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- J'espère qu'il n'en ira pas de même pour moi... Et elle entra.

La pièce que l'on ouvrait devant elle était de dimensions moyennes mais le plafond à ogives de pierre lui parut très haut. En face d'elle, il y avait une grande cheminée - sans feu, le temps étant encore chaud - que l'on ne pouvait pas ignorer mais du reste du mobilier Laura ne vit rien sinon le canapé sur lequel Marie-Thérèse Charlotte de France était assise, un livre à la main. Un livre qu'elle ne lisait plus : Mme de Chanterenne lui parlait à l'oreille et elle regardait avec étonnement cette femme qui venait chez elle, des rosés à la main.

Rencontrer ce regard bleu empreint de timidité bouleversa Laura. Oubliant son personnage, elle lâcha son bouquet et plongea dans une profonde révérence, telle que le plus sévère maître des cérémonies n'y eût rien trouvé à redire. Puis, sans se relever, elle attendit qu'on voulût bien l'y inviter

- On dirait, en effet, que la citoyenne a fréquenté la Cour ? remarqua Chanterenne avec un rien d'acrimonie.

Un instant interdite, la jeune fille ne dit rien mais, écartant son " mentor " d'un geste doux, elle vint à Laura, se pencha et prit ses mains tremblantes pour la relever. Lorsqu'elles furent face à face - Madame Royale avait beaucoup grandi et ressemblait à la Reine, en plus suave - elle regarda Laura au fond des yeux pendant quelques secondes puis sourit et, lui mettant les mains aux épaules, elle l'embrassa en chuchotant :

- Il y a longtemps que je vous espère, madame de Pontallec...

Après quoi elle se pencha, ramassa le bouquet où elle enfouit son visage :

- Comme elles sont jolies ! Vous n'avez pas oublié que j'aimais les rosés blanches ?...

- Je n'ai rien oublié des goûts de Votre Altesse Royale...

- Dites seulement Madame, je vous en prie ! La simplicité est de mise à présent... et plus de troisième personne !

- J'essaierai de m'y appliquer mais pour ce qui est de vos goûts, Madame, il m'est arrivé souvent d'en parler avec Pauline de Tourzel, sa mère et aussi la pauvre princesse de Lamballe...

C'était la pure vérité. Ce que Laura omettait seulement de dire, c'est qu'elle avait appris tout cela non sous les lambris dorés de Versailles -fréquentés au moment de son mariage - ni des Tuileries mais dans la prison de la Force où elle partageait une chambre avec les trois femmes durant la quinzaine de jours séparant le 10 août 1792 du 2 septembre de la même année. A ce moment et encore sous le choc des événements et de la découverte des vilenies de son époux, elle avait trouvé plaisir à parler de la petite fille qui l'avait séduite, à qui la Reine la destinait, et dont elle voulait tout savoir.

- Il est si doux de parler des absents ! Venez vous asseoir près de moi ! Ma chère Renette, ajouta-t-elle à destination de sa compagne habituelle, voulez-vous être assez bonne pour nous faire porter un peu de thé ? Je crois me souvenir que miss... Adams l'aimait beaucoup.

Gomin étant redescendu, il fallut bien que Mme de Chanterenne se mette elle-même à la recherche du breuvage demandé. Elle ne fut pas longtemps absente mais quand elle revint, hors d'haleine d'avoir grimpé l'escalier trop vite, ce laps de temps avait suffi à Laura pour expliquer son changement d'identité, donner son adresse et assurer la jeune fille de son absolu dévouement. Celle-ci l'avait écoutée avec de grands yeux un peu émerveillés comme elle eût écouté un conte, mais elle savait d'expérience que tout cela était vrai.

Quand Mme de Chanterenne revint, l'oil un brin soupçonneux, suivie à peu de distance par le jeune Caron, le garçon servant, on parlait musique et Marie-Thérèse riait :

- Saviez-vous, chère Renette, que miss Adams a fait partie des musiciens qui nous donnent tous ces jours de si jolis concerts ?

- Vraiment ? Et depuis longtemps ?

- Assez. Nous nous sommes installées une première fois à la Rotonde, Mme Cléry et moi, durant l'automne de 1792, et on nous en a chassées à la suite d'une dénonciation. Heureuses de nous en tirer à si bon compte, nous sommes revenues après Thermidor. Madame ne peut imaginer combien Louise Cléry lui est fidèle...

- Oui, le temps du malheur nous a permis de mesurer l'attachement de nos amis... et aussi l'indifférence de beaucoup d'autres. Les rois savent pourtant que le cour d'un courtisan est souvent bien sec...

- C'est une question de nature humaine, Madame, dit doucement Laura, mais à présent le tri est fait : il n'y a plus autour de vous que des cours dévoués.

- Je ne gagerais pas sur tous, corrigea Mme de Chanterenne. Et surtout pas, par exemple, sur cette soi-disant Bourbon-Conti qui nous accable de ses affections mais se montre particulièrement indiscrète. Les questions qu'elle pose embarrassent souvent Madame.

- Moins que celles que moi je me pose, dit Marie-Thérèse avec tristesse, et auxquelles ni elle, ni vous Renette, ni vous sans doute miss Adams ne voulez répondre. Tout le monde dit qu'on m'aime mais personne ne veut m'apprendre le sort de ma bonne mère, de ma chère tante. Quant à mon frère, je crois qu'il doit être fort malade car je n'entends plus de bruit chez lui...

Laura osa prendre dans les siennes les mains de l'adolescente et les y garder :

- On ne peut dire que ce que l'on sait. Les hommes de gouvernement ont toujours eu le goût du secret.

- Et ceux qui m'entourent y sont soumis sans doute...

Le thé apporta une agréable diversion, après quoi Laura demanda la permission de prendre congé.

- Nous vous accompagnons, dit la princesse. Il est l'heure d'aller au jardin : le concert va commencer. Allez-vous y prendre part ?

- Pas ce soir mais si j'en crois ce que m'a dit Mme Cléry, Madame devrait avoir aujourd'hui beaucoup mieux que moi : le célèbre chanteur de l'Opéra, Jean Elleviou, que je connais bien, a souhaité venir chanter pour elle.

- Vraiment ? Oh ! quel plaisir ! s'écria-t-elle en battant des mains.

- En ce cas il ne faut pas être en retard, ajouta Mme de Chanterenne qui semblait ravie elle aussi, même si Laura pensa que son départ à elle entrait peut-être un peu dans ce ravissement. Entre elle et la " chère Renette " le courant sympathique ne passait pas. On descendit donc et ce fut sous les arbres que Laura refit sa belle révérence.

- Vous reviendrez bientôt, n'est-ce pas ? dit Mme Royale en lui tendant une main qu'elle baisa.

- On m'accorde trois visites par semaine et je n'aurai garde d'en manquer une seule., sauf si Madame ne souhaitait plus me voir...

Dans les jours qui suivirent, Laura vint avec une grande exactitude. Elle rencontra deux fois Mme de Tourzel et Pauline et, à elles trois, elles s'ingénièrent à composer pour leur petite princesse un semblant de cour où l'on potinait autour des dernières nouvelles, ce qui mettait la surveillance de Mme de Chanterenne à assez rude épreuve. Le sourire joyeux de Marie-Thérèse était la plus belle récompense en même temps qu'il savait à merveille effacer les plis désapprobateurs du visage de " Renette " !

Pourtant, comme Laura arrivait, un après-midi, portant comme d'habitude un bouquet de fleurs - cette fois c'étaient des lys - Mme de Chanterenne vint l'accueillir dans l'antichambre en refermant derrière elle la porte du logis de Madame Royale. Elle semblait extrêmement émue :

- Je ne sais si vous pourrez la voir, chuchota-t-elle d'une voix oppressée. Un véritable drame s'est produit hier. J'avais dû m'absenter pour me rendre, avec la permission du Comité, auprès de ma sour malade, et Madame était seule pour recevoir cette peste de Montcairzin. En revenant j'ai trouvé la princesse dans un état affreux : l'aventurière - car elle ne peut rien être d'autre ! - lui a appris le sort de sa mère, de sa tante et de son frère. Gomin était auprès d'elle et il avait fait partir cette femme. La pauvre enfant n'a pas cessé de pleurer ; elle s'est même évanouie deux fois...