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La vedette avançait toujours : le roulis était assez fort pour que la silhouette basse et trouble du vapeur semblât se balancer lentement sur le fleuve ; à peine éclairée elle ne se distinguait que par une masse plus sombre sur le ciel ouvert. Sans nul doute, le Shan-Tung était gardé. Le projecteur d'un croiseur atteignit la vedette, la suivit un instant, l'abandonna. Elle avait décrit une courbe profonde et venait sur le vapeur par l'arrière, dérivant légèrement sur sa droite, comme si elle se fût dirigée vers le bateau voisin. Tous les hommes portaient le ciré des marins, capuchon rabattu sur leur uniforme. Par ordre de la direction du port, les échelles de coupée de tous les bateaux étaient descendues ; Katow regarda celle du Shan-Tung à travers ses jumelles cachées par son ciré : elle s'arrêtait à un mètre de l'eau, à peine éclairée par trois ampoules. Si le capitaine demandait l'argent, qu'ils n'avaient pas, avant de les autoriser à monter à bord, les hommes devraient sauter un à un de la vedette ; il serait difficile de la maintenir sous l'échelle de coupée. Si l'on tentait, du bateau, de la remonter, Katow pourrait tirer sur ceux qui manœuvreraient le cordage : sous les poulies, rien ne protégeait. Mais le bateau se mettrait en état de défense.

La vedette vira de 90 degrés, arriva sur le Shan-Tung. Le courant, puissant à cette heure, la prenait par le travers ; le vapeur très haut maintenant (ils étaient au pied) semblait partir à toute vitesse dans la nuit comme un vaisseau fantôme. Le chauffeur fit donner au moteur de la vedette toute sa force : le Shan-Tung sembla ralentir, s'immobiliser, reculer. Ils approchaient de l'échelle de coupée. Katow la saisit au passage ; d'un rétablissement, il se trouva sur le barreau.

- Le document ? demanda l'homme de coupée. Katow le donna. L'homme le transmit, resta à sa place revolver au poing. Il fallait donc que le capitaine reconnût son propre document ; c'était probable, puisqu'il l'avait reconnu lorsque Clappique le lui avait communiqué. Pourtant... Sous la coupée, la vedette sombre montait et descendait avec le fleuve.

Le messager revint : « - Vous pouvez monter. » Katow ne bougea pas ; l'un de ses hommes, qui portait des galons de lieutenant (le seul qui parlât anglais), quitta la vedette, monta et suivit le matelot messager, qui le conduisit au capitaine.

Celui-ci, un Norvégien tondu aux joues couperosées, l'attendait dans sa cabine, derrière son bureau. Le messager sortit.

- Nous venons saisir les armes, dit le lieutenant en anglais.

Le capitaine le regarda sans répondre, stupéfait. Les généraux avaient toujours payé les armes ; la vente de celles-ci avait été négociée clandestinement, jusqu'à l'envoi de l'intermédiaire Tang-Yen-Ta, par l'attaché d'un consulat, contre une juste rétribution. S'ils ne tenaient plus leurs engagements à l'égard des importateurs clandestins, qui les ravitaillerait ? Mais, puisqu'il n'avait affaire qu'au gouvernement de Shanghaï, il pouvait essayer de sauver ses armes.

Well ! Voici la clef.

Il fouilla dans la poche intérieure de son veston, calmement, en tira d'un coup son revolver - à la hauteur de la poitrine du lieutenant, dont il n'était séparé que par la table. Au même instant, il entendit derrière lui : « Haut les mains ! » Katow, par la fenêtre ouverte sur la coursive, le tenait en joue. Le capitaine ne comprenait plus, car celui-là était un blanc : mais il n'y avait pas à insister pour l'instant. Les caisses d'armes ne valaient pas sa vie. « Un voyage à passer aux profits et pertes. » Il verrait ce qu'il pourrait tenter avec son équipage. Il posa son revolver, que prit le lieutenant.

Katow entra et le fouilla : il n'avait pas d'autre arme.

- Absolument pas la peine d'avoir tant de revolvers à bord pour n'en porter qu'un sur soi », dit-il en anglais. Six de ses hommes entraient derrière lui, un à un, en silence. La démarche lourde, l'air costaud, le nez en l'air de Katow, ses cheveux blonds clairs étaient d'un Russe. Écossais ? Mais cet accent...

- Vous n'êtes pas du gouvernement, n'est-ce pas ?

- T'occupe pas.

On apportait le second, dûment ficelé par la tête et par les pieds, surpris pendant son sommeil. Les hommes ligotèrent le capitaine. Deux d'entre eux restèrent pour le garder. Les autres descendirent avec Katow. Les hommes d'équipage du parti leur montrèrent où les armes étaient cachées ; la seule précaution des importateurs de Macao avait été d'écrire « Pièces détachées » sur les caisses. Le déménagement commença. L'échelle de coupée abaissée, il fut aisé, car les caisses étaient petites. La dernière caisse dans la vedette, Katow alla démolir le poste de T.S.F., puis passa chez le capitaine.

- Si vous êtes trop pressé de descendre à terre, je vous préviens que vous serez absolument descendu au premier tournant de rue. Bonsoir.

Pure vantardise, mais à quoi les cordes qui entraient dans les bras des prisonniers donnaient de la force.

Les révolutionnaires, accompagnés des deux hommes de l'équipage qui les avaient renseignés, regagnèrent la vedette ; elle se détacha de la coupée, fila vers le quai, sans détour cette fois. Chahutée par le roulis, les hommes changeaient de costumes, ravis mais anxieux : jusqu'à la berge, rien n'était sûr.

Là les attendait un camion, Kyo assis à côté du chauffeur.

- Alors ?

- Rien. Une affaire pour d'butants.

Le transbordement terminé, le camion partit, emportant Kyo, Katow et quatre hommes, dont l'un avait conservé son uniforme. Les autres se dispersèrent.

Il roulait à travers les rues de la ville chinoise avec un grondement qu'écrasait à chaque cahot un tintamarre de fer-blanc : les côtés, près des grillages, étaient garnis de touques à pétrole. Il s'arrêtait à chaque tchon important : boutique, cave, appartement. Une caisse était descendue ; fixée au côté, une note chiffrée de Kyo déterminait la répartition des armes, dont quelques-unes devaient être distribuées aux organisations de combat secondaires. À peine si le camion s'arrêtait cinq minutes. Mais il devait visiter plus de vingt permanences.