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- Oui. Dès que la nouvelle a été connue, elles ont fait acte de candidature auprès du Comité de sûreté générale et c'est aujourd'hui qu'il doit se décider. Mais vous ne l'avez pas su ? Vous étiez partie loin, alors ?

- Très, très loin, murmura le jeune femme en souriant aux merveilleuses images enfermées dans sa mémoire. Elles seraient un précieux viatique pour les jours difficiles qui ne pouvaient manquer de revenir puisque le temps des illusions était révolu pour les innombrables Français qui mettaient ou commençaient à mettre leurs espoirs dans une monarchie constitutionnelle capable de rendre au pays une représentation fiable, honorable et continue tout en préservant les acquis les plus importants de la Révolution. Ces espoirs, le nouveau roi, depuis Vérone, venait de les balayer en quelques traits de plume par un manifeste qui n'avait pas grand-chose à envier à celui, fameux, de Brunswick qui, en 1792 avait jeté les faubourgs à l'assaut des Tuileries et scellé le destin tragique de la famille royale tout entière sans compter celui des nombreux malheureux massacrés dans les prisons... Louis XVIII entendait " venger son frère en punissant les régicides sans merci, rétablir les trois ordres (noblesse, clergé et tiers état) comme avant 1789, restaurer les parlements dans leurs droits antiques, prendre ce qui restait de l'Assemblée constituante et fusiller les acheteurs des biens du Clergé... ", sans compter d'autres gracieusetés qui laissaient prévoir un sort tragique à une moitié de la population parisienne, grande responsable des événements des derniers mois. En fait, un retour pur et simple à l'Ancien Régime, à cette différence près que, beaucoup moins chrétien que le Roi martyr, celui qui se voulait son héritier userait d'une poigne plus énergique et ramènerait l'ordre de gré ou de force..

En lisant les gazettes dans les jours suivants, Laura comprit qu'elle ne reverrait pas Jean de sitôt. Une nouvelle chasse aux sorcières commençait contre ceux que l'on soupçonnait d'être les agents de Louis XVIII et la royauté, un instant reparue dans les lumières de l'espérance, retombait aux pires ténèbres de l'oubli volontaire. Alors, tout ce que souhaita la jeune femme fut que Batz restât à Bruxelles le plus longtemps possible, parce qu'il était sur la liste des émigrés et que son retour pour reprendre le combat contre une Convention plus que jamais décidée à vendre chèrement sa peau risquait de l'amener à sa perte totale. Si l'on mettait la main sur lui, il n'aurait pas droit à la relégation en Guyane devenue la peine à la mode mais on le jetterait à une guillotine en train de reprendre du service...

Quelques jours plus tard, les musiciens de la Rotonde apprirent que la citoyenne Chanterenne venait d'être nommée pour " servir de compagne à la fille de Louis Capet ". Et, en effet, au matin du 21 juin, Louise et Laura virent arriver au Temple une jeune femme d'une trentaine d'années, bien vêtue, distinguée, le visage doux et l'allure élégante prévenaient en sa faveur qui présentait son laissez-passer aux gardes de la porte... Et naturellement, la curiosité les dévora.

Elles apprirent assez vite que la nouvelle venue s'appelait Madeleine-Elisabeth-Renée-Hilaire La Rochette, épouse d'un certain Bocquet de Chanterenne qui était l'un des chefs de la Commission administrative de la police, qu'elle avait trente-trois ans et qu'elle habitait au 24 rue des Rosiers, pas très loin du Temple, après avoir vécu sa jeunesse à Couilly, près de Meaux. On sut aussi qu'elle parlait et écrivait bien le français, savait l'italien et un peu d'anglais et qu'elle avait appris la géographie, l'histoire, le dessin, la musique, possédait des teintes d'autres talents, était chargée de renouveler la garde-robe de la jeune fille et de rendre le Temple à peu près habi table pour elle. Naturellement elle devrait rendre des comptes et sa consigne la plus sévère était l'interdiction de répondre à toute question concernant le sort de sa mère, de sa tante et de son frère...

Les deux observatrices constatèrent d'abord l'abattage des entonnoirs de planches qui transformaient la chambre de Marie-Thérèse en quelque chose d'à peine plus éclairé qu'un tombeau. Et puis le 28 juin, vers cinq heures du soir, ce fut l'événement que l'on espérait sans oser y croire : la princesse, soutenue par Mme de Chanterenne, apparut sur le seuil de sa prison, un seuil qu'elle n'avait pas franchi depuis trois ans et le cour de Laura tressaillit dans sa poitrine : en dépit des années de claustration, c'était bien la plus ravissante jeune fille qui se pût voir.

Vêtue d'une jolie robe de soie verte - le noir révélateur était sévèrement banni -, un fichu de mousseline blanche autour de ses épaules, elle portait sur ses beaux cheveux blonds un peu argentés qui bouclaient jusqu'au milieu de son dos un petit affiquet de velours de même couleur que sa robe. De sa mère elle tenait la grâce, les grands yeux bleus et l'éclat d'un teint " qui ne prenait point les ombres [xxvi] ".

Elle s'arrêta un instant, éblouie par le grand soleil et l'azur intense du ciel qu'elle regardait comme si elle le découvrait pour la première fois. Dans la longue vue que Mme Cléry avait rapportée en revenant au Temple, Laura put voir que ses mains tremblaient un peu, celle du moins qui ne s'accrochait pas à la manche de sa compagne, et que Marie-Thérèse paraissait très émue. Mme de Chanterenne aussi, qui l'entourait d'une visible sollicitude. Et soudain, Laura et Louise s'aperçurent qu'elles n'étaient pas les seules à jouir de cet instant précieux : à toutes les fenêtres de la Rotonde et même des autres bâtisses d'où l'on pouvait apercevoir le Temple, il y avait des spectateurs et ils explosèrent en un énorme vivat auquel les deux femmes se joignirent avec enthousiasme.

Un sourire de bonheur illumina le -visage encore enfantin et, sans quitter l'appui de sa compagne dont elle prit la main dans la sienne, Madame Royale offrit une grande révérence à ceux qui l'acclamaient avec tant de spontanéité.

Pour un peu on se serait cru à Versailles et les spectateurs sentirent leur courage se renforcer : il fallait que cette charmante enfant, l'unique espoir de continuer Louis XVI et Marie-Antoinette, quitte l'affreuse tour pour des lieux plus conformes à sa grâce. Le petit peuple de Paris commençait d'ailleurs à s'attendrir sur elle. Oui, ce fut un beau jour que celui de sa première sortie, un jour aux couleurs de l'espérance...

On ignorait que, pendant ce temps, un grand drame se jouait en Bretagne. Sur les instances du comte d'Artois qui rêvait de mener une attaque contre la République, trois mille cinq cents émigrés s'étaient embarqués quelques jours plus tôt sur des navires sous les ordres de sir John Warren. Ils étaient commandés par le comte de Puisaye, le marquis d'Hervilly qui avait été le dernier commandant des Tuileries le 10 août et le comte de Sombreuil, mais le " Prince " n'était pas avec eux. Les Anglais fournissaient tout : navires, argent, armes, mais aucun soldat. On devait débarquer dans la baie de Quiberon et y faire jonction avec les chouans du Morbihan conduits par le chevalier de Tinténiac et le formidable Georges Cadoudal. Et d'abord, tout alla bien : le débarquement s'était effectué la veille, quand la petite Madame retrouvait la couleur du ciel et, le jour même on occupait le port de Quiberon cependant que les chouans s'emparaient d'Auray. Hoche et les Bleus étaient à Vannes. C'est alors que la trahison d'une femme, Louise de Pontbellanger, qui était à la fois l'épouse d'un émigré et la maîtresse de Hoche, envoya sur un faux renseignement Cadoudal à l'autre bout du golfe du Morbihan tandis que Hoche marchait vers Quiberon où l'armée émigrée s'était attaquée au Fort-Penthièvre gardant la partie la plus étroite de la presqu'île. Il les empêcha de sortir de cette nasse pour marcher sur Rennes où tout le pays les aurait rejoints.

Après nombre de marches et de contremarches, la bataille décisive eut lieu le 17 juillet, tout de suite meurtrière. Puisaye qui était retourné à bord suppliera vainement Warren d'intervenir : il permettra seulement à une frégate d'ouvrir le feu mais comme elle tirera sur les combattants, elle tuera autant de royalistes que de républicains. Et là-dessus, la flotte s'éloigna... Le 22 juillet, Sombreuil se rendra à Hoche contre sa parole de respecter la vie des prisonniers. Et ce sera l'horreur de ce qui est devenu le champ des Martyrs près de la Chartreuse d'Auray [xxvii] : Hoche jugea bon de s'éloigner et tous les prisonniers - y compris les blessés ! -furent passés par les armes. Un massacre sans nom ! Le comte d'Artois, lui, n'avait pas jugé utile de quitter l'Angleterre. On lui avait tellement dit qu'on lui livrerait la Bretagne et la France sur un plateau !

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xxvi

Mme Vigée-Lebrun

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xxvii

Où sont enterrés les corps des fusillés.