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Impatienté, le juge d'instruction écarta le domestique et, saisissant la poignée de la porte, il essaya de l'ouvrir: elle était fermée en dedans.

Mais il eut vite pris un parti.

– C'est moi, monsieur de Boiscoran, prononça-t-il, ouvrez…

– Eh! c'est ce cher Daveline! fit joyeusement la voix.

– Il faut que je vous parle…

– Et je suis à vous, magistrat très illustre!… Le temps de voiler d'un inexpressible [1] mes formes apolloniennes et j'apparais.

Presque aussitôt, en effet, la porte s'ouvrit, et M. de Boiscoran se montra, les cheveux ébouriffés, les yeux encore chargés de sommeil, mais rayonnant de jeunesse et de santé, la lèvre souriante et la main largement tendue.

– Par ma foi! disait-il, c'est une fameuse inspiration que vous avez eue là, mon cher Daveline, de venir me demander à déjeuner… (Et saluant M. Daubigeon): Sans compter, ajouta-t-il, que je ne saurais trop vous remercier d'avoir décidé à vous accompagner notre cher procureur de la République. C'est une vraie descente de justice…

Mais il s'arrêta, glacé par l'expression du visage de M. Daubigeon, stupéfait de voir M. Galpin-Daveline se reculer au lieu de prendre et de serrer la main qu'il lui tendait.

– Ah çà, qu'est-ce qui arrive, mon cher ami?…

Jamais le juge d'instruction n'avait été si roide.

– Il nous faut oublier nos relations, monsieur, prononça-t-il. Ce n'est pas l'ami qui se présente chez vous aujourd'hui, c'est le juge.

M. de Boiscoran semblait confondu, mais nulle ombre d'inquiétude n'assombrissait sa franche et loyale physionomie.

– Je veux être pendu, commença-t-il, si je comprends…

– Entrons! fit M. Daveline.

Ils entrèrent, et au moment de passer la porte:

– Monsieur, murmura Méchinet à l'oreille de M. Daubigeon, cet homme est certainement innocent. Jamais un coupable ne nous eût accueillis ainsi…

– Silence! monsieur, dit sévèrement le procureur de la République, qui, cependant, était un peu de l'avis du greffier; silence!

Et, grave et attristé, il alla se placer dans l'embrasure d'une fenêtre.

M. Galpin-Daveline, lui, était debout au milieu de la chambre, et il s'efforçait d'en embrasser et d'en fixer, dans son esprit, jusqu'aux moindres détails.

Le désordre de cette chambre disait avec quelle précipitation M. de Boiscoran avait dû se coucher la veille. Ses effets, ses bottes, sa chemise, son gilet, sa jaquette et son chapeau de paille étaient jetés au hasard sur les meubles et à terre. Il avait sur lui ce pantalon gris clair, reconnu et désigné successivement par Cocoleu, par Ribot, par Gaudry et par la femme Courtois.

– Maintenant, monsieur, commença M. de Boiscoran, avec cette nuance de mécontentement d'un homme qui se demande si on ne se moque pas de lui, m'expliquerez-vous, puisque vous n'êtes plus mon ami, ce qui me vaut l'honneur matinal de votre visite?

Pas un muscle de la figure de M. Galpin-Daveline ne bougea. Et comme si la question se fût adressée à tout autre qu'à lui:

– Veuillez, monsieur, me montrer vos mains, dit-il froidement.

Une vive rougeur colora les joues de M. de Boiscoran, et une perplexité singulière se lut dans ses yeux.

– Si c'est une plaisanterie, dit-il, elle a peut-être trop duré!

Il allait s'emporter, c'était évident. M. Daubigeon crut devoir intervenir:

– Malheureusement, monsieur, prononça-t-il, jamais situation ne fut plus grave. Faites ce que vous demande monsieur le juge d'instruction.

De plus en plus surpris, M. de Boiscoran promenait autour de lui un rapide regard.

Dans le cadre de la porte, Antoine, le vieux valet de chambre, se tenait debout, l'angoisse peinte sur le front. Près de la cheminée, le greffier Méchinet avait avisé une table, et il s'y était installé avec son papier, ses plumes et son écritoire de corne.

Alors, avec un mouvement d'épaules qui annonçait que, décidément, il renonçait à comprendre, M. de Boiscoran montra ses mains. Elles étaient parfaitement blanches et nettes. Les ongles, assez longs, étaient soigneusement nettoyés.

– Quand vous êtes-vous lavé les mains pour la dernière fois? demanda M. Galpin-Daveline, après un minutieux examen.

À cette question, le visage de M. de Boiscoran s'éclaira, et éclatant de rire:

– Par ma foi! s'écria-t-il, j'avoue que j'ai été pris. J'allais m'emporter. J'ai eu presque peur…

– Et vous aviez raison d'avoir peur, monsieur, prononça M. Galpin-Daveline, car une accusation terrible pèse sur vous. Et de votre réponse à la question que je vous pose, et qui vous semble ridicule, dépendent peut-être votre honneur et votre liberté…

Ah! il n'y avait plus cette fois à s'y méprendre. M. de Boiscoran se sentit saisi de cet effroi que la justice inspire aux plus honnêtes, aux plus sûrs d'eux-mêmes.

Il pâlit, et d'une voix troublée:

– Quoi! dit-il, une accusation pèse sur moi, et c'est vous, monsieur Galpin-Daveline, qui vous présentez chez moi pour m'interroger…

– Je suis magistrat, monsieur!

– Mais vous étiez aussi mon ami. Si quelqu'un devant moi se fût permis de vous accuser d'un crime, d'une lâcheté, d'une infamie, je vous aurais défendu, monsieur, et de toute mon énergie, sans hésitation, sans arrière-pensée… Je vous aurais défendu jusqu'à ce qu'on m'eût fourni des preuves éclatantes, irrécusables, matérielles, de votre culpabilité. Et si, à la fin, il m'eût été démontré que vous étiez coupable, je vous aurais plaint, et je ne m'en serais pas moins rappelé qu'à un certain moment je vous avais assez estimé pour vous faciliter une alliance qui eût fait de vous mon parent. Tandis que vous!… On m'accuse, je ne sais de quoi, faussement, évidemment, et tout de suite vous ajoutez foi à l'accusation absurde, et vous acceptez d'être mon juge… Eh bien! soit! Je me suis lavé les mains hier soir, en rentrant.

C'est avec raison que M. Galpin-Daveline avait vanté son sang-froid et sa puissance sur soi. Il ne sourcilla pas à cette rude apostrophe, et toujours du même ton:

– Qu'est devenue l'eau dont vous vous êtes servi? demanda-t-il.

– Elle doit encore être là, dans mon cabinet de toilette.

Le juge d'instruction y courut.

Sur la table de marbre était une cuvette de porcelaine pleine d'eau. Cette eau était noire et sale. Au fond, on voyait distinctement des résidus de charbon. À la surface, mêlés à de la mousse de savon, surnageaient quelques fragments d'une extrême ténuité, mais cependant appréciables, de papier brûlé.

Avec des précautions infinies, le juge d'instruction apporta lui-même la cuvette sur la table où écrivait Méchinet, et la montrant à M. de Boiscoran:

– Est-ce bien là, interrogea-t-il, l'eau dans laquelle vous vous êtes lavé les mains en rentrant?

D'un ton d'insouciance dédaigneuse:

– Oui, répondit M. de Boiscoran.

– Vous aviez donc manié du charbon, touché des matières enflammées?

– Vous le voyez bien!

Placés presque en face l'un de l'autre, le procureur de la République et le greffier Méchinet échangèrent un rapide coup d'œil. Ils avaient, en même temps, ressenti la même impression.