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Et cependant nos édiles, toujours empressés à satisfaire les citoyens qui ont mis en eux leur confiance, ont eu recours à des expédients héroïques. Ils ont fait abattre deux cloisons, réunissant ainsi à la salle des assises une portion de notre belle salle des pas perdus.

M. Lantier, l'architecte de la ville, bon juge en pareille matière, nous affirme que douze cents personnes trouveront place dans l'immense vaisseau. Mais qu'est-ce que douze cents personnes!

Bien longtemps avant l'heure fixée pour l'ouverture de l'audience, tout est plein, comble, bondé. Une épingle qu'on lancerait ne tomberait certes pas à terre.

Pas un pouce d'espace n'a été perdu. Tout autour, le long du mur, les hommes se tiennent debout. Sur les deux côtés de l'estrade, des chaises ont été disposées, où viennent prendre place un grand nombre de dames de la société, tant de Sauveterre que des environs et même des villes voisines. Quelques-unes ont des toilettes ravissantes.

Mille versions circulent, mille conjectures, mille suppositions que nous nous garderons de rapporter… À quoi bon! Disons pourtant que l'accusé n'a pas usé du droit que la loi lui confère de récuser un certain nombre de jurés. Il a accepté tous les noms qui sortaient de l'urne et que ne récusait pas le ministère public. C'est d'un avocat de nos amis que nous tenons cette particularité, et juste comme il achevait de la raconter, un grand bruit se fait à la porte, suivi d'un rapide mouvement de chaises et d'exclamations étouffées.

C'est la famille de l'accusé qui vient occuper les places qui lui ont été réservées tout près de l'estrade.

M. le marquis de Boiscoran donne le bras à Mlle de Chandoré, qui porte avec une exquise distinction une toilette d'un gris foncé, relevée d'agréments cerise. M. le baron de Chandoré soutient Mme la marquise de Boiscoran. Le marquis et le baron sont graves et froids. La mère de l'accusé nous paraît extrêmement affaissée. Mlle de Chandoré, au contraire, est très animée et ne paraît nullement inquiète, et c'est en souriant qu'elle répond aux saluts assez rares qui lui sont adressés de divers côtés de la salle.

Mais on cesse bientôt de s'occuper d'eux. Toute l'attention est absorbée par une grande table dressée au milieu du prétoire, et sur laquelle se trouvent quantité d'objets qu'on ne peut voir, recouverts qu'ils sont d'un grand tapis rouge. Là, sont les pièces à conviction.

Cependant onze heures sonnent. Les serviteurs du Palais circulent, donnant à tout un dernier coup d'œil. Puis une petite porte s'ouvre, à gauche, et les défenseurs entrent. Nos lecteurs les connaissent. L'un est maître Magloire Mergis, l'honneur de notre barreau. L'autre, un avocat de la capitale, maître Folgat, jeune encore et célèbre.

Maître Magloire a son visage des bons jours, et c'est en souriant qu'il s'entretient avec le maire de Sauveterre, M. Séneschal, pendant que maître Folgat ouvre sa serviette et consulte ses dossiers. Onze heure et demie. Un huissier annonce:

– La cour!

M. Domini prend place au fauteuil de la présidence. M. Du Lopt de la Gransière vient occuper le siège du ministère public.

Derrière eux, silencieux et graves, se rangent messieurs les jurés.

Tout à coup, grand tumulte. Chacun se lève, chacun se dresse et se hausse sur la pointe des pieds. Quelques assistants, même, dans le fond, montent sur leur chaise. C'est que M. le président vient de donner l'ordre d'introduire l'accusé… Il paraît…

Il est strictement vêtu de noir, et avec une rare élégance. On remarque beaucoup qu'il porte à la boutonnière son ruban de la Légion d'honneur. Il est pâle, mais son regard est droit et clair, assuré, sans défi. Son attitude est triste, mais fière.

À peine est-il assis qu'un des assistants enjambe trois rangées de chaises et, malgré les huissiers, vient lui serrer la main. C'est le docteur Seignebos.

Mais M. le président commande aux huissiers de faire faire silence, et après avoir rappelé que toutes marques d'approbation ou d'improbation sont sévèrement interdites, et s'adressant à l'accusé:

– Dites-moi vos prénoms, lui demande-t-il, votre nom, votre âge, votre profession, votre domicile…

L'accusé répond:

– Louis, Trivulce, Jacques de Boiscoran, vingt-sept ans, propriétaire, domicilié à Boiscoran, arrondissement de Sauveterre.

– Asseyez-vous, et écoutez l'exposé des faits dont vous êtes accusé.

M. le greffier Méchinet donne lecture de l'acte d'accusation, dont la simplicité terrible fait frissonner l'auditoire.

Nous ne le rapporterons pas, tous les incidents qu'il relate étant bien connus de nos lecteurs.

Interrogatoire de l'accusé.

M. LE PRÉSIDENT. – Accusé, levez-vous, et répondez catégoriquement. Vous avez, pendant l'instruction, refusé de répondre à beaucoup de questions. Ici, il faut que la lumière se fasse. Et, je dois vous le dire, il est de votre intérêt d'être franc.

L'ACCUSÉ. – Nul plus que moi ne souhaite que la vérité soit connue. Je suis prêt à répondre…

D. – Pourquoi vos réticences pendant l'instruction?

R. – Je croyais de mon intérêt de ne répondre qu'ici.

D. – Vous venez d'entendre de quels crimes vous êtes accusé?

R. – Je suis innocent… Et avant tout, monsieur le président, permettez-moi une observation. Le crime du Valpinson est atroce, lâche, odieux… mais il est en même temps si absurde et si stupide qu'il me semble l'œuvre inconsciente d'un fou. Or, on ne m'a jamais refusé une certaine intelligence…

D. – Ceci est de la discussion…

R. – Cependant, monsieur…

D. – Plus tard, vous aurez liberté pleine et entière de faire valoir vos raisons. Pour le moment, contentez-vous de répondre aux questions que je vous adresse.

R. – Je me soumets, monsieur.

LE PRÉSIDENT. – Ne deviez-vous pas vous marier prochainement?

À cette question, tous les regards se tournent vers Mlle de Chandoré, qui devient plus rouge qu'une pivoine, mais qui ne baisse pas les yeux.

L'ACCUSÉ (d'une voix faible). – Oui.

D. – Le soir du crime, quelques heures seulement avant qu'il ne fût commis, n'avez-vous pas écrit à votre fiancée?

R. – Oui, monsieur, et je lui ai fait porter ma lettre par le fils de mon métayer, Michel.

D. – Que lui disiez-vous?

R. – Qu'une affaire importante me priverait de passer la soirée près d'elle.

D. – Quelle était cette affaire?

Au moment où l'accusé ouvre la bouche pour répondre, M. le président l'arrête d'un geste:

D. – Prenez garde… Cette question vous a été adressée pendant l'instruction, et vous avez répondu que vous aviez à aller à Bréchy voir votre marchand de bois.

R. – J'ai répondu cela, en effet, sur le premier moment… Ce n'est pas exact.

D. – Pourquoi avez-vous menti?

L'ACCUSÉ (avec un mouvement de colère qui n'échappe à personne). – Je ne pouvais croire à la gravité de ma situation. Je ne pensais pas pouvoir, moi, être sérieusement compromis par l'accusation qui, cependant, m'amène sur ce banc… Ce étant, je ne voyais pas la nécessité de livrer le secret de mes affaires privées.