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Brusque dénégation de la tête.

Lemon sent comme une sorte de picotement de peur dans ses doigts.

— Ne pourrions-nous pas… simuler un autre attentat, d’une manière ou d’une autre ?

Hereford le dévisage.

— Stimuler ? Ou simuler ? (Il pousse un rire bref.) Non. Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous avons reçu un avertissement. Il nous incombe donc désormais de veiller à ce que ça ne se reproduise plus. Sinon, nous donnerons l’impression d’avoir laissé faire. Alors voilà.

Lemon déglutit.

— Qu’est-ce qui se passe maintenant, alors ?

— C’est déjà en train de se faire. J’ai donné des ordres pour qu’on transfère le programme Foudre en Boule dans notre usine de Floride et qu’on le confie à une nouvelle équipe. L’Air Force va nous tomber dessus le mois prochain quoi que nous fassions, mais j’espère que nous pourrons leur signaler que nous avons déjà pris conscience du problème du programme de fabrication et que nous avons pris des mesures pour y remédier.

Lemon espère ne pas avoir le visage aussi enflammé qu’il le sent.

— Ce n’est pas simplement un problème de délais de fabrication…

— Je sais.

— L’Air Force le saura aussi.

— J’en suis conscient. (Le regard de Hereford est très, très froid.) A ce stade, je n’ai plus tellement le choix, vous ne croyez pas ? Votre équipe nous a fourni un programme qui pourrait très facilement nous attirer un gros gros revers. En fait, je serais prêt à parier tout de suite que c’est ce qui va arriver, quoi que je fasse. Mais je dois encore essayer de tirer mes dernières cartouches. Il est possible que les problèmes de missiles de défense balistiques que tous les autres rencontrent nous fassent paravent. On ne sait jamais.

— Alors qu’est-ce que je fais de mon équipe ici ? demande Lemon.

— Vous la virez. (Hereford le regarde avec calme.) Licenciez l’unité de production. Expédiez les meilleurs ingénieurs quelque part ailleurs, s’il y a de la place pour eux.

— Et les cadres ?

Hereford ne cille pas.

— Virez-les. On fait le ménage, vous vous rappelez ? Nous devons faire en sorte que l’Air Force voie que nous sommes sérieux. Faites les trucs habituels, mises à la retraite anticipée, licenciements, tout ce qui est nécessaire. Mais faites-le.

— D’accord. D’accord. (Lemon réfléchit à toute vitesse.) McPherson est parti… Il était chargé de l’aspect technique de Foudre en Boule depuis quelques mois, et, de toute façon, après le fiasco d’Abeille-Tempête, nos amis d’Andrews seront ravis de le voir s’en aller. Mais en ce qui concerne Dan Houston… Houston est un type utile…

Devant le regard sinistre de Hereford, Lemon est incapable de poursuivre. Il commence à comprendre comment Lemon s’est élevé si haut si vite. Il y a là quelque chose d’impitoyable dont Lemon ne s’est même jamais simplement approché…

Finalement, Hereford déclare :

— Houston aussi. Tous. Et faites vite.

Et ensuite, alors qu’il se détourne pour se diriger vers l’hélicoptère qui attend :

— Vous avez de la chance de ne pas partir avec eux.

79

Tôt cet après-midi-là, Dennis McPherson découvre qu’il est mis à la retraite d’office. Congédié. Viré. La nouvelle lui parvient sous la forme d’une lettre fraîchement dactylographiée et sèchement tournée qui émane de Lemon. On lui accorde deux mois de préavis, naturellement, mais compte tenu de ses jours de vacances accumulés et de ses droits à des congés maladie… Et étant donné qu’il ne lui reste plus rien sur quoi travailler, puisque c’est quelqu’un d’autre qui supervise le transfert du programme Foudre en Boule vers les usines de Floride – manœuvre dénuée de sens et à vrai dire stupide pour autant que McPherson le sache –, eh bien… Rien qui le retienne ici. Rien du tout.

Il s’en assure en faisant un rapide calcul de ses jours de congé sur la calculatrice de sa console. Nan. En fait, ils lui doivent quelques jours. Mais au bout de vingt-sept ans de travail dans la maison, quelle importance ?

Il demande hébété qu’on lui fasse monter une caisse et y rassemble ses quelques affaires personnelles. Il confie la caisse à Karen, sa secrétaire, pour qu’elle la lui poste. Elle a pleuré. Il lui accorde un bref sourire, trop distrait par ses propres pensées pour réagir comme il faudrait. Elle lui apprend que Dan Houston a été renvoyé aussi.

— Ach, fait-il. (Ça par-dessus tout le reste ; moche pour Dan.) Je pense que je vais rentrer maintenant, déclare-t-il au mur du bureau.

L’enchaînement automatique précipité de ses actes lui procure un instant de satisfaction ; il est en route vers la sortie quand Lemon sort de l’ascenseur et dit : « Dennis, laissez-moi vous parler », avec cet aplomb mécanique de patron dans les accents rauques de sa voix, cette certitude qu’on fera forcément ce qu’il demande.

Et sans un regard en arrière McPherson continue de marcher, passe la porte et emprunte l’escalier qui mène au parking.

En sortant dans sa voiture, il ne remarque même pas l’enseigne fondue de la compagnie.

Pilotage automatique jusqu’à la maison, comme lors de tant d’autres jours de son existence. Il est impossible de croire que cette fois-ci est la dernière. On circule beaucoup mieux à cette heure de la journée. Le seul véritable embouteillage est à hauteur de l’échan-geur entre la Laguna Freeway et la Santa Ana Free-way. Sur Redhill, les rues ont l’air désertes et mal éclairées, comme un mauvais décor de cinéma représentant la ville. Pareil avec Morningside, et avec sa maison.

Lucy est sortie. A l’église. Dennis s’assied à la table de la cuisine. C’est drôle comme à aucun moment il ne lui est venu à l’esprit pendant qu’il se bagarrait sur le programme Abeille-Tempête que c’était son boulot qu’il défendait. Il pensait ne se battre que sur le programme…

Il reste assis dans la cuisine et fixe stupidement la salière et la poivrière. Il est hébété ; il a même conscience d’être hébété. Mais c’est comme ça qu’il se sent. « Laisse s’exprimer tes sentiments », dit sans cesse Lucy. Bien. C’est le moment de surmonter un choc profond, là. De plonger en plein abrutissement.

C’était bien, la façon dont il a passé son chemin devant Lemon. Juste comme il avait toujours eu envie de le faire. Qu’est-ce qu’ils pouvaient bien avoir en tête quand ils ont décidé de transférer le programme Foudre en Boule en Floride ? Ça va tout bonnement foutre en l’air le travail qu’ils étaient en train de faire sur les faisceaux phasés ; et s’ils étaient arrivés à mettre ça au point…

Mais stop. Il pousse un petit rire. Une habitude mentale. Travailler sur les problèmes à domicile, en rêvant devant cette table.

A quoi va-t-il réfléchir, maintenant ?

Il résout la question en ne réfléchissant plus à rien.

Lucy rentre. Il la met au courant. Elle s’assied brutalement.

Il détache les yeux de la table, lui lance un regard : Alors ? C’est ça… Rien à faire. Elle tend le bras par dessus la table et pose sa main sur la sienne. Stupéfiant comme le langage intime d’un vieux couple marié peut être expressif.

— Tu trouveras un autre travail.

— Hon.

Ça ne lui était pas venu à l’esprit, mais à présent il en doute. Ce n’est vraisemblablement pas un profil de carrière susceptible de trop impressionner les gens du secteur de la Défense.

Lucy perçoit la négation dans son grognement et va vers l’évier. Se mouche. Elle a du chagrin.

Elle revient, dit d’une voix enjouée :

— Nous devrions aller chez nous du côté d’Eureka. Ça te ferait du bien de t’éloigner. Et nous n’avons pas vu ce terrain depuis l’année où il a brûlé. Peut-être est-il temps de construire cette cabane dont tu parles.