable...

- Pourquoi ne pourrions-nous pas nous proposer, vous et moi ?

- Ne rêvez pas, Laura ! Nous en avons été trop proches autrefois et nous n'aurions pas plus de chance que Mme de Tourzel, sa fille, ou la vieille Mme de Mackau qui fut jadis sous-gouvernante, d'être acceptées.

- Se seraient-elles proposées ?