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Curieux, la façon dont il en est arrivé là. McPherson a commencé comme ingénieur – merde, il est ingénieur. Il a un diplôme d’ingénierie aérospatiale du Cal Tech, et même s’il est désormais irrémédiablement hors du coup, il est encore capable de piger quand ses ingénieurs-concepteurs lui décrivent quelque chose. Et McPherson sait distinguer les schémas plus vastes, quand l’ingénierie rejoint à la fois la création et l’administration. Mais la gestion proprement dite… ? D’autres directeurs de projets ont su s’imposer comme chefs ; par séduction ou persécution, ils sont capables d’arracher des résultats supplémentaires à leurs équipes. Le patron de McPherson, Stewart Lemon, est un parfait exemple de ce genre de type, le leader dynamique des écoles de commerce. McPherson laisse ce style à la Napoléon aux autres, et en fait le méprise chez Lemon. Pour sa part, il se contente d’établir ce qu’il y a à faire, et prend ses dispositions. L’approche modérée. (Se doucher, se raser.) Non, ce n’est pas le désir de commander qui l’a poussé à quitter l’ingénierie pour l’administration.

Comment cela s’est-il produit, alors ? Il n’en a jamais été très sûr. (Enfiler les vêtements de la journée : une tenue incolore et conservatrice, parfaite pour les transactions avec le Pentagone.) Il est capable d’expliquer des aspects techniques à des gens qui n’en savent pas assez pour les comprendre pleinement. Des administrateurs de la société mère de la L.S.R., des employés du Pentagone, des assistants du Congrès… Des gens qui ont besoin de se faire une idée claire des problèmes techniques avant de pouvoir prendre leurs propres décisions. McPherson est capable de faire ça. Il ne sait pas pourquoi, mais c’est comme ça que ça se passe. Il tâche d’expliquer, et en général on comprend. Étrange. Sa femme, Lucy, en rirait, peut-être avec colère : elle le considère comme quelqu’un d’épouvantable pour ce qui est de « communiquer ». Mais c’est ce qui l’a amené là où il est, et vraiment ça n’a rien de drôle ; ça signifie qu’il s’est quelque part écarté de la voie professionnelle dans laquelle il aurait pu s’épanouir, être à l’aise.

Une demi-heure à tuer. Il allume la chaîne d’informations du mur vidéo. La guerre en Arabie se fait plus chaude ; Bahreïn est maintenant impliqué et les U.S. Marines combattent les insurgés, ce qui prouve que c’est sérieux. Ils trouvent que les casques Hewlett-Packard équipés de dispositifs de vision infrarouges IRHUD leur confèrent un gros avantage dans les combats de nuit, mais les insurgés possèdent quelques missiles norvégiens Kongberg Vappenfabrikk Penguin qui dévastent la flotte côtière américaine, tout l’aluminium de ces vieux destroyers fondant comme du plastique. Et quelques francs-tireurs de Hughes rescapés de la guerre en Thaïlande, officiant toujours comme cavaliers dans les collines désertes… On dirait que les quarante et quelques guerres qui se livrent actuellement emploient des équipements dépassés et que les résultats, pour les forces démocratiques, soient un vrai désastre.

McPherson contourne l’audacieux arc-en-ciel de l’immense dessus-de-lit pour se diriger vers la fenêtre de sa chambre. Là se dresse devant lui la tour Hughes, un complexe d’hôtels/restaurants/bureaux, l’un des plus récents de la Cité de Cristal. Celle-ci s’agrandit chaque année, et les tours des industries de défense constituent la transcription architecturale de ce qu’on y fait, missiles balistiques intercontinentaux d’acier et de verre agglutinés et pointés vers le ciel. Tout l’argent qui quitte le Pentagone est canalisé par ces tours, par la Cité de Cristal et la fabrication d’armes.

C’est l’heure de se rendre au Pentagone. McPherson se sent sortir du pilotage automatique. Mardi matin, Cité de Cristal, U.S.A. : l’heure de quitter le rail, de passer en manuel, d’entrer en action.

Court trajet en taxi jusqu’au Pentagone. Entrer dans le complexe de la sécurité, sortir avec son badge au revers. Un lieutenant le prend en charge, et ils descendent les interminables couloirs blancs géants à bord d’une voiturette, zigzaguant à travers l’ensemble du trafic motorisé et piéton. Ils pourraient aussi bien être dans une rue. McPherson prend chaque fois plaisir à cette tentative flagrante pour impressionner les gens. Et en plus ça marche, bien sûr. Le Pentagone est peut-être vieux, mais il est toujours immense. Il lui semble que le dernier remaniement a pris en compte la mode actuelle ; les jalons qui indiquent les services et les divisions sont peints de vives couleurs spectro-orientées qui pulsent sous les ampoules au xénon, contre tous les murs blancs.

Il rencontre le colonel Eaton au bureau de la division Administration de Combat de la Division secrète de l’Air Force, et Eaton l’emmène dans l’une des coopératives de la cour centrale. Ils discutent autour d’un déjeuner composé de croissants et de salade. McPherson fait un bref compte rendu des problèmes que l’équipe de Houston a avec l’intercepteur en phase d’accélération.

Foudre en Boule : le boulot consiste à détecter et à suivre à la trace jusqu’à dix mille M.B.I. soviétiques lancés simultanément ; puis à diriger des faisceaux laser à électrons libres basés au sol, à les faire rebondir sur des miroirs dans l’espace et à détruire les M.B.I. alors qu’ils sont encore dans leur phase d’accélération. C’est un sale boulot, et McPherson se réjouit que ce ne soit pas exactement le sien. Mais il doit maintenant subir l’interrogatoire serré d’Eaton, qui est informé et implacable.

— Les résultats des tests de votre proposition, déclare Eaton, indiquaient que vous étiez en mesure de résoudre les problèmes dont vous me parlez. C’est la raison pour laquelle vous avez décroché le contrat. Mettez de l’ordre dans vos idées, et vite. Ou vous aurez droit à une grosse Scie à Métaux.

McPherson grince des dents à la mention du désastre de la Scie à Métaux, un projet de canon sabré par le ministère de la Défense sous le motif d’incompétence. Cela avait été le début de la fin pour Danforth Aerospace, qui n’est plus désormais qu’un nom dans les livres d’histoire de la profession. Ce genre de chose était encore possible ; un gros projet pouvait tourner mal de façon si désastreuse qu’il tombait sous le couperet et conduisait toute sa compagnie à la faillite…

Bon. Grandiose déjeuner. McPherson tente de se rappeler ce qu’il a mangé tout en prenant des notes sur la conversation, dans les bureaux de la L.S.R. au dernier étage, qu’ils louent, de la tour Aerojet. Apparemment ça ne lui a pas réussi. De la salade ? Aucune importance. Il passe le reste de l’après-midi au téléphone avec le C. d’O., puis avec White Sands, pour annoncer à Dan Houston que ça commence à chauffer. Dan le sait déjà et, d’une voix anxieuse, presque effrayée, demande de l’aide. McPherson accepte de faire son possible.

— Mais ce n’est pas mon projet, Dan. Lemon peut ne pas me donner le temps de faire quoi que ce soit. D’ailleurs, je ne sais pas vraiment ce que je peux faire.

Il passe le reste de la journée au bureau de la Cité de Cristal, à donner des coups de fil et à faire du travail sur écran qu’il pourrait effectuer n’importe où ailleurs. À passer le temps.

Ce soir-là le major Tom Feldkirk passe le prendre, et ils enjambent le fleuve, direction Georgetown.

Feldkirk a dans les quarante-cinq ans ; ex-aviateur ; porte ses cheveux noirs plus long qu’on ne l’apprécierait là-bas à la base, en mèche abrupte sur le front et très bas dans le dos. Il est vêtu avec désinvolture, chemise de sport, pantalon, mocassins. McPherson a déjà eu affaire à lui deux fois, l’aime bien, pas de problème. Ils se garent dans un parking souterrain, remontent un trottoir de brique et pénètrent dans l’habituelle foule de Georgetown. Ils pourraient être deux avocats, deux membres du Congrès, deux éléments de n’importe quelle couche supérieure de la société de Washington. Ils parlent de Georgetown, des bars à la mode, de la cohue. McPherson est désormais familiarisé avec cette zone, et est capable de mentionner des restaurants favoris et autres choses du même genre.