C'est d'une voix éclatante que parlait Mlle Denise, disant qu'elle eût voulu, qu'elle eût été fière que toute la terre l'entendît.
– Ah! laissez-moi vous rassurer d'un mot, mademoiselle, interrompit maître Folgat. Nous n'en sommes pas où vous croyez. La condamnation n'est pas définitive.
Le marquis de Boiscoran et grand-père Chandoré se redressèrent.
– Que voulez-vous dire?
– Une négligence de monsieur Galpin-Daveline frappe de nullité toute la procédure. Comment un homme de sa trempe, si méticuleux et si formaliste, a-t-il pu commettre une telle faute? C'est que probablement la passion l'aveuglait… Comment personne n'a-t-il remarqué cet oubli? C'est que la destinée nous devait bien cette revanche… Le cas n'est pas discutable. Il s'agit d'un vice de forme, et les textes sont formels. Le jugement sera cassé et nous serons renvoyés devant d'autres juges…
– Et vous ne nous aviez pas dit cela! s'écria Mlle Denise.
– À peine osions-nous y penser, répondit maître Magloire. C'était là un de ces secrets qu'on ne confie même pas à son oreiller… Songez qu'au cours de l'audience, l'erreur pouvait encore être réparée. Maintenant, il est trop tard… Nous avons du temps devant nous, et la conduite de monsieur de Claudieuse nous dégage. Tous les voiles seront déchirés…
La porte, s'ouvrant avec fracas, lui coupa la parole. Le docteur Seignebos entrait, rouge de colère et les yeux étincelants sous ses lunettes d'or.
– Monsieur de Claudieuse?… demanda vivement maître Folgat.
– Il est à côté, répondit le docteur. On l'a étendu sur un matelas et sa femme est près de lui… Quel métier que celui de médecin! Voilà un homme, un misérable, que j'aurais eu du bonheur à étrangler de mes mains, et pas du tout, il m'a fallu le rappeler à la vie, lui prodiguer mes soins, chercher un moyen d'atténuer ses souffrances…
– Va-t-il donc mieux?
– À moins d'un de ces miracles comme on en voit dans La Vie des Saints, il ne sortira du palais de justice que les pieds les premiers, et ce, avant vingt-quatre heures… Je ne l'ai point dissimulé à la comtesse, et je lui ai dit que si elle voulait que son mari mourût en règle avec le ciel, elle n'avait que le temps bien juste d'envoyer chercher un prêtre.
– Et elle en a envoyé chercher un…
– Point. Elle a répondu que la vue d'une soutane épouvanterait son mari et hâterait sa fin. Et même, le brave curé de Bréchy s'étant présenté, elle l'a congédié carrément.
– Ah! la misérable! s'écria Mlle Denise. (Et après une seconde de réflexion): Pourtant le salut est là, poursuivit-elle. Oui, la certitude du salut… Pourquoi donc hésiter! Attendez-moi, je reviens…
Elle s'élança dehors. Son grand-père voulait se précipiter après elle, mais maître Folgat l'arrêta.
– Laissez-la faire, monsieur le baron, dit-il. Laissez-la.
Dix heures venaient de sonner. Le palais de justice, si bruyant toute la journée, était redevenu silencieux et morne. Dans l'immense salle des pas perdus, à peine éclairée par un réverbère fumeux, il n'y avait plus que deux hommes, un prêtre, le curé de Bréchy, qui priait, agenouillé près d'une porte, et le gardien de service qui se promenait de long en large, et dont les pas sonnaient comme dans une église.
Mlle Denise alla droit à ce gardien.
– Où est le comte de Claudieuse? interrogea-t-elle.
– Là, mademoiselle, répondit l'homme en lui montrant la porte près de laquelle priait le prêtre, là, dans le propre cabinet de monsieur le procureur de la République.
– Qui est près de lui?
– Sa femme, mademoiselle, et une domestique.
– Eh bien! entrez dire à madame de Claudieuse, et sans que son mari l'entende, que mademoiselle de Chandoré désire lui parler.
Sans une objection, le gardien obéit. Mais lorsqu'il reparut:
– Mademoiselle, dit-il à la jeune fille, la comtesse vous fait répondre qu'elle ne peut quitter son mari, qui est au plus bas…
Elle l'arrêta d'un geste impérieux.
– Assez! Retournez dire à madame de Claudieuse que si elle ne sort pas, je vais entrer à l'instant, que j'entrerai de force s'il le faut, que j'appellerai au secours, que rien ne me retiendra. Je veux la voir absolument.
– Cependant, mademoiselle…
– Allez! Ne voyez-vous donc pas que c'est une question de vie ou de mort!
Il y avait dans son accent une telle autorité que le gardien n'hésita plus. Il disparut de nouveau, et l'instant d'après:
– Entrez, revint-il dire à la jeune fille.
Elle entra et se trouva dans la salle d'attente qui précède le cabinet du procureur de la République. Une grosse lampe de cuivre l'éclairait d'une lumière crue. La porte ouvrant sur le cabinet où gisait le comte était fermée.
Au milieu de la pièce, la comtesse de Claudieuse se tenait debout. Tant de coups successifs n'avaient pas brisé son indomptable énergie. Elle était horriblement pâle, mais calme:
– Puisque vous y tenez, mademoiselle, commença-t-elle, je viens moi-même vous répéter que je ne saurais vous entendre. Ignorez-vous donc que je suis entre deux tombes ouvertes, entre ma fille qui se meurt à la maison et mon mari qui agonise là…
Elle faisait un mouvement pour se retirer, Mlle de Chandoré la retint d'un geste menaçant, et d'une voix frémissante:
– Si vous rentrez dans la pièce où est votre mari, dit-elle, j'y rentre avec vous, et ce sera devant lui que je vous parlerai. C'est devant lui que je vous demanderai comment vous avez défendu à un prêtre l'accès de son lit de mort, et si après lui avoir pris son bonheur en ce monde, vous voulez le lui ravir encore dans l'éternité…
Instinctivement, la comtesse recula.
– Je ne vous comprends pas!… dit-elle.
– Si, vous me comprenez, madame. À quoi bon nier? Ne voyez-vous pas bien que je sais tout et que j'ai deviné ce qu'on ne m'a pas dit! Jacques était votre amant, et votre mari s'est vengé…
– Ah! c'en est trop! répétait Mme de Claudieuse, c'en est trop…
– Et vous avez souffert cela, poursuivait Mlle Denise en phrases haletantes, et vous n'êtes pas venue crier en plein tribunal que votre mari est un faux témoin! Quelle femme êtes-vous donc! Il vous importe donc peu que votre amour conduise un malheureux au bagne! Vous pourrez donc vivre avec cette idée que l'homme que vous aimez est innocent et cependant à tout jamais flétri et confondu parmi les plus vils scélérats!… Un prêtre saurait bien obtenir de monsieur de Claudieuse qu'il rétractât son infâme déposition, vous le savez bien; aussi refusez-vous votre porte au curé de Bréchy… Et pourquoi tant de crimes! Pour sauver votre menteuse réputation d'honnête femme… Ah! c'est misérable, c'est lâche, c'est bas…
La comtesse, à la fin, se révoltait. Ce que n'avait pu obtenir toute l'habileté de maître Folgat, la passion de Mlle Denise l'obtenait. Jetant le masque: