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— Eh, mon pote, c’est moi qui suis dans une voiture, ici, un putain de gros camion, ouais, et je vais te ratiboiser la totalité de ton aile en plastique si tu dégages pas d’ici.

Ils s’enfilent à fond la caisse les virages de la route du canyon, dépassant les voitures complètement figées sur les rails, dépassant les immeubles qui recouvrent les collines de part et d’autre, des ersatz de mini-villas méditerranéennes dans le style C. d’O. standard – celles-ci prudemment baptisées Point de Vue sur la Mer d’En Haut des Falaises parce que ce sont les premières habitations en remontant le canyon qui n’ont pas la moindre chance d’avoir un aperçu de l’océan. Vroom, vroom, vroom, on dépasse le parking trop-petit-pour-qu’on-s’en-serve du complexe où, à ce que Jim raconte, un hippopotame rescapé du safari au Pays des Lions s’est établi pour installer un petit empire hippopotameux dans un bassin, jusqu’à ce qu’ils le dardent de fléchettes en vue de le sortir à la grue et qu’ils le tuent avec un excès de tranquillisants, ces cons. Et juste après cet héraldique fragment de l’histoire naturelle du C. d’O., ils accélèrent sur l’asphalte mâché recouvert d’ordures et de débris de phares avant cassés, tournent et parviennent sur le sota, le théâtre de l’accident. Là, un poulailler ambulant à côté des rails, gyrophare tournoyant, œil rouge clignant encore et encore.

Abe met le camion en neutre et active le système d’alimentation externe, et ils sortent d’un bond et courent vers les lieux. Il y a des C.H.P. sur les voies, qui font ce qu’ils font le mieux : installer des signaux lumineux. Sur la voie rapide, c’est la pagaille. Alors qu’ils s’approchent, Abe éprouve l’horreur noire et le sentiment d’impuissance que quiconque éprouverait, ô mon Dieu, non ! puis il traverse la membrane comme chaque fois et le professionnel prend le dessus, l’analyste structurel cherchant à comprendre une certaine configuration, et la meilleure manière de séparer celles des composantes qui sont organiques de celles qui ne le sont pas… Et le témoin impuissant et horrifié est abandonné dans un coin reculé de l’esprit, et regarde par-dessus l’épaule de l’autre bonhomme, et engrange des images pour rêver.

Cette fois, l’un des rails de changement de voie semble avoir mal fonctionné. C’est rare, mais ça arrive. Quand tout fonctionne normalement, l’ordinateur qui contrôle la piste magnétique enregistre la demande d’une voiture qui s’approche, ralentit les véhicules sur la voie adjacente pour créer une brèche, insère la voiture sur la voie de changement de file et lui fait décrire un rapide S pour la faire passer sur le rail de la file désirée, l’introduisant proprement dans le flot de la circulation. Aucune place pour l’erreur humaine, et c’est des milliers de fois plus sûr que d’en laisser la responsabilité aux conducteurs. Mais la chance unique sur dix millions s’est de nouveau présentée, et la cause de l’accident est le sits, un truc dans le silicone ; un véhicule de la voie médiane a été mal aiguillé et jeté en travers d’un autre sur la voie rapide, faisant décrocher celui-ci de son système de guidage et le précipitant sur la séparation centrale, tandis que le premier véhicule faisait des tonneaux et était percuté par une voiture qui le suivait. Le tout à environ cent cinq kilomètres/heure. Une autre voiture suiveuse modérément encastrée dans le fatras. Le chauffeur de cette dernière, sauvé par la puissance des freins électromagnétiques, est dehors et jacasse avec les poulets, l’habituelle note d’hystérie dans la voix. Abe et Xavier bondissent autour des trois principaux concernés. Le véhicule contre le rail de séparation centrale n’a qu’un occupant, écrasé entre tableau de bord, portière et rail de séparation. Cage thoracique enfoncée, poissée de sang, cou apparemment rompu. On va au véhicule qui a percuté le premier, un couple sur la banquette avant, chauffeur inconscient et saignant de la tête, passagère coincée entre lui et le tableau de bord, saignant abondamment du cou mais apparemment toujours consciente, paupières papillonnantes. Première voiture suiveuse avec un pare-brise fortement étoilé, on portait pas ses ceintures de sécurité, pas vrai, deux personnes déjà retirées et étendues par terre, tête en sang.

— Les deux de la voiture du milieu, halète Xavier tandis qu’ils courent chercher le camion.

— Oui, fait Abe. Celui du rail de sécurité est H.S.

Ce qui signifie Hors Service, mort sur le coup.

Xavier attrape sa trousse médicale et repart, Abe conduit le camion sur l’accotement pour se rapprocher le plus possible de la voiture du milieu. Puis il descend et sort les pinces coupantes du flanc du camion, tire sur le cordon d’alimentation, mains enfoncées dans les manchons, attention, moment de se servir du waldo, et l’expert novice du découpage Abe Bernard tient maintenant toute la puissance de la robotique moderne dans ses mains. Il commence à entailler l’acier peu épais sur le côté de la voiture comme si c’était du chocolat. Les cisailles ne rencontrent absolument aucune résistance. De l’eau s’écoule sur le métal sous les cisailles, éclaboussant Xavier qui se tortille juste hors de portée du boulot de Abe, se faufilant dans le nouveau trou pour faire son travail de routine médicale. Xavier a fait deux périples à Java avec l’armée et il est vraiment très bon. A ce stade, l’aide d’un ou deux autres hommes ne serait sûrement pas de trop, mais les budgets sont serrés partout, plein de camions de secours d’urgence à garder équipés en hommes et prêts à bondir au premier appel radio, et les budgets sont serrés, les budgets sont serrés !

Le témoin horrifié à l’arrière de l’esprit de Abe le regarde découper l’acier comme s’il se livrait à l’art japonais de l’origami, avec Xavier et la passagère juste, au-delà des lames, et se demande s’il sait vraiment faire ça. Un poulet s’approche pour donner un coup de main, tire sur l’acier mouillé avec ses mains gantées, Abe continue de couper, ils fabriquent une splendide nouvelle portière à l’emplacement approximatif de la précédente, et Xavier applique un certain nombre de compresses prêtes à l’emploi sur la femme et lui injecte avec diligence diverses super-drogues pour combattre l’effet de choc et quantité de sang/plasma. Puis vient le moment de lui passer le harnachement gonflable et modulable, cou et colonne vertébrale fermement maintenus en place, et ils tendent les mains et chacun s’assure une prise, attention maintenant, souffle retenu, chaudes chairs sous les doigts, sang qui coule en un filet sur le dos de la main, ils la tirent vers l’extérieur, oups, elle a la main coincée ; Abe cisaille la partie tordue du tableau de bord et la voilà libre. Sur une civière, puis dans le compartiment ambulance à l’arrière du camion. Ils repartent en courant et extraient l’homme, qui est peut-être vivant et peut-être pas, sa tête a vraiment piètre allure, mais ils l’étendent sur la civière et se précipitent pour le conduire dans la bétaillère, l’allongent à côté de la femme. « Merde, faut que j’aille confirmer pour le type dans la voiture principale », se rappelle Abe, qui attrape le stéthoscope de Xavier et repart au pas de course. Il lui faut briser une vitre et se pencher à l’intérieur pour appliquer le stéthoscope sur le cou du conducteur. Le tracé s’avère plat et il revient au camion. Une bétaillère privée est arrivée pour prendre les deux de la voiture de derrière. Abe leur adresse un signe rapide, les deux pouces en l’air, et guide les cisailles alors qu’elles se rembobinent pour revenir en place puis saute sur le siège du conducteur, ceinture bouclée, oui, et les voilà partis. Ces vieilles bécanes à essence sont vraiment impeccables question accélération.