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- Pourquoi vous habiller en femme ?

- Léonie n'était jamais longtemps absente. Cela m'a permis de la croiser dans la rue sans qu'elle fasse seulement attention à moi. Ensuite je me suis sauvé à toutes jambes tandis que Louise après avoir rangé l'échelle s'était éclipsée de nouveau. J'espère vraiment qu'elle n'aura pas eu trop d'ennuis en rentrant : Léonie est capable de colères redoutables et elle n'a pas dû s'en priver en découvrant la chambre vide.

- Et la fenêtre ouverte ? dit Jaouen.

- Je l'avais refermée du mieux que je pouvais et elle a bien dû finir par s'en apercevoir, mais ma chambre était au second étage et les étages de nos hôtels bretons sont hauts. Peut-être croit-elle que je me suis envolé ? ajouta La Fougeraye en souriant.

- De toute façon elle va vous chercher, soupira Laura. Elle est peut-être déjà chez vous à cette heure.

- Où elle ne me retrouvera pas, et pour cause. Mes gens d'ailleurs ne la laisseront jamais entrer...

- Elle pourrait avoir l'idée de venir ici ? émit Lalie songeuse. D'après ce que m'a dit sa sour, il y a quatre ans, elle se méfie de Laura depuis qu'elle l'a vue avec vous...

- C'est pourquoi, conclut La Fougeraye, le mieux serait que je rentre au plus tôt sur ma falaise. Si vous pouviez me trouver des habits convenables ?

- Demain matin vous en aurez, promit Jaouen, et je vous ramènerai au manoir. Mieux vaut, en effet, ne pas attirer sur ces dames les fureurs de cette harpie.

- N'exagérons rien ! riposta Laura. Elle n'est pas redoutable à ce point ! En revanche, j'aimerais être certaine que sa sour n'aura pas à pâtir...

- Je la crois de taille à se défendre, dit Lalie. Et puis entre deux sours jumelles les liens sont toujours étroits, ceux de l'affection surtout... Nous verrons bien... ou peut-être même ne verrons-nous rien du tout !

Guénolé vint annoncer que l'on pouvait passer à table et La Fougeraye allait s'extraire de son fauteuil quand Laura le retint

- Encore un mot, je vous en prie ! Vous souvenez-vous de ce qui s'est passé au Guildo avant votre blessure ?

Il ne répondit pas tout de suite, considérant la jeune femme avec un mélange de pitié et d'horreur. Finalement il soupira :

- Comment oublier ? Même au fond de mon absence, je revoyais une image affreuse mais fugitive que je prenais pour un cauchemar mais je sais à présent que ce n'en était pas un...

Tous s'étaient figés autour de lui, attendant ce qui allait venir. La Fougeraye avait empoigné les bras du fauteuil comme pour demander au chêne dont ils étaient faits un surcroît de force :

- A l'auberge, ce soir-là, après que vous eûtes regagné votre chambre, j'ai voulu aller fumer une pipe au-dehors et mes pas m'ont amené en face du vieux couvent. J'ai cru y voir de la lumière filtrer comme derrière des rideaux tirés. J'ai voulu en avoir le cour net et je suis monté là-haut. La nuit était tranquille et on n'entendait pas le moindre bruit. Même le vent se taisait et j'ai poursuivi ma visite. A ma surprise, la porte du logis abbatial n'était pas fermée à clef : elle s'ouvrit sans le moindre grincement et j'ai franchi un vestibule où il y avait une porte close, et, sous cette porte, j'ai vu un rai de lumière. J'ai eu l'impression d'entendre alors un gémissement. Qui ne m'a pas fait trembler, en dépit de la réputation de hantise du vieux monastère : les fantômes n'ont pas coutume d'allumer des chandelles... En prenant mille précautions, j'ai poussé cette porte et j'ai vu qu'il y avait des meubles, des tableaux, un feu flambant et une sorte de chaise longue sur laquelle une homme était étendu, un homme à qui une femme donnait des soins mais qui m'avait entendu et qui s'est levé... Par le Dieu qui m'écoute, je n'aurais jamais pensé qu'il me serait donné de contempler pareille abomination, bien que des blessés j'en aie vu beaucoup ! Mais celui-là... n'avait plus de visage digne de ce nom : une boursouflure sanguinolente, une masse de chairs déchirées, brûlées, dans lesquelles seuls vivaient des yeux farouches. J'ai dû ouvrir la bouche pour crier mais je n'en ai pas eu le temps : le coup qui m'a privé de mémoire si longtemps m'est arrivé dessus et le monde a cessé d'exister pour moi...

Repris par le terrible souvenir, La Fougeraye se laissa retomber un instant dans son fauteuil, cherchant un souffle qui lui manquait. Mais ce ne fut qu'un court moment et, comme Laura lui demandait s'il voulait regagner sa chambre, il refusa et même, au prix d'un petit effort, se leva :

- Non, ma chère. Je pense... qu'un bon repas me fera du bien. Si vous voulez bien m'accepter en pantoufles et m'offrir votre bras pour aller à table...

- J'aime mieux vous voir ainsi ! sourit-elle. Vous venez de me faire peur... Quelle affreuse histoire ! Et qui peut bien être ce malheureux dont on cache la disgrâce au fond d'un couvent abandonné ?

Tous deux allaient lentement vers la table autour de laquelle Lalie, Bina et Jaouen se répartissaient. Le vieux gentilhomme s'arrêta soudain et, posant une main chaleureuse sur celle de Laura, il chercha son regard et murmura :

- Depuis que j'ai recouvré la mémoire, ce souvenir me hante. Je crois... oui, je crois que c'était Josse de Pontallec !

Laura faillit crier, se retint, et, dans un chuchotement :

- Mais... n'était-il pas méconnaissable ?

- Pourtant je l'ai reconnu. A ma haine !

CHAPITRE XIV

UN FILS DE SATAN

Pas un seul instant Laura ne mit en doute la parole de La Fougeraye. S'il disait avoir reconnu Pontallec en dépit de ses abominables blessures, il devait avoir raison. La haine peut être aveugle ou extraordinairement clairvoyante et l'épouse si longtemps bafouée savait bien qu'un visage ravagé ne l'eût pas trompée. Mais depuis cinq ans maintenant, elle s'était habituée à l'idée d'être libérée de lui à jamais. Il lui était même arrivé de prier pour le repos de cette âme perdue. Et voilà qu'il ressuscitait ? Sûrement pas pour son bien. Toujours si fier d'être l'un des plus beaux gentilshommes du royaume, Pontallec avait reçu du Ciel une terrible punition en devenant une sorte de monstre destiné à semer l'effroi. En avait-il tiré une salutaire réflexion sur lui-même ? Difficile à croire si l'on se tenait au sort subi par La Fougeraye...

Jaouen non plus ne douta pas. En son for intérieur, le frère de lait pressentait que le bourreau de Laura vivait toujours, quelque part dans le monde. Cependant, il ne s'imaginait pas que ce pût être si près d'eux. Aussi ne discuta-t-il pas les paroles du vieux seigneur et sa réaction fut immédiate :

- La meilleure façon de s'en assurer est d'aller y voir ! dit-il en quittant sa chaise. Très certainement pour aller seller un cheval. Ce fut Lalie qui l'arrêta :

- Tenez-vous tranquille, Joël, et rasseyez-vous. Si notre ami a vu juste et si Pontallec, échappé Dieu sait comment à l'incendie de son bateau, s'est réfugié au Guildo, il y est - ou n'y est plus ! -depuis bientôt six ans. Donc rien ne presse.

- D'autant, reprit Laura que, si notre ami devine bien, cet homme a été atteint dans ce qui lui était le plus cher au monde : son image ! Etre pour le reste de sa vie un objet d'horreur, imaginez ce que cela peut signifier pour lui.

- Un objet d'horreur ? Allez savoir ! ricana Jaouen. M. de la Fougeraye n'a-t-il pas dit qu'une femme le soignait ? Quelque sorcière édentée peut-être ? Entre monstres on se soutient...

- Non, fit celui-ci songeur. C'était une très belle femme... celle de l'auberge. Elle s'appelle Gaïd, si je me souviens...