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A qui le tour ? Il est incapable de réfléchir. Quelque chose s’est cassé en lui, et il semble absolument incapable de penser.

Il y a un Fluffy Donuts fermé ; pourquoi pas ?

Un autre cabinet de promoteur ; pourquoi pas ?

Une des usines de micro-puces militaires Irvine ; pourquoi pas ?

En fait, il est tout près de la Laguna Space Research. Et il est désormais assez grisé par la colère pour avoir envie de les punir de ses trahisons, commises dans leur intérêt. Ils méritent un coup de semonce, il faut qu’ils sachent à quel point ils ont frôlé la destruction totale. Leur foutre les jetons.

Après, ils auront appris à se méfier, à se tenir sur leurs gardes.

Aussi confus en action qu’en pensée, Jim se perd dans un condomundo de Muddy Canyon, mais quand il en ressort c’est pour se retrouver à proximité d’une école primaire au bord d’un canyon, et de l’autre côté du canyon se dresse la L.S.R. Il déballe deux Mosquitos et les emporte jusqu’à un terrain de foot qui surplombe le canyon. Les installe, vise la grosse enseigne LAGUNA SPACE RESEARCH à l’entrée du site. Il met en marche le mécanisme de mise à feu et regagne sa voiture en toute hâte.

N’en reste plus que deux. Il bousille deux autres agences immobilières à Tustin.

Il n’y a plus que les caisses, maintenant ; il les balance par la portière sur la Santa Ana Freeway, observe la circulation dans son dos. Retour dans les rues de Tustin, gorge nouée au point d’avoir le souffle difficile, entrecoupé d’irréguliers sanglots hystériques. Le mail de Redhill le nargue malgré tous ses efforts, même quand il sort et jette des pierres dans les vitres. Elles sont à l’épreuve des chocs et les pierres rebondissent. Il ne peut pas faire disparaître le C. d’O., pas avec son vandalisme idiot, pas même en sombrant dans la folie. Le C. d’O. est partout, il investit toutes les réalités, même celles qui sont folles. Surtout celles-là, Jim ne peut pas s’échapper.

Il rentre chez lui, toujours hors de lui de rage et de dégoût. Son appart le rend dingue, il se rue sur la bibliothèque et la renverse, la regarde écraser la chaîne C.D. en tombant. Il donne des coups de pied dans les livres, mais ils sont trop indestructibles et il se rabat sur son ordinateur. Un grand coup du gauche et l’écran se fendille, ainsi peut-être qu’une phalange. « Sale connard ! » Il va chercher une poêle pour finir le boulot. Crac ! Crac ! Crac ! Au tour des disquettes. Chaque fois qu’il en écrase une, c’est un ou deux milliers de pages de ses écrits totalement inutiles qui disparaissent pour de bon – Dieu merci ! Des tiroirs pleins de pages sorties sur imprimante, pas tant que ça, faciles à déchirer en quatre et à envoyer en l’air comme s’il s’agissait de confettis. Quoi d’autre ? Les C.D. Possible de casser à coups de poêle tous les collages de symphonies pour les réduire en miettes de plastique, de réassembler tous les fragments éparpillés et d’obtenir le méli-mélo aléatoire que justifie la méthode. Et ensuite ? Un dessin de Hana, déchiré en deux. Les étiquettes de cageots d’oranges, enfoncées et lacérées. La pièce commence à avoir une bonne gueule.

La chambre. D’abord, l’installation vidéo, il peut décrocher ces caméras et les massacrer. Et les cartes ! Il saute en l’air, agrippe le haut d’une des grandes cartes des frères Thomas, l’arrache. Elle se déchire dans un bruit long, sec. Les autres cartes viennent aussi facilement, il finit par se retrouver assis sur un tas de bouts de cartes, qu’il déchire en morceaux toujours plus petits, aveuglé par les larmes.

Soudain, il entend une voiture arriver et s’arrêter dans la rue devant chez lui. Juste en face de son appart. La police ? Arthur et ses amis ? La panique reprend le pas sur la rage stupide, et il se tortille dehors par la petite fenêtre de la chambre, traverse la cour encombrée de bacs à ordures. Il lui vient à l’esprit qu’Arthur et ses amis pourraient vouloir ravager son appart à cause de sa trahison, et cette idée le fait se plier en deux de rire. Ils ne vont pas avoir une surprise ? Il continue cependant de traverser l’aplex, titubant, gloussant de fou rire, courbé par le nœud serré que fait son estomac…

Pas de mal à semer quelqu’un dans ces terriers. « Ces clapiers dans lesquels on vit ! se dit-il. Ces clapiers ! » O.K., il va les coiffer au poteau, ils ne le retrouveront jamais. Les voitures de police sont en route, direction Tustin et le théâtre de ses attaques. Nuit bien remplie, pas vrai, m’sieur l’agent ? Jim éprouve soudain le besoin urgent de se précipiter en pleine rue et de crier : « C’est moi qui ai fait ça ! C’est moi qui ai fait ça ! » Il s’aperçoit qu’il est réellement debout sur le rail quand la peur le fait bondir, et il déhotte en vitesse vers l’obscurité entre les lampadaires, agité de tremblements incontrôlables. C’est pas des piétons, là-bas ? Pas normal. Il faut qu’il se remette à courir. Peut pas retourner chercher sa voiture, pas de transports publics, peut aller nulle part à pied. Il éclate de rire, essaie de faire du stop. Tourne à droite vers Hewes. Il laisse tomber le stop, personne ne prend jamais de stoppeurs, et en plus où est-ce qu’il va ? Il descend Hewes au petit trot jusqu’à la Dix-septième, haletant. Emprunte Tustin, puis Newport, puis Redhill. De temps en temps, il s’arrête pour ramasser de bons cailloux, et les balance ensuite dans les fenêtres des agences immobilières devant lesquelles il passe. Il va presque jusqu’à tenter une banque mais se rappelle toutes les alarmes. Il doit maintenant avoir déclenché une vingtaine de systèmes d’alarme moins importants, est-ce que les ordinateurs sont en train de reconstituer sa course en ce moment même, de prédire les mouvements désordonnés qu’il fait dans son désespoir aveugle ?

Les gens qui passent en voiture le regardent : les piétons sont suspects. Il lui faut un véhicule. Coupé de sa voiture, il est immobilisé, impuissant. Il empoigne un enjoliveur abandonné, le lance comme un frisbee dans la vitrine d’un Diable-en-Boîte. Beau lancer, même si la vitrine n’est que fêlée. Mais c’est comme s’il avait bousculé une ruche : employés et clients surgissent en l’espace d’une seconde et se lancent à sa poursuite. Il repart à fond de train vers l’aplex, au sein duquel il se faufile sans bruit. Il trébuche sur un vélo, qu’il relève avec la volonté bien arrêtée de le voler et de s’enfuir en pédalant, abandonne et le laisse retomber quand il voit la tête de Mickey Mouse, qui lui sourit au milieu du guidon.

Revenu sur Redhill, plus loin au sud, il aperçoit un bus. Incroyable ! Il saute dedans, paie, et les voilà partis. Un seul autre passager, une vieille dame.

Il fait tout le trajet jusqu’à Fashion Island, en essayant vainement de retrouver son souffle normal. Plus il a de temps pour réfléchir, plus il est furieux contre lui-même. « Et plus j’ai envie d’aller commettre des actes encore plus stupides ! se dit-il. Ce qui me rendra encore plus furieux, ce qui me poussera à faire quelque chose d’encore plus con !… » Descendu d’un bond à Fashion Island, il se dirige immédiatement vers un jardin japonais de bonsaïs en plastique qui contient quelques vrais, quelques vraiment solides cailloux. Des cailloux pareils à des boulets de canon. Après avoir mis en pièces quelques-uns des arbres en plastique, il s’empare des cailloux en question. Il en tient un gros dans chaque main lorsqu’il arrive à proximité de Bullock’s and I. Et de I. Magnin’s. Immenses vitrines, qui représentent des pièces qui pourraient héberger une centaine de pauvres pendant cinq cents ans. Montées dans le seul but d’exposer, rayon après rayon, des vêtements aux couleurs de l’arc-en-ciel. Il vise et s’apprête à envoyer les deux cailloux à la fois quand retentit derrière lui un grognement de surprise et qu’on l’empoigne pour le soulever de terre.