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- Puis-je demander comment vous savez tout cela ? fit Laura très calmement.

- Je pourrais vous répondre qu'un ministre de l'Intérieur se doit d'être le mieux renseigné qui soit mais je préfère vous dire la vérité. Elle tient en trois points. Premièrement, j'étais place du Trône renversé le 29 prairial quand on a exécuté ces malheureux revêtus d'absurdes tuniques rouges et je vous ai vue agresser - le mot n'est pas trop fort -Louis David d'abord, mais surtout Fouquier-Tinville, ce qui vous a valu d'être conduite à la Conciergerie. Vous n'êtes pas de celles qui passent inaperçues, ma chère. Tant de beauté jointe à tant d'audace méritait que l'on s'y intéresse. Secundo, je connais du monde en Bretagne où j'ai quelques liens familiaux. Enfin, tertio, vous avez rencontré Rouget de Lisle il y a quelques jours et nous avons longuement parlé de vous. C'est un homme qui sait juger les gens et que je destine d'ailleurs à des postes pas très en vue peut-être mais importants. J'ajoute que vous lui avez fait forte impression...

- C'est quelqu'un d'aimable, d'attachant même...

- Il sera très heureux d'apprendre que vous le voyez ainsi. A présent, laissons le passé où il est et voyons l'avenir. Jusqu'à quel point êtes-vous dévouée à Madame Royale ?

- Jusqu'où il lui plaira de m'emmener. Qu'elle souhaite ma présence auprès d'elle pour le voyage à Vienne me cause une joie infinie.

- Je ne crois pas que vous irez à Vienne.

- Oh ! fit-elle affreusement déçue. Mais pourquoi ?

- Parce que vous l'accompagnerez... ailleurs !

- Ailleurs ?

Brusquement, Bénézech se pencha pour scruter la jeune femme au fond des yeux :

- Etes-vous prête à la suivre là où elle devra aller et à demeurer auprès d'elle... plusieurs années s'il le faut?

Laura ne put s'empêcher de frissonner tant était grave le visage penché sur elle .

- Je ne comprends pas... commença-t-elle.

- Je crois que vous allez tout de suite comprendre : Madame est enceinte...

- Quoi ?

Sous le choc, Laura s'était levée si brusquement que son siège bascula en arrière et qu'elle l'aurait suivie si Bénézech ne l'avait retenue d'une main solide. Il rétablit l'équilibre du petit fauteuil, fit rasseoir sa visiteuse et lui administra un suppl6' ment de vin andalou :

- Je sais, fit-il d'un ton paternel, cela donne un coup. Mme de Chanterenne s'en est aperçue à ces signes qui ne trompent pas une femme. Dans sept mois environ, la princesse devrait donner le jour à un enfant...

- Mais comment est-ce possible ? s'exclama Laura qui n'arrivait pas à s'en remettre.

- Personne n'en sait rien et peut-être même la pauvrette l'ignore-t-elle aussi. Je ne sais si Mme de Tourzel vous a dit qu'elle est sujette à des pertes de connaissance en cas de forte émotion. Il y a environ deux mois qu'elle a appris le sort affreux de ses parents. Mme de Chanterenne n'était pas encore au Temple à demeure. Quelqu'un en a-t-il profité ?...

- Vous voulez dire qu'elle aurait été violée ?

- Pourquoi pas ? Ce qui m'étonnera toujours, c'est que cela ne lui soit pas arrivé plus tôt avec les brutes qui la gardaient. D'autre part, il se peut qu'au moment de cette grande douleur, on ait essayé de lui apporter quelques consolations. Quelqu'un de jeune, de tendre qui lui aurait offert une épaule pour pleurer. Ce Gomin par exemple qui lui voue une sorte de culte et dont elle a demandé qu'il l'accompagne à Vienne ?

- Je ne crois pas. La première version me semble plus probable quand on la connaît. En dépit de ses malheurs elle a gardé tant de fierté ! C'est... c'est inimaginable !

- Je pense comme vous. Quoi qu'il en soit, il n en reste pas moins que nous avons un grave problème à résoudre... mais qu'avec votre aide je peux y apporter une solution.

- Laquelle mon Dieu ? Il ne serait plus question de la remettre à l'Autriche ?

- Oh ! mais si ! La remise aura lieu vers la fin de l'année à la frontière suisse, près de Huningue je pense...

- Mais enfin c'est impossible ? Que dira l'empereur en constatant l'état de sa nièce ? Le mariage avec l'archiduc est désormais irréalisable. Ce qui d'ailleurs ne ferait guère de peine à la princesse...

- Et pourtant nous remettrons aux Autrichiens la fille de Louis XVI aussi pure que le jour de sa naissance...

- Ne me dites pas que vous comptez lui faire subir cette abomination ? s'écria Laura horrifiée. Un... avortement ?

- J'ai dit aussi pure que le jour de sa naissance.

- Seriez-vous Dieu, par hasard ? Personnellement j'en serais ravie bien que je ne le voie pas ainsi.

- Vous avez tort : Dieu a fait l'homme à son image, dit vertueusement Bénézech. J'admets que ce soit parfois difficile à croire. Maintenant je vais vous raconter une histoire. Vous allez la trouver intéressante.

Bénézech alla enfin s'asseoir à son bureau, posa ses coudes sur la table et joignit ses doigts par le bout :

- Lorsque le roi Louis XVI a épousé Marie-Antoinette, leur union n'a pas été complète dès le début de leurs relations. Le roi était empêché de procréer par la faute d'une petite malformation nécessitant une opération chirurgicale plutôt douloureuse et, bien qu'il eût été homme de grand courage - il l'a prouvé hautement ! - il ne pouvait se résoudre à cette désagréable obligation. Au moment du mariage le couple était fort jeune, et c'est seulement au bout de sept ans que Sa Majesté s'est soumise au couteau libérateur. Cela fait, il ne pouvait être question pour lui d'aborder la Reine sans être certain de réussir pleinement. Aussi décision a-t-elle été prise de lui faire courir... ce que l'on pourrait appeler un galop d'essai. Et pour cela on choisit une jeune femme, déjà mère, dont l'époux était valet du comte de Provence puis de Madame Elisabeth. Et la tentative réussit : la petite Marie-Philippine Lambriquet vint au monde deux mois avant Mme Royale avec laquelle, d'ailleurs, elle a une certaine ressemblance. Elles ont été élevées ensemble : après la mort de la mère survenue en 1788, la Reine a pris la petite au château et l'a traitée comme sa propre fille. Simple changement : ses prénoms de Marie-Philippine étant aussi ceux de Madame Elisabeth, la Reine lui a donné le nom d'Ernestine. Et cette enfant après avoir vécu à la cour a suivi la famille royale dans tous ses déplacements, hormis le malencontreux voyage à Varennes. La veille du 10 août, elle était encore aux Tuileries et c'est à ce moment qu'elle a disparu, emmenée par Mme de Soucy, la fille de Mme de Mackau. Je sais où elle est. J'ajoute, afin que vous compreniez mieux encore, que l'empereur François dans l'acte officiel qui réclame Madame Royale, demande que Mlle Lambriquet l'accompagne...

- En quoi cette jeune fille peut-elle intéresser l'empereur ?

- En ce qu'il n'ignore pas qu'elle est fille de France presque autant que sa nièce et qu'il ne voit pas d'inconvénient, au contraire, à ce qu'elle en prenne la place. Evidemment elle n'épousera pas l'archiduc et vivra à Vienne au moins aussi cachée que Madame Royale au Temple. Dans les premiers temps. Ensuite on verra.

- Autrement dit, l'empereur sait ce qui est arrivé ? Alors pourquoi la faire venir quand même, jouer cette comédie qui devient ridicule ?

- Parce que, si vous l'ignorez, la princesse est riche. Avant l'équipée de Varennes, la reine Marie-Antoinette avait fait passer à Bruxelles une importante somme d'argent et aussi ses bijoux personnels que son coiffeur Léonard s'était chargé d'emporter dans ses bagages. Cela représente une fortune et l'Autriche aimerait bien mettre la main dessus.

- Dans ce cas, pourquoi ne pas la faire venir elle-même si c'est pour la cacher ?

- Pour démentir à tout prix le bruit d'une future maternité qui a déjà transpiré jusqu'à Naples où la reine Marie-Caroline, sour de Marie-Antoinette, s'en indigne. Même si elle vit en retrait, la fausse Madame Royale pourra offrir jour après jour aux rares personnes qui l'approcheront la vue d'une taille qui ne changera pas de volume.