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– Eh bien! non! s'écria-t-elle avec un emportement terrible, non, ce n'est pas pour sauver ma réputation que j'ai laissé faire. Ma réputation! Eh! que m'importe! Il n'y a pas une semaine, le soir où Jacques s'est évadé de la prison, je lui proposais de fuir. Il n'avait qu'un mot à dire, et pour lui, patrie, famille, enfants, j'abandonnais tout. Il m'a répondu: «Plutôt le bagne!»

Au milieu de tant d'angoisses, une joie immense inonda le cœur de Mlle de Chandoré. Ah! elle n'avait plus à douter de Jacques, à cette heure.

– C'est donc lui qui s'est condamné, poursuivait Mme de Claudieuse. Je voulais bien me perdre pour lui, pour une autre, non.

– Et cette autre… c'est moi, sans doute.

– Oui, vous, pour qui il m'avait abandonnée, vous qu'il allait épouser, vous avec qui il se promettait de longues années de bonheur, non d'un bonheur honteux et furtif tel que le nôtre, mais d'un bonheur légitime et respecté…

Des larmes tremblaient dans les cils de Mlle Denise. Elle était aimée… Elle songeait à ce que devait souffrir l'autre, qui ne l'était pas.

– J'aurais cependant été plus généreuse…, murmura-t-elle.

La comtesse eut un éclat de rire farouche.

– Et la preuve, insista la jeune fille, c'est que je suis venue vous proposer un marché…

– Un marché?

– Oui. Sauvez Jacques, et sur tout ce que j'ai de sacré au monde, je vous jure d'entrer dans un couvent, de disparaître, et que jamais vous n'entendrez prononcer mon nom.

Une stupeur immense clouait sur place la comtesse de Claudieuse, et c'est d'un regard de doute et de défiance qu'elle examinait Mlle de Chandoré. Un tel dévouement lui paraissait trop sublime pour ne pas cacher quelque piège.

– Vous feriez vraiment cela? demanda-t-elle enfin.

– Sans hésiter.

– Ce serait un grand sacrifice que vous me feriez.

– À vous, madame!… Non. À Jacques.

– Vous l'aimez donc bien!

– Assez pour préférer mille fois, s'il me fallait choisir, son bonheur au mien. Ensevelie au fond d'un couvent, ce me serait une consolation encore de me dire qu'il me doit sa réhabilitation, et je souffrirais moins de le savoir à une autre que de penser qu'il est innocent et cependant condamné!

Mais à mesure que la jeune fille affirmait sa sincérité, les sourcils de la comtesse se fronçaient et de fugitives rougeurs montaient à ses joues pâlies.

Et de son ironie la plus hautaine:

– C'est admirable! fit-elle.

– Madame…

– Vous daignez m'abandonner monsieur de Boiscoran. M'aimera-t-il pour cela? Vous savez que non, et que c'est vous seule qui êtes aimée. L'héroïsme en de telles conditions est facile!… Que craignez-vous? Cachée au fond d'un couvent, il ne vous en aimera que plus ardemment, et il ne m'en exécrera que davantage, moi…

– Il ne saura rien de notre marché…

– Eh! qu'importe! Il le devinera si vous ne le lui apprenez pas… Allez, je sais mon avenir. Voilà deux ans que j'endure ce supplice sans nom de le sentir peu à peu se détacher de moi. Que n'ai-je pas tenté pour le retenir! Quelle lâchetés m'ont coûté et quelles bassesses, pour le garder un jour de plus, ou seulement une heure! Tout devait être inutile. Je lui devenais à charge. Il ne m'aimait plus, et mon amour lui semblait plus lourd que le boulet qu'on rivera à sa chaîne de galérien.

Mlle Denise frissonnait.

– C'est horrible! murmura-t-elle.

– Horrible, oui, et vrai. Vous semblez confondue? C'est que vous n'en êtes encore qu'à l'aube riante de vos amours. Attendez le soir sombre, et vous me comprendrez. Est-ce que notre histoire à toutes n'est pas pareille? J'ai vu Jacques à mes genoux comme vous le voyez aux vôtres, les serments qu'il vous jure, il me les a jurés de la même voix frémissante de passion et avec les mêmes regards enflammés… Mais j'étais sa maîtresse, pensez-vous, et vous êtes sa fiancée. Qu'importe! Que vous dit-il? Qu'il vous aimera éternellement parce que vos amours sont de celles que Dieu et les hommes protègent!… Il me disait, à moi, que précisément parce que nous nous placions au-dessus de l'opinion et des lois, nous serions unis par des liens indissolubles et supérieurs à tout! Vous avez la foi. Je l'ai eue. Et la preuve, c'est que je lui ai tout donné, mon honneur et l'honneur des miens, et que j'aurais voulu lui donner plus encore, et que bien des fois j'ai cherché en moi-même par quel sacrifice immense, inouï, et que nulle femme n'eût encore fait, je pourrais lui prouver combien absolument j'étais à lui. Et être trahie, abandonnée, méprisée, descendre de chute en chute jusqu'à ce degré de misère de devenir l'objet de votre pitié!… Être tombée si bas que vous osiez venir me proposer de renoncer pour moi à Jacques… Ah! c'est à devenir folle de rage! Et je laisserais échapper la vengeance que je tiens! Et je serais assez stupide, assez lâche, assez veule, pour me laisser toucher par vos armes hypocrites! Et j'assurerais votre bonheur aux dépens de ma réputation! Ah! ne l'espérez pas!

La voix dans sa gorge expirait comme un râle. Elle fit au hasard quelques pas dans la petite salle. Puis, revenant se planter en face de Mlle de Chandoré, tout près, les yeux dans les yeux de la jeune fille:

– Qui vous a conseillé, demanda-t-elle, cette démarche qui est pour moi comme le suprême outrage?

Glacée d'une indicible horreur, Mlle Denise eut quelque peine à répondre.

– Personne, murmura-t-elle.

– Maître Folgat…

– Ne sait rien.

– Et Jacques?…

– Je ne l'ai pas revu. C'est à l'instant que cette idée m'est venue, soudainement, comme une inspiration du ciel. En apprenant par monsieur Seignebos que vous aviez repoussé le curé de Bréchy, je me suis dit: voilà le dernier malheur et le plus grand de tous. Si monsieur de Claudieuse meurt sans s'être rétracté, quoi qu'il advienne, Jacques fût-il réhabilité, toujours un soupçon planera sur lui. Alors, je me suis décidée à venir à vous… Ah! cela me coûtait cruellement. Mais j'espérais que je saurais vous émouvoir. Que vous seriez touchée de la grandeur du sacrifice…

Mme de Claudieuse était émue, en effet. Dans le bien comme dans le mal, il n'est point d'âme absolue. Aux accents suppliants de Mlle Denise, elle sentait faiblir ses résolutions.

– Le sacrifice serait-il donc si grand! dit-elle.

Des larmes jaillirent des yeux de la pauvre fille.

– Hélas! répondit-elle, c'est ma vie même que je vous offre… Je sens bien que vous n'avez pas longtemps à être jalouse de moi…

Elle fut interrompue par des gémissements qui partaient de la pièce voisine, où agonisait le comte de Claudieuse.

La comtesse alla entrebâiller la porte, et tout de suite:

– Geneviève! fit une voix faible et cependant impérieuse, Geneviève!

– Je suis à vous, mon ami, répondit la comtesse, à l'instant… (Et refermant la porte, et revenant à Mlle de Chandoré): Qui me garantit, fit-elle, d'un accent bref et dur, qui m'assure que si Jacques était reconnu innocent et réhabilité, vous vous souviendriez de vos promesses…

– Ah! madame! s'écria la jeune fille, sur quoi voulez-vous que je vous jure de disparaître! Cherchez des garanties. Celles que vous exigerez, je vous les donnerai. (Et se laissant glisser à genoux): Me voilà à vos pieds, poursuivit-elle, suppliante, humiliée, moi que vous accusiez de vouloir vous outrager… Ayez pitié de Jacques… Ah! si vous l'aimiez autant que je l'aime, vous n'hésiteriez pas!