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- Et vous comptez l'élever chez vous ? Dans cette tanière ?

A nouveau le rire de tout à l'heure, en plus grinçant peut-être :

- Me connaissez-vous si mal ? J'aime mes aises et possède non loin d'ici une demeure agréable où je reçois de charmantes visites. Des visites qui n'auront plus lieu d'être quand l'enfant aura grandi. Il se peut même que je l'épouse. Puisqu'elle n'est pas de votre sang, aucune impossibilité à cela ! Cela pourrait même être amusant... à moins qu'elle ne devienne aussi agaçante que les autres, ajouta-t-il d'une voix aigre qui était celle d'un maniaque. Auquel cas elle aurait le même sort.

Laura se souvint de ce qu'avait dit le vieil homme de l'auberge au sujet de jolies femmes à qui l'endroit ne valait rien. Elle se força à un ton d'indifférence pour demander :

- Quel est ce sort ?

- On les retrouve noyées, les pauvres ! Le chagrin de m'avoir déplu je pense... Il est vrai qu'on les y aide un peu mais... mais vous allez pouvoir apprécier pleinement ma méthode. Car, bien entendu, vous ne quitterez jamais plus ce pays. Vivante tout au moins !

- Oh, j'y suis préparée. Je vous connais trop bien et j'étais toute prête à vous abandonner ma vie contre celle d'Elisabeth...

- Si j'en juge par ceci, dit Pontallec en s'emparant d'un des pistolets, vous pensiez surtout vous en prendre à la mienne ? Il faut avouer que vous faites preuve d'une remarquable résistance ! Vous échappez à tout, même aux pièges les mieux tendus. Pareillement vous avez échappé à la guillotine où j'espérais tant vous voir monter. Vous eussiez fait une belle victime. Pourtant vous avez préféré le rôle infâme de dénonciatrice en vous acoquinant avec Fouquier-Tinville.

- Qu'avez-vous fait d'autre ?

- Un moment ! J'avais dénoncé une certaine Laura Adams. Il n'était pas question de la marquise de Pontallec...

Aussi est-ce Laura Adams qui a parlé à l'accusateur public. Nous sommes quittes !

- Ah, vous trouvez ? Thermidor vous a sauvée, vous, mais moi j'ai dû fuir...

- En volant tout ce qui m'appartenait, en déménageant la Laudrenais ? J'ai fort bien reconnu ce fauteuil...

- Vous confondez ! Cela m'appartenait de droit. Votre mère était mon épouse...

- En aucun pays du monde l'assassin ne peut hériter de sa victime. En outre vous étiez bigame, donc votre mariage était entaché de nullité...

- Peste ! Comme vous voilà au fait des arguties notariales ! En ce cas vous avez dû faire votre testament ?

- En effet ! J'ai institué légataire universelle mon amie la comtesse de Sainte-Alferine...

Cette fois, ce fut une véritable crise de rire qui secoua le masque sans que Laura puisse deviner ce qu'elle avait dit de si drôle mais c'était un rire dément, celui d'un homme qui n'a plus son bon sens. Il s'acheva par un hoquet, puis Pontallec articula non sans peine :

- Vous êtes impayable !... Mais surtout mal adroite. Vous allez m'obliger à tuer cette vieille bique pour que les droits reviennent à votre fille. Il est vrai que je n'en crois rien. Quand on aime on ne fait pas de ces choses. Et vous l'aimez je suppose ?

- Si je disais le contraire, vous n'en croiriez rien.

- Eh bien voilà ! Voyez comme tout s'arrange ! A présent je vais tenir ma promesse et vous montrer votre fille. Gaïd ! cria-t-il. Amène la petite !

La belle aubergiste reparut, mais cette fois, elle tenait dans ses bras Elisabeth qui dormait la tête sur l'épaule de la femme. Avec douleur, Laura vit que le petit visage était pâle et portait des traces de larmes fraîches. L'enfant avait dû s'endormir à force de pleurer. Laura voulut s'élancer vers elle mais Pontallec pointa l'un des pistolets :

- Restez où vous êtes ! Votre seul droit est de la voir !

Gaïd cependant secouait la fillette pour la réveiller. Elle ouvrit des yeux embués, aperçut Laura et voulut tendre vers elle ses bras menus :

- Maman ! Maman !...

Puis elle se tordit dans ceux de la femme qui demanda :

- Je la laisse aller ?

- Il n'en est pas question ! Elle l'a assez vue maintenant ! Tu peux l'emmener...

Elisabeth à présent criait, pleurait, appelant sa mère d'une petite voix douloureuse qui fendit le cour de celle-ci.

- Vous êtes une femme, s'écria-t-elle avec colère, et vous obéissez aux ordres de ce monstre ?

- Il est mon maître ! dit la femme d'un ton de défi.

- Et celui qui est derrière moi, votre mari, entend cela tranquillement ?

- Elle n'a pas été fichue de me donner d'enfant. Alors qu'elle couche avec M. le marquis ne me dérange pas puisque ça me rapporte. J'I'aime bien moi aussi, M. le marquis !

- Je veux bien le croire. Vous êtes faits pour vous entendre !... Laissez-moi au moins l'embrasser ! pria-t-elle, saisie d'un désir si poignant qu'il lui fit baisser sa garde.

- J'ai dit qu'on l'emmène ! rugit Pontallec, chassant Gaïd de la voix et du geste.

La femme s'en alla, emportant l'enfant qui hurlait à présent, saisie d'une véritable crise de désespoir.

- Cela va lui passer, fit benoîtement Pontallec. A vous ma chère ! Je suis ravi de vous avoir revue car en vérité vous êtes devenue très belle. Le malheur est que je n'ai jamais eu de goût pour vous ! Votre couche était d'un ennui ! L'impression de tenir dans mes bras un morceau de viande froide ! Aussi allons-nous passer au dernier acte. Le temps passe vite en votre compagnie.

- Vous allez me tuer ?

- Je ne vous l'ai pas caché...

- Sans me laisser dire une dernière prière ?

- Oh, vous allez en avoir tout le loisir ! Allons Tangou !

Laura ne vit pas venir la corde qui s'abattit autour d'elle et que resserra aussitôt un noud coulant lui serrant les bras contre le corps. Elle se raidit, faisant appel à tout son courage. Pontallec s'était levé et marchait vers elle, tenant à la main un mouchoir roulé en boule et un autre déplié qu'il tendit à son acolyte :

- Bâillonne-la !

- Un instant ! dit Laura. J'ai quelque chose à demander ?

- Quoi ? Faites vite ! Je n'ai pas le temps...

- Oh, presque rien. Enlevez votre masque !

A nouveau le vilain rire qui ressemblait si peu à celui d'autrefois.

- Vous voulez voir ce qu'a fait de moi cette damnée bombe qui a explosé trop tôt ? Ou plutôt celle placée par ce maudit La Fougeraye et dont je ne savais rien ? Je suis affreux ma chère et il faut être aussi folle que cette pauvre Gaïd pour m'aimer tel que je suis devenu...

- Je veux voir !

- Eh bien, regardez ! Mets le bâillon, Tangou. Je ne déteste pas les cris des femmes que je force, mais celle-là !

- Je ne crierai pas !

Le masque tomba et en dépit de sa fermeté de caractère Laura ne put retenir un " oh ! " étouffé. Le beau visage de jadis n'avait plus rien d'humain : un mélange turgescent de chairs bourgeonnantes et de cicatrices rouges autour des deux trous permettant la respiration. Seuls les yeux verts étaient à peu près intacts et luisaient de méchanceté. Enfin, la jeune femme réussit à sourire :

- Merci ! dit-elle. Je peux mourir à présent ' Je suis vengée...

La boule de linge fut enfoncée brutalement dans sa bouche et fixée au moyen de l'autre mouchoir. Puis Tangou saisit le bout de la corde qui allait lui donner la possibilité de mener Laura comme un chien en laisse.

On sortit de la tour pour reprendre le chemin par lequel on était venus mais, passé la bande de rochers, on atteignit le sable et l'on marcha vers la mer qui s'était retirée, jusqu'à ce qu'on fût devant une roche qui avait la forme d'un menhir de taille réduite. Les deux hommes lièrent leur victime à ce qui ressemblait assez à un poteau de torture.

- Voilà ! dit Pontallec avec satisfaction. Avant que la mer ne revienne jusqu'à vous et vous recouvre lentement, vous allez avoir le loisir de faire toutes les prières que vous voulez ! Quant à moi, avec votre permission, je prends congé mais je vais aller m'asseoir là-bas afin de ne rien perdre d'une agonie dont la lenteur va me combler de joie.