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Les quatre hommes se tiennent près de la fourgonnette, l’observent avec ennui, amusement, Dieu sait quoi. Jim se réjouit d’avoir des raisons d’être nerveux, parce qu’il n’est pas sûr de pouvoir s’en empêcher. En fait, il se sent prêt à vomir, son pouls lui cogne dans tout le corps, il a même du mal à respirer sans gros efforts…

Des phares, qui approchent. Jim regarde sa montre. C’est l’heure, c’est l’heure, l’adrénaline le transperce.

— Hé ! crie-t-il aux autres. Voilà la police !

Et sa voiture s’élance toute seule, sort du parking et part sur Lewis en direction du nord, accélérant au maximum. Jim s’enfuit en courant vers le nord, vers la petite entrée retirée du mail.

Monte les degrés d’accès, manque s’affaler ; il est fou de panique ! Entre dans le dédale du mail, monte au niveau le plus fréquenté, puis grimpe un escalier large, en pente douce, jusqu’à la mezzanine ; une fois là, il peut fuir dans dix directions différentes, et il prend ses jambes à son cou en se contentant d’un seul regard en arrière.

Deux des hommes le poursuivent.

Jim file à fond de train au milieu de la foule des gens qui font leurs courses, zigzague et fait des écarts désespérés pour esquiver les groupes de badauds, les aérations à ciel ouvert, les bacs à fleurs, les fontaines, les stands en plein air et les terrasses de restaurants. Grimpe un petit escalator trois à trois, fait le tour du vaste espace ouvert de la fontaine laser. Regarde en bas, de l’autre côté, constate que ses poursuivants sont déjà perdus. Mais l’un des deux le repère et les revoilà déjà partis à courir. Ils sont à rude épreuve, à pourchasser quelqu’un dans un mail ; si Jim connaissait mieux le mail, il les sèmerait en une seconde. Là, il est lui-même paumé. Etages et entresols, escaliers mécaniques ou non s’étirent dans tous les sens, au sein de cet espace cassé, réfléchi… Tous les jours il y a des magasins qui ferment parce que les gens n’arrivent jamais à trouver deux fois le même endroit ; quelles chances ont deux hommes qui poursuivent un individu paniqué et très mobile ? C’est un labyrinthe en 3 D, et Jim n’a qu’à suivre un chemin au hasard, il prend vers l’ouest, et les voilà semés.

C’est du moins ce que Jim, affolé, se dit en courant. Mais quand il parvient à l’est du mail et jaillit à travers l’entrée, du diable si les deux hommes ne sont pas en train de monter à toute vitesse un escalator, là-bas !

Dehors, cependant, dans la rue qui longe le parking, il aperçoit sa voiture, qui est venue là toute seule. Bon programme. Il se dirige au pas de course vers l’endroit où elle s’est rangée, et ne remarque qu’au dernier moment les trois policiers qui s’en approchent pour l’inspecter.

Panique sur panique ; les fusibles de Jim manquent sauter quand il voit ça, mais ses poursuivants sont maintenant sur le parking et il n’y a pas de temps à perdre. Sans réfléchir, il se précipite vers sa voiture et crie aux policiers :

— Elle est à moi ! Ils m’ont volé, tiré de force de la voiture, et maintenant ils me pourchassent !

Les trois agents le considèrent avec attention, puis regardent l’endroit qu’il désigne, les deux hommes qui traversent le parking en courant.

— C’est eux !

Les deux hommes réalisent ce qui se passe, et font promptement demi-tour pour retourner à l’intérieur. Parfait.

Mais voilà Arthur et les deux autres fournisseurs, qui arrivent dans la voiture d’Arthur, prise dans la circulation. Jim se hâte de dire :

— Il y a les autres dans la voiture là-bas ! Vite, juste là ! Oui !

Et il tend le doigt. Et Arthur le voit tendre le doigt.

Arthur voit les policiers qui lui font signe et passe sur la voie rapide. Cela éveille l’attention des flics, et deux d’entre eux disparaissent dans leur fourgon, garé juste derrière la voiture de Jim. Le troisième reste en arrière, et il regarde dans la voiture de Jim avec curiosité.

— Revoilà les autres, monsieur l’agent, dit Jim, et il indique les portes est du mail.

Pendant que le policier scrute dans cette direction, Jim ouvre brusquement la portière de sa voiture, saute dedans et écrase le champignon. La voiture fait un bond en avant sur la voie de droite, laissant le flic planté derrière à brailler.

Jim bifurque brutalement à droite, parce que sur City Avenue, devant lui, le fourgon de police est aux trousses d’Arthur et de ses deux copains, Arthur…

Jim prend le rail direction sud sur la Santa Ana Freeway. Il a échappé à ses poursuivants, pour autant qu’il le sache. Sa réaction consiste en une douleur aiguë dans l’estomac. Il se pourrait même qu’il vomisse dans la voiture. Et cette expression sur le visage d’Arthur, quand il a vu Jim le désigner à la police… « Non, non ! Ce n’est pas ça que je voulais !… »

Plus rien à faire. Il y a de fortes chances pour qu’Arthur se fasse coincer, ainsi que les deux fournisseurs. Mais les flics trouveront-ils un motif pour les retenir ? Jim n’en sait rien. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il est dans un véhicule qui contient six caisses d’armement, ce qui relève de la haute trahison, et que les flics ont probablement relevé le numéro de sa plaque d’immatriculation. Et qu’il vient de livrer un de ses amis à la police, sans raison. Sans raison ? Bon Dieu, il n’en sait rien ! Il a l’impression d’avoir, en fait, trahi tous ceux qu’il connaît, d’une manière ou d’une autre.

Il regarde nerveusement dans le rétroviseur, guettant des flics de la route, la police locale, des shérifs, des militaires… Qui sait qui ils vont envoyer aux trousses des saboteurs industriels ? Il aperçoit son propre visage pas rasé, l’expression de peur maladive que celui-ci revêt. Et il est soudain furieux, tape du poing sur le tableau de bord, empli de dégoût vis-à-vis de lui-même. « Trouillard. Traître. Putain d’imbécile ! » Enfin délivrées, toutes ses colères aveugles se déversent d’un seul coup, s’expriment par de grands coups de poing contre le tableau de bord, par des injures incohérentes proférées dans des sanglots. « Tu sais… tu sais… ce qu’il faudrait… faire… et t’es pas capable de… le faire ! »

Ayant perdu tout self-control, il se rappelle sa cargaison et trace comme un fou furieux jusqu’à South Coast Plaza. Il s’arrête en calant sur un parking en plein air en face de la tour administrative de S.C.P., bondit hors de la voiture, arrache le couvercle de la caisse sur le siège du passager, sort un missile Harris Mosquito chargé au Styx-90. Là, au milieu des voitures garées en ordre dispersé, il colle le socle du petit missile à même le sol du parking et le braque vers les fenêtres obscures de la tour. Il installe le mécanisme de mise à feu, l’actionne. Le missile émet tout à coup un retentissant whoosh de flammes et disparaît. En haut de la tour administrative, une vitre casse, et il y a un bruit de verre brisé, le tintement d’une sonnerie d’alarme retentit. Jim pousse un hourra, remonte en voiture et s’en va.

Part à Santa Ana, jusqu’au siège de la First American Title Insurance and Real Estate Company. Il fait noir, il n’y a personne. Nouveau missile installé sur le parking, braqué sur les portes de l’entrée principale ; ça va faire fondre tous les ordinateurs, là-dedans, toutes les archives. Il va perdre un job ! Il rit, hystérique, en mettant le mécanisme en place, puis le déclenche. Cette fois, le missile casse une grande porte de verre blindé, et les alarmes sont des sirènes.

Au loin, des hululements résonnent. Qu’est-ce qu’il peut casser d’autre ? Le conseil d’administration du Comté d’Orange, ouais, ces gens qui ont systématiquement aidé les promoteurs à tailler en pièces le Comté d’Orange, durant plus de cent années de mauvaise gestion et de corruption. Redescente sous le triangle jusqu’au vieux centre administratif municipal de Santa Ana. Là aussi il fait noir, et il a tout loisir de mettre son Mosquito en place. Il n’a qu’à amorcer le dispositif de lancement, et le petit engin pareil à une fusée entrera là-dedans et fera voler en éclats toute l’administration corrompue du comté. Alors il le fait et rit comme un petit fou.