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— C’était carrément stupide, ce qu’il faisait, dit-elle, et il se servait de toi, en plus. Tu aurais dû te méfier.

— Je suppose. (On s’est servi d’eux pour une opération de trafic de drogue, après tout ; qu’est-ce qu’il peut dire ? Et lors des premières attaques… Est-ce que ça se résumait à ça ?) Mais… Non, je crois qu’Arthur croyait à ce que nous faisions. Je pense pas qu’il faisait ça pour l’argent ou je ne sais quoi – il avait vraiment envie que ça change. Je veux dire, faut bien qu’on résiste d’une façon ou d’une autre ! On ne peut pas accepter comme ça les choses telles qu’elles sont, non ?

— Je sais pas. (Angela hausse les épaules.) Enfin, je crois qu’il faut qu’on essaie de changer les choses, évidemment. Mais il doit y avoir des moyens moins dangereux, moins nocifs.

Jim n’en est pas sûr. Et au bout d’un moment passé assis en silence à réfléchir à la question, il prend congé.

Sur l’autoroute, déprime. Comment aurait-il pu imaginer que le sabotage du sabotage pouvait valoir de tels ennuis à Sandy ? Sans parler d’Arthur ! Et, en fin de compte, qu’est-ce qu’Arthur et lui ont accompli ? Résistaient-ils au système, ou en faisaient-ils partie ?

Il se demande s’il est jamais possible de faire quelque chose de pur ou de simple. Apparemment pas. La moindre action s’inscrit dans un tel réseau de circonstances… Comment décider de la façon d’agir ? Comment savoir comment agir ?

Il roule jusqu’à l’appart d’Arthur à Fountain Valley. Entrer dans le complexe, grimper l’escalier de bois sombre aux flancs de stuc beige, longer l’étroit couloir appart après appart. Le numéro 344 est celui d’Arthur. Pas de réponse quand il frappe : il n’y a personne. Jim se plante devant la fenêtre et regarde les rideaux délavés par le soleil. Cette tension visionnaire chez Arthur, cette excitation dans l’action… Il avait foi en ce qu’il faisait. Peu importe le rapport qu’il entretenait avec Arthur. Jim en est certain. Et il s’aperçoit qu’il est toujours d’accord avec Arthur : il faut faire quelque chose, il existe dans le pays des forces auxquelles il faut s’opposer. Ce n’est qu’une question de méthode.

— Je suis désolé, Arthur, dit-il à haute voix. J’espère que tu vas bien. J’espère que tu continues le boulot. Et je ferai de même.

En retournant vers sa voiture, il ajoute : « D’une façon ou d’une autre » et réalise que la concrétisation de cette promesse va être l’un des projets les plus difficiles qu’il se soit jamais donnés. Et comme Arthur et son père ont tous deux « raison » – et au même moment précis ! –, il va lui falloir trouver un moyen de définir sa propre voie, quelque part. Trouver une voie qui ne puisse pas être cooptée par la grande machine de guerre, une voie qui permette réellement de contribuer à modifier la mentalité américaine.

Il est tard, mais il décide d’aller chez Tashi, pour discuter de tout ça. Il a besoin de parler.

Il monte la tour en ascenseur, arrive sur le toit.

C’est désert. La tente a disparu.

— Enfin merde, quoi encore ?

« Qu’est-ce qui se passe ? se demande-t-il. Où est-ce que tout le monde part ? » Il parcourt le toit comme si le béton nu pouvait lui fournir des indices sur la destination de Tashi. Même les bacs à légumes ont disparu.

En dessous de lui scintillent les lumières de Newport Beach et de Corona del Mar. Quelque part, quelqu’un joue du saxo, à moins que ce ne soit qu’un enregistrement. D’âpres accents de saxo, qui dégringolent dans les tierces en mineur. Jim se tient au bord du toit, le regard survolant les autoroutes et les coprops pour se fixer sur la mer d’encre. Catalina ressemble à un croiseur suréclairé, naviguant au loin sur l’horizon noir. Tashi…

Après une nuit d’insomnie sur le canapé du salon, Jim appelle Abe.

— Eh, Abe, qu’est-ce qui est arrivé à Tashi ?

— Il est parti pour l’Alaska hier. (Longue pause.) Il t’a dit au revoir ?

— Non. (Jim se remémore leur séparation après le chemin du retour.) Je suppose qu’il croit que si. Bon Dieu !

— Peut-être que t’étais sorti quand il a appelé.

— Peut-être.

— Alors, qu’est-ce que t’as pensé des montagnes ?

— C’était super. Faut que je te raconte ça… T’es là aujourd’hui ?

— Non, je dois aller bosser de bonne heure.

— Ah.

Long silence.

— Comment va Xavier ? demande Jim.

— Il tient le coup.

Nouveau silence.

Mais peut-être Abe y disceme-t-il quelque chose.

— Je vais te dire, Jim. Je t’appellerai demain, histoire de voir si t’as toujours envie qu’on se voie. Faut qu’on organise une fête pour le retour de Sandy, de toute façon. S’il arrive rien à son père.

— Ouais, d’accord. Bon. On fait comme ça. Et bonne chance pour aujourd’hui.

— Merci.

Jim trace jusqu’à la First American Title Insurance and Real Estate Company, juste parce qu’il n’arrive pas à trouver quoi faire d’autre et que les vieilles habitudes le guident.

Humphrey est devant, et observe d’un air morose l’équipe d’ouvriers qui remettent de l’ordre à l’intérieur du bâtiment. C’est le bordel, là-dedans… On se croirait après un incendie, même si ça n’est pas noir. Ils en ont nettoyé la majeure partie.

— On les a fait sauter, lui dit Humphrey. Quelqu’un a balancé une bombe chargée d’un solvant qui a tout dissous à l’intérieur. Ils ont eu tout un tas d’agences immobilières, la même nuit.

— Oh, fait Jim avec embarras. J’en avais pas entendu parler. J’étais parti à la montagne avec Tashi.

— Ouais. Ils ont bousillé tous mes dossiers et tout le reste. (Il secoue la tête d’un air désolé.) L’Ambank s’est déjà retirée du projet de la tour Pourva à cause des retards, à ce qu ils ont dit. Je crois juste qu’ils ont la trouille, mais enfin… Ça n’a pas d’importance. Le projet est foutu.

— Je suis désolé, Humph, dit Jim. Vraiment désolé.

Et la partie de lui-même qui aurait pu se réjouir de ce revirement imprévu s’est éclipsée. Voir l’expression de Humphrey l’a fait disparaître, au moins pour l’instant, de î’existence.

— Je suis désolé.

— Ça va, fait Humphrey, l’air déconcerté. C’était pas de ta faute.

— Hon-hon. Quand même, tu sais. Je suis désolé.

Toutes ces excuses. Et il va falloir qu’il appelle Sheila Mayer un de ces quatre, pour s’excuser auprès d’elle aussi. L’idée lui arrache un grognement. Mais il va falloir qu’il le fasse.

Et Jim passe l’après-midi à faire les cent pas dans son modeste salon. Il contemple ses livres. Il est trop agité pour lire. Pour rester tout seul – pas un jour pareil, en tout cas ! Pas un jour pareil. Il rappelle Hana. Pas de réponse, pas de répondeur : « Allez, Hana, décroche ton téléphone ! » Mais il ne peut même pas lui dire ça.

O.K. Voilà où il en est. Il est seul, livré à lui-même, dans sa propre maison. Que devrait-il faire ? Il réfléchit à voix haute :

— Quand on change de vie, quand on est un cerveau de bagnole libéré d’un seul coup de sa voiture, qu’on a quitté le rail, qu’est-ce qu’on fait ? T’en as pas la moindre idée. Qu’est-ce qu’on fait quand on n’a pas de programme ? On fait un programme. On fait le meilleur programme possible.

O.K. Il arpente le salon, élaborant un programme. Il erre sans but. Il est seul. Il a envie dêtre avec ses amis – les écrans entre lui et son moi profond, peut-être. Mais ils sont tous partis, dispersés par quelque force dont Jim, confusément, sent qu’il est à l’origine ; sa déloyauté a tout déclenché… Mais non, non. C’est de la pensée magique. En réalité, il a exercé très peu d’influence sur qui que ce soit. Enfin, c’est ce qu’il semble. Mais qu’est-ce qui est vrai ? L’a-t-il vraiment fait, a-t-il vraiment provoqué la dispersion des autres, d’une façon ou d’une autre ?