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Il arpente ensuite le salon pour rassembler les lambeaux de papier éparpillés autour du bureau. Ce monceau de copeaux constitue la totalité de ses efforts pour écrire. En les voyant déchiquetés ainsi, il a mal au cœur. Les trucs sur l’histoire du C. d’O. ne méritaient pas vraiment ça. Enfin… Tout est encore là, quelque part dans le tas. Il se met à examiner tous les bouts de papier un à un, à les étaler sur le canapé selon un nouvel ordre, jusqu’à ce que tous les fragments aient été réunis. Il scotche les pages ensemble comme il l’a fait pour les cartes. Après cela, il les relit, jette tout sauf les trucs historiques. A part ceux-là, il va tout reprendre depuis le début.

Quand il en a fini avec ça, il sort l’aspirateur et avale la poussière partout où l’engin peut passer. Eponge et détergent, chiffon, serviettes en papier et peau de chamois, détachant pour les taches sur le mur… Il s’y consacre furieusement, comme s’il avait absorbé un hallucinogène et développé un dégoût pour le désordre et la poussière, qu’il voit se réduire et se réduire. La musique qui s’élève de la petite radio de sa cuisine, heureusement épargnée par la purge, l’aide à trouver l’énergie nécessaire ; c’est le dernier morceau des Three Spoons and a Stupid Fork :

T’es un cerveau de bagnole Tu restes bien sur le rail On t’a donné tes orientations Et tu réponds pas T’as été programmé très simplement Et t’as pas grand-chose à dire Et tu vas casser Un de ces quatre ça va arriver.

— Eh, va te faire foutre, chante Jim à l’intention de la radio, et il poursuit la chanson tout seul : Et après la casse, la bagnole peut voir, vidée de tous ses programmes, à acquérir sa liberté…

Oui, un ordre doit être établi ; rien de fétichiste là-dedans, juste un certain schéma, symbolique d’une cohérence interne qui reste à définir. Il se bagarre pour trouver un nouvel ordre d’ensemble, à partir des mêmes vieux éléments de base…

Tous ses pitoyables livres violentés sont sur le canapé. Quelle connerie de s’en prendre à eux comme ça. Heureusement que la plupart n’ont été que balancés à droite et à gauche. Il redresse la bibliothèque de briques et de planches, entreprend de remettre tout ça en place. L’alphabet est-il vraiment un principe de base sensé pour ranger des livres ? Voyons si on peut les disposer selon un ordre arbitraire, et ce qui en ressort. Etablissons un nouvel ordre.

Il finit par arriver au bout de ses peines. Le soleil de fin d’après-midi perce sous l’autoroute, tombe par la fenêtre ouverte. Ouvrir la porte, éjecter tous les grains de poussière en profitant du courant d’air. L’endroit a vraiment l’air propre ! Jim sort emmener sa récolte de débris jusqu’au bac à ordures, revient. Ressort avec le système vidéo bousillé de sa chambre, le jette aussi. Assez d’images. Il rentre et se retrouve épaté. Ce n’est pas un mauvais appart, du moins pas à cette heure-ci de la journée, à cette époque-ci de l’année.

Il se fait des œufs brouillés pour le dîner. Puis il appelle Hana. Ça ne décroche pas, et il n’y a pas de répondeur. Merde. Il appelle ses parents. Leur répondeur est branché, ce qui le surprend. On n’est pas vendredi soir ; où sont-ils passés ? D’habitude, ils ne branchent le répondeur que quand ils quittent la ville.

Il n’a rien à faire chez lui et, au bout d’un moment, prend sa voiture pour aller voir.

Personne, exact. Il y a un mot de Lucy sur l’écran de la cuisine.

« Jim… Papa a été renvoyé de son travail… Nous sommes partis à Eurêka voir notre terrain… Merci d’arroser les plantes dans le salon, etc. Nous revenons dans quinze jours. »

Renvoyé ! On ne manque pourtant pas de boulot à la L.S.R. !

Dérouté, Jim parcourt la maison de son enfance, sans but. Ou’est-ce qui a bien pu se passer ?

Ça fait drôle, de voir cet endroit aussi vide. Comme s’ils étaient tous partis pour de bon.

Pourquoi l’ont-ils viré ? « Enfoirés ! J’aurais dû les laisser vous faire fondre ! J’aurais dû les aider à le faire ! »

Mais s’il l’avait fait, il est tout aussi certain que son père aurait été congédié, non ? Jim ne voit pas en quoi la destruction des installations de Laguna Hill aurait rendu en quoi que ce soit plus plausible le maintien de son père à son poste à la L.S.R. ; en fait, le contraire semble plus probable. Il ne sait pas vraiment.

Jim se tient dans le couloir, d’où il peut voir toutes les pièces du petit duplex, ces pièces où se sont déroulés tant d’épisodes de sa vie. Des pièces désormais toutes petites et vides, qui se moquent de lui par leur silence et leur tranquillité. Qu’est-ce qui s’est passé ? Il se rappelle la tête de Dennis quand il avait les yeux plongés à l’intérieur du moteur de la voiture, Dennis se raccrochant à ses convictions avec une opiniâtreté acharnée…

Jim s’en va, se sentant vain et vide. « Me voilà reparti, se dit-il. Je suis prêt à emprunter une nouvelle voie. A commencer une nouvelle vie. Mais comment ? C’est toujours le même vieux matériel que j’ai sous la main… Comment commencer une nouvelle vie quand tout le reste est pareil ? »

81

Il trace jusque chez Sandy, se refusant à accorder le moindre coup d’œil à South Coast Plaza.

La porte de Sandy est ouverte, et à l’intérieur tout est calme. Angela est là.

— Oh, salut, Jim.

— Salut, Angela. Est-ce que Sandy… Est-ce que Sandy va bien ?

— Oh oui. (Angela le précède vers la cuisine, qui semble bizarre, silencieuse et vide comme ça.) Il va bien. Il est parti voir son père à Miami.

— Je viens d’apprendre par Tashi ce qui s’était passé l’autre soir. On est restés dans les montagnes depuis, sinon je serais venu plus tôt. Je suis vraiment, vraiment désolé…

Angela lève la main pour lui couper la parole.

— T’en fais pas pour ça, Jim. C’était pas de ta faute. Tash m’a raconté ce que tu as fait, et pour être franche, je suis contente que tu l’aies fait. En fait, je suis fière de toi. Sandy va très bien, en fin de compte. Et il sera de retour dans quelques jours et tout reviendra à la normale.

— Mais j’ai entendu dire qu’on l’avait arrêté ?

— Ça n’a pas d’importance. Ils ne peuvent retenir aucune des charges contre lui. Les arrestations faites par des agents ae sécurité n’ont pas grande valeur devant un tribunal. Sandy et Bob ont déclaré qu’ils faisaient une simple balade en mer, et rien ne prouve le contraire. Vraiment, t’en fais pas pour ça.

— Euh…

Angela le fait asseoir, le bichonne comme elle sait le faire.

— Sandy n’avait même pas accosté quand ils l’ont chopé. C’était assez terrifiant, à ce qu’il a dit, parce qu’ils ont tiré un coup de semonce pour le faire stopper, et qu’après ils lui ont braqué des mitraillettes dessus et tout ça. Et il a passé deux jours en prison. Mais ça n’aura pas de conséquences, on espère. Il est possible que Sandy doive arrêter de dealer pendant un moment. Peut-être définitivement. C’est ce que je pense.

Jim l’interroge au sujet d’Arthur.

— Il a disparu. Personne ne sait où il est allé ou ce qui lui est arrivé. D’ailleurs, je suis pas sûre que ça m’intéresse.

Apparemment, elle en veut à Arthur de les avoir tous embringués dans l’histoire de sabotage/tentative de récupération de la drogue à la L.S.R. ; même si, songe Jim, ce n’est pas tout à fait exact. Un instant, elle semble lugubre, et Jim s’aperçoit tout à coup que son enjouement est forcé. « L’optimisme n’est pas un accident biochimique, se dit-il ; c’est une démarche, il faut y travailler. »