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- Oui, et j'aimerais y emmener aussi Madame... Il eut un geste d'impatience :

- Ne me faites pas douter de votre intelligence ! Je viens de vous dire que c'est impossible. Qu'il y ait entre elles deux une bonne moitié de l'Europe me paraît d'une excellente garantie...

- Maintenant sans doute, mais plus tard ? Dans... Je ne sais pas ... quelques mois, quelques... années ? Je lui ai promis qu'elle retrouverait son enfant !...

- Promesse inconsidérée, madame ! Et je veux votre parole de ne rien tenter en vue d'un rapprochement sans m'en avertir au préalable. D'ailleurs, je ne vois pas comment ce serait possible : j'ignore moi-même où Van der Valck emmène... Sophie Botta !

- Pas ce nom ! Elle le déteste...

- C'est sans importance. Il existe désormais une duchesse d'Angoulême et c'est elle seule que le monde doit connaître. Et si j'apprends le lieu de résidence choisi par le " comte Vavel de Versay " je ne vous le dirai pas. A présent, votre parole !

Le ton était si rude qu'elle tressaillit. Ce n'était pas une prière mais un ordre et sa réaction fut immédiate :

- A quel titre l'exigez-vous de moi ? Car vous l'exigez n'est-ce pas et c'est à ce seul titre que vous m'avez fait venir ici alors qu'il était si facile de se rencontrer n'importe où ? Pour que je me sente liée jusqu'à l'âme par un serment prononcé sur le tombeau de mes rois ?

- Peut-être... encore qu'ils ne soient pas seuls ici, tant s'en faut. Il y a Charlotte Corday, la Du Barry, les girondins, les Suisses massacrés aux Tuileries... Mais c'est vrai : j'ai besoin de quelque solennité pour me sentir en paix avec moi-même. Les temps sont difficiles. Le Directoire aura bientôt cessé d'exister. Une étoile se lève qui va éclairer une ère nouvelle et enverra les rois dans les limbes de l'Histoire. Je veux suivre cette étoile sans avoir à craindre les résurgences des secrets enfouis dans les consciences. Celui que nous partageons est l'un des plus redoutables, hé ?

- Pourquoi vous en mêler alors ? Pourquoi avoir repris la suite de Bénézech ? Lui au moins agissait par fidélité et compassion... Et vous n'êtes même pas royaliste !

- Non et je ne l'ai jamais été. Ce que je veux être, c'est un homme d'Etat et un Etat n'a jamais eu de convictions. Il a besoin d'engranger les secrets petits ou grands afin d'avoir barre sur les hommes... et les femmes. Mais je ne suis pas dépourvu de compassion comme vous dites et la souffrance, le malheur à ce point auguste ne me laissent pas indifférent. C'est pourquoi j'ai fait en sorte de sauver Marie-Thérèse de l'asile comme du poignard des assassins, mais ne m'en demandez pas davantage ! se hâta-t-il d'ajouter en voyant Laura ouvrir la bouche pour ce qui ne pouvait être qu'un plaidoyer. J'ai besoin, où je vais, d'avoir les mains et la tête libres. Alors, votre serment ?

- Qu'adviendrait-il si je refusais ?

Les lourdes paupières se relevèrent et Laura reçut en plein visage un regard froid comme une lame d'acier.

- Vous feriez d'elle un danger, donc une ennemie, comme vous-même et par les temps qui courent il n'est pas prudent de laisser des ennemis derrière soi...

La menace était sans fard et c'eût été folie que de la négliger. Malgré la révolte qui l'envahissait, Laura murmura :

- Que puis-je faire ? Je lui ai juré, à elle, de tout tenter pour la réunir à sa fille et vous me demandez le serment contraire ? Vous étiez prêtre, cependant ?

- J'étais évêque. Il y a là une nuance. Dieu et moi nous saluons mais ne nous fréquentons pas. Cependant, je vous rappelle qu'en vous demandant votre parole de ne pas chercher à revoir votre compagne, j'ai ajouté " sans en avoir reçu ma permission ". Cela ne ferme pas l'avenir et il se peut que je vous la donne un jour...

- Vraiment ?

- Vraiment ! je m'y engage... sur l'honneur !

- En ce cas vous avez ma parole ! Je vais emmener la petite à Saint-Malo où elle passera pour ma fille. Peut-être de tant de malheurs arriverai-je à faire un peu de bonheur...

- En toute sincérité je vous le souhaite mais... aurez-vous les moyens de subvenir à son entretien ?

Laura pensa qu'il était bien temps de s'en préoccuper.

- Songeriez-vous à m'aider au cas où ces moyens me manqueraient ?

- Moi ? Je suis pauvre comme Job ! fit Talleyrand d'un air si horrifié qu'elle eut envie de rire. Les temps ne sont plus où je disposais du fastueux hôtel de Gaeliffet avec tout ce que cela comportait de fonds puisque je ne suis plus ministre. J'avoue que la question de votre avenir m'a un peu échappé, hé ? Bénézech avait pourvu à vos besoins et ceux qui vous ont accueillie avec votre compagne se sont montrés généreux, je crois ?

- Extrêmement ! Je n'ai pas souvent rencontré cours aussi nobles.

- Je n'en doute pas. Il vous reste quelques biens, à Saint-Malo ? La Révolution a fait beaucoup de dégâts dans les fortunes bretonnes. Dans les autres aussi, d'ailleurs...

- Mon château de Komer a été incendié, ma propriété de Saint-Servan pillée mais, grâce à une amie très chère, l'armement Laudren est encore debout.. je l'espère puisque je n'ai pas eu de nouvelles depuis quatre ans. Néanmoins, en admettant qu'il n'en reste rien, ce qui m'étonne-rait, j'ai encore un compte dans une banque parisienne. Suffisant je pense pour qu'Elisabeth ne manque de rien...

- Elle s'appelle Elisabeth ?

- Comme la tante que Madame a tant pleurée... et pleure encore. Les blessures ne sont pas cicatrisées dans ce cour auquel vous venez d'infliger une nouvelle meurtrissure...

Talleyrand ne tenait visiblement pas à reprendre le sujet. Il tourna la tête en tous sens comme s'il évaluait la qualité de l'air puis tapota du bout de sa canne le soulier de son pied malade comme pour en faire tomber un peu de terre, toussa pour s'éclaircir la voix et finalement déclara en remontant les épaules sous le magnifique drap anglais qui les enveloppait :

- Il me semble qu'il fait plus froid et, puisque nous sommes désormais d'accord, il vaut mieux que je vous rende votre liberté. Il me reste donc à vous offrir mes voux de bon voyage... et à vous assurer que je ne vous perdrai pas de vue. J'aimerais avoir de vos nouvelles de temps à autre. Et aussi de celles de cette petite fille... Au fait, ajouta-t-il en taquinant du bout de sa canne une herbe folle, auriez-vous appris qui est son père ?

- Non. Et je n'ai jamais cherché à percer un secret qui n'est pas le mien. En admettant que ce secret existe.

- Que voulez-vous dire ?

- Je n'en ai, certes, aucune preuve, aucune assurance mais je suis persuadée que la princesse elle-même l'ignore..

- Comment l'entendez-vous ? Cela semble difficile.

- Pas pour une enfant de complexion délicate, encore affaiblie par une longue détention et des déchirements qui pouvaient l'affecter au point de lui faire perdre connaissance. Il se peut qu'un misérable en ait profité...

- Qui vous l'a dit ?

- Mme de Tourzel.. et aussi M. Bénézech qui penchait, comme moi, pour cette hypothèse. Je la vois mal céder à un homme, quel qu'ait pu être son désarroi. Elle a l'âme trop haute et trop fière '

L'ancien évêque d'Autun hocha la tête :

- Il se peut que vous ayez raison. Cette réalité-là serait sans doute plus navrante que n'importe quelle autre. Comment ne pas souhaiter qu'un peu d'amour ait fleuri son calvaire ? Mais peut-être Dieu y pourvoira-t-il, hé ?

- Vous pensez à l'homme qui est maintenant son compagnon ?

- Naturellement. Il a tout ce qu'il faut pour séduire la femme la plus difficile. Quant à elle-.. est-elle belle ?

- Ravissante ! Elle ressemble à sa mère avec quelque chose de plus doux... de plus poétique. Sa grâce est extrême, sa voix charmante et son cour le plus délicat qui soit

En évoquant ainsi Marie-Thérèse, un sourire revenait sur le visage de Laura. Pour la première fois, elle envisageait le quasi-enlèvement de son amie sous un jour différent et elle savait maintenant qu'elle prierait pour que l'amour naisse entre ces deux êtres rapprochés par les contraintes inhumaines de l'Histoire.