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Jim va se tenter un compte-gouttes baptisé Perception des Schèmes (ainsi, c’est son nom qui a été retenu !), avec un couple dont il parvient presque à se rappeler les noms. Cille, cille. C’est des étoiles ou des réverbères, ça ?

— Je suis du C. d’O. jusqu’à la quatrième génération, leur dit-il à propos de rien. Je l’ai dans mes gènes, cet endroit, j’ai une mémoire atavique de ce à quoi il ressemblait quand il y avait des orangeraies.

— Hon-hon.

— De nos jours on aurait du mal à vivre aussi lentement, pourtant ; vous ne croyez pas ?

— Hon-hon.

Il manque quelque chose dans cette conversation. Jim s’apprête à demander à ses compagnons s’ils ont chez eux des cerveaux sur lesquels ils peuvent se brancher mais qu’ils ont oublié d’apporter, ou s’ils sont obligés de simuler comme ça tout le temps, lorsque Tashi s’interpose.

— Hé, McPherson, dit-il depuis les portes vitrées qui donnent sur la salle de jeux. Viens prendre la raquette.

Bien sûr, c’est Jim le pitre qu’ils réclament là. Sa façon de jouer au ping-pong manque un peu d’orthodoxie, on pourrait en fait le qualifier de maladroit ; mais ça va. Il vaut mieux être réclamé pour n’importe quoi que pas réclamé du tout.

Arthur Bastanchury est en train d’achever Humphrey Riggs, et Humphrey, le patron de Jim à l’agence immobilière, tend la raquette moite de sueur à Jim en marmonnant un juron. Jim est face au roi du ping-pong.

Arthur Bastanchury, le roi du ping-pong, mesure environ un mètre quatre-vingt-dix, les yeux bleus, les cheveux noirs et les épaules larges. C’est aussi un militant pacifiste acharné et l’éditeur d’un journal underground, ce que Jim admire, Jim ayant lui-même des idées socialistes. Et un type bien à tous points de vue. Oui, Arthur, d’après Jim, est quelqu’un avec qui il faut compter.

Ils s’échauffent longuement, et Jim s’aperçoit qu’il a pris la mauvaise quantité de Perception des Schèmes. Il distingue le « berceau du chat » temporel que lui et Arthur sont en train de créer, mais seulement bien après les faits, et les images rémanentes de la balle blanche, semblables à des traînées laissées par un avion, sont source de distraction. On dirait que McPherson a des problèmes.

Ils attaquent la partie et ça s’avère encore pire qu’il ne le prévoyait. Jim a le geste vif, mais il est maladroit, on ne peut pas le nier. Et sa belle mise en accord est salement déglinguée. Abandonnant, plus ou moins, il décide témérairement d’adopter une stratégie d’attaque, se dit : « Dégomme-moi ce putain de gauchiste », ce qui est bizarre étant donné qu’il est en parfait accord avec ce qu’il sait des idées politiques d’Arthur.

Mais pour l’instant il est utile de se mettre dans l’état d’esprit d’un tueur de rouges.

Utile également de ne pas se soucier des apparences. Arthur est un joueur tout en puissance au smash redoutable, et Jim est contraint de faire, euh, quelques mouvements curieux – torsions et contorsions, plongeons dans les murs et ainsi de suite… En fait, Angela l’entend jouer et vient enlever ses plantes pour les mettre hors de danger. Parfait, davantage de place pour manœuvrer.

Pourtant, Jim est méchamment en train de perdre lorsqu’il tente une balle liftée et se frappe lui-même en plein front avec la tranche de sa raquette. Un rire général accompagne ce coup ; mais en fait, une fois la douleur estompée et les lueurs noires effacées de sa vision, le choc semble avoir stimulé quelque chose dans le cerveau de Jim. Des synapses s’assemblent brutalement en de nouveaux arrangements, de nouveaux axones se développent dans l’instant, toute la partie devient soudain très claire. Il voit avec deux ou trois coups d’avance où la balle est destinée à aller.

Jim s’élève à un nouveau niveau, une pure sur-compétence, son revers commence à marcher, n’importe quelle occasion de ce côté-ci et une torsion brusque du poignet expédie une balle qui traverse la table à angle si aigu que les gens qui se tiennent côté filet la prennent en pleine tête. Alterner ça avec des revers courts, de plus en plus courts. Ces coups, ajoutés aux plongeons hardis, pour ne pas dire idiots, vers le mur lorsqu’il s’agit de renvoyer des smashes, renversent la tendance générale de la partie. Il prend ses derniers services et l’emporte 21 à 17.

— Restent la revanche et la belle, dit Arthur, que ça n’amuse pas.

Mais c’est une erreur de repartir à jouer quand Jim est barré comme ça. Pour une grande part, le ping-pong consiste à avoir la confiance de frapper la balle le plus fort possible, après tout. Dans la deuxième manche, Jim sent la puissance se déverser en lui, et Arthur n’y peut rien.

Jim peut même se permettre le luxe de remarquer que la salle vidéo à côté se remplit de spectateurs. Sandy a allumé les caméras de la salle de jeux, et les curieux se voient offrir huit vues différentes du spectacle en direct, toutes diffusées sur le grand mur-écran et les divers écrans mobiles accrochés à des suspensions qui tombent du plafond : Jim et Arthur, virevoltant en tous sens. En fait, la salle de jeux se vide à mesure que les gens se rendent dans la salle vidéo pour regarder le spectacle, et les deux joueurs ont de la place pour s’y adonner pleinement.

Mais Arthur n’a pas de chance, ce soir. Jim témoigne là d’une sorte de… troublant talent, de prémonitions si fortes qu’il lui faut retenir son bras pour laisser à Arthur le temps de renvoyer la balle aux endroits prédéterminés. Quel pied, ce sport de table idiot !

Seconde manche, 21 à 13. Arthur jette sa raquette sur la table.

— Waow ! (Il fait un grand sourire, bon perdant :) Vous tenez la forme, ce soir, beau Jim. C’est l’heure de se laisser tenter par ces margaritas.

Jim commence à redescendre. Il regarde autour de lui : Tashi et Abe n’étaient même pas dans la salle de jeux ou la salle vidéo. Dommage qu’ils aient raté ça, Jim aime bien que ses amis le voient être autre chose que le pitre. Oh, bon. L’acte est sa propre récompense, non ?

Quelquefois, Jim a du mal à s’en convaincre.

— Beau match, fait une voix derrière lui.

Il se retourne ; c’est Virginia Novello.

L’adrénaline fait une petite rentrée en scène. Virginia, la compagne d’Arthur Bastanchury jusqu’à il y a quelques mois, représente l’idée que Jim se fait de la perfection féminine. Debout, là, juste devant lui.

Longs cheveux blonds raides et denses.

Blanchis par le soleil mais encore pénétrés de rouge et de jaune.

Oui, on vend cette couleur de cheveux, on l’appelle Or de Californie.

Elle est d’une taille à peine en dessous de la moyenne.

C’est le corps que les femmes vont fabriquer dans les stations thermales.

Virginia elle-même y va.

Corsage sans manches, brodé blanc sur blanc, décolleté arrondi.

Biceps musclés, petits triceps

Parfaitement dessinés sous la douce peau bronzée. Waow.

Les critères esthétiques se modifient avec le temps, mais pourquoi ?

Les traits du mannequin de Californie : petit nez fin, bouche ronde, yeux bleus écartés.

C’est le look, dans la société du look :

Taches de rousseur sur les joues qui, sous un coup de soleil, pourraient se mettre à peler tout de suite.

Ce feu stop dans ta tête…

« Bon, ça vaut bien un peu d’adrénaline », se dit Jim. Bien sûr, tout le monde est beau ces temps-ci, on est en Californie après tout, mais pour Jim, Virginia Novello est le truc. Et voilà qu’elle lui parle. Elle l’a fait auparavant, bien sûr, peut-être de façon un peu distante, et dans le cadre de l’Arthur-culture, mais là… Jim lui offre sa nouvelle margarita et elle en boit une gorgée. Muscles des bras qui glissent et se contractent sous une peau hâlée, poils soyeux de l’avant-bras qui luisent dans la lumière. Son corsage blanc change agréablement de toutes les couleurs primaires réparties dans la pièce. Ce sont des tissus dont la couleur est prise dans une très étroite bande du spectre, mettons quinze hertz, de manière, par exemple, que l’on commence à voir un corsage bleu se dégrader en violet, ou un jaune en vert, d’un bord à l’autre de la pièce de vêtement. C’est d’une apparence spectaculaire, et très populaire en raison de cela, mais quand même, un changement fait du bien. C’est plutôt audacieux.