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— Tu devrais leur dire de baiser entre eux, ça leur servirait de test !

Virginia fronce les sourcils.

— Ils le feraient probablement, ces pervers.

Bon, d’accord. Maintenant qu’ils ont fini, Virginia s’impatiente. On dirait qu’elle a encore envie de faire la fête. Jim est consentant, tout ce que cette belle et nouvelle amie peut désirer lui convient. Il aime bien faire la fête, lui aussi. Ils ne tardent donc pas à se lever, s’habillent, retournent chez Sandy.

7

En repartant chez Sandy, ils tombent sur Arthur Bastanchury, qui retourne à la fête avec un gros sac jeté sur l’épaule. Jim se sent mal à l’aise, il vient à l’instant de coucher avec l’ex-compagne d’Arthur, et qui sait ce qu’il continue d’y avoir entre eux, en réalité ? Mais Virginia et Arthur se montrent tous deux décontractés et, une fois qu’ils sont rentrés pour s’asseoir dans la salle vidéo et qu’ils ont bavardé un moment à propos de ce qu’il y a sur les murs, Jim se décontracte à son tour. « Nous vivons dans le monde post-moderne, se rappelle-t-il, les liaisons ne sont rien de plus que cela : chaque individu est une entité souveraine, libre de faire ce qu’elle veut. Aucune raison d’éprouver la moindre gêne. »

Sandy et Angela, Tashi et Erica sortent de la salle de jacuzzi, drapés dans de grandes et épaisses serviettes blanches, légèrement fumants. Ils vont dans la cuisine pour se bricoler un en-cas de noctambules. Arthur pose son sac par terre et l’ouvre, commence à ranger ce qu’il y a dedans.

— Alors, vous venez avec moi ? lance-t-il vers la cuisine.

— Pas ce soir, répond Sandy en criant. Je suis crevé.

Pas de réponse des autres. Arthur fait la gueule.

— Ginny ?

Virginia secoue la tête.

— Bien peur que non, Art. Je te l’ai dit, je pense que c’est une perte de temps.

Arthur prend un air écœuré, et elle se lève soudain et entre dans la cuisine, où ses amis rient de quelque chose que Sandy a fait ou dit. Arthur secoue la tête avec regret ; il va devoir y aller tout seul, dit son visage.

— Qu’est-ce qui est une perte de temps ? demande Jim.

Arthur le cloue d’un regard de défi.

— Essayer de créer une différence dans ce monde. Virginia dit qu’essayer de créer une différence est une perte de temps. Je suppose que tu penses la même chose. Vous pensez tous ça. Beaucoup de parlotes sur l’état déplorable du monde, sur la nécessité de changer les choses – mais quand on en vient au moment de passer à l’action, ça se révèle n’être que des parlotes.

— En sois pas si sûr !

— Non ?

Arthur laisse entendre qu’il s’en fout, son sourire est sardonique ; il baisse les yeux pour ranger les papiers dans son sac. Vexé, Jim s’énerve.

— Non ! Pourquoi est-ce que tu me dis pas ce que t’as en tête ?

— J’ai des affiches, là-dedans. Je vais faire une opération d’information éclair sur le mail. Tiens…

Il en sort une, la tend à Jim sans le regarder.

Sous un certain angle, c’est un holo d’une vague au pipe-line, un cylindre parfait prêt à avaler quelque extatique surfeur cinglé. Qu’on tourne un peu l’affiche, pourtant, et cela devient l’holo d’un soldat américain mort, peut-être pris en Indonésie. Les jambes ont disparu. Sous cette apparition, un texte en caractères gras proclame :

VOUS VOULEZ MOURIR ?

Guerres ouvertes en Indonésie, en Egypte, à Bahreïn et en Thaïlande.

Guerres clandestines au Pakistan, en Turquie, en Corée du Sud et en Belgique.

Dans toutes, il y a des soldats américains !

350 d’entre eux meurent CHAQUE JOUR.

LA CONSCRIPTION EST ROUVERTE.

VOUS POURRIEZ ÊTRE LE PROCHAIN.

Jim se frotte le menton. Arthur se moque de lui.

— Alors ? persifle-t-il. Ça te dit de venir poser ça avec moi ?

— Bien sûr, fait Jim, histoire de faire disparaître ce sourire dédaigneux. Pourquoi pas ?

— Ça pourrait te valoir la prison, voilà pourquoi.

— Liberté d’expression, non ?

— Ils ont leurs moyens de contourner ça. Dépôt illégal d’ordures. Déprédations. Ils sont obligés d’enlever ces trucs au laser, il y a des attaches en céramique moléculaire au dos.

— Hmm. Bon, et alors ? Tu projettes de te faire coincer ?

Arthur rit. « Non. » Il dévisage Jim, de la curiosité dans le regard. Malgré les événements de la soirée – la victoire de Jim au ping-pong, le fait qu’il ait sauté dans un lit avec l’ex-copine d’Arthur… ou peut-être à cause de ça, d’une certaine manière… Arthur semble avoir des critères moraux bizarrement élevés, et parler à Jim de haut. Jim ne comprend pas cela ; il se borne à le sentir.

— Allons-y, dans ce cas.

Arthur se lève et s’éloigne en direction de la porte. Jim le suit dehors et a juste le temps d’apercevoir la mimique renfrognée de Virginia, là-bas, dans la cuisine. Oups.

— Commençons par le nord et refaisons le chemin jusqu’ici, dit Arthur pendant qu’ils descendent au rez-de-chaussée du mail.

Ils empruntent les transports en commun déserts et tracent à travers le complexe jusqu’à South Coast Village, enterré sous l’excroissance nord du mail proprement dit.

— Ça ira. Faisons vite, mettons vingt minutes en tout. Mais sans se biler. Fais gaffe à la police du mail.

Ils prennent le large boulevard du mail. Des escalators en miroir bifurquent vers une vingtaine d’autres étages, certains réels, certains non.

— Mets les affiches là-haut et après passe cette canne dessus. Ça active la céramique.

Jim colle une affiche sur la vitrine d’une boutique Pizza City. Celle-ci consiste en un holo d’une jeune femme nue debout dans une vague déferlante tropicale qui lui arrive au genou ; changement d’angle, et c’est un autre soldat tombé au champ d’honneur et couvert de sang, avec les mots « LE MINISTÈRE DE LA DÉFENSE DIRIGE CE PAYS – RÉSISTEZ » en dessous. Waow. Ça risque de gâcher quelques dîners.

Il est maintenant près de 4 heures du matin, quoiqu’il soit impossible d’en juger à l’intérieur du mail, qui est aussi intemporel qu’un casino. Les grands magasins sont fermés, mais partout ailleurs les vitrines et miroirs et murs carrelés luisent avec l’insistance instable du néon :

Lumières ! Caméras ! On tourne !

Long atrium central, cinq étages de haut.

Arbres en plastique, fontaines de lumière colorée. Images

Réfléchies. Galeries de jeux, snack-bars, vidéo-bars : tous ouverts, tous palpitants.

Hé, tu sais quoi ? J’ai faim.

Le carrousel de la côte Sud tournoie. Tous ses animaux ont des cavaliers.

Œil vitreux. Sphères de musique qui s’entrechoquent.

Bandes dans les niches pour toilettes, dans les entrées des boutiques fermées.

Entrer dans un café. Traîner.

Faire les magasins

Sur Main Street.

C’est là que tu vis.

Jim et Arthur placardent leurs affiches sur les murs, les vitrines, les portes.

— La morgue est vraiment animée, ce soir, fait Arthur.

Jim rit. Lui-même déteste les mails, bien qu’il y passe autant de temps que n’importe qui.

— Alors pourquoi est-ce que tu affiches dans un endroit comme ça ? Est-ce que ce n’est pas un gaspillage de céramique moléculaire ?

— Pour le plus gros, sûrement. Mais l’appel des conscrits s’est renforcé depuis qu’on a reconduit le Gingrich Act, et il y a pas mal de gens ici qui sont dans la nasse. Ils ne le savent pas parce qu’ils ne lisent pas les journaux. En fait, si on va au fond des choses, ils ne savent absolument que dalle.