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— Êtes-vous déjà allé au Bouddha dans le frigo ? demande Feldkirk.

McPherson rit.

— Non.

— Essayons-le, dans ce cas. Il est loin d’être aussi mauvais qu’il y paraît.

Il les entraîne dans M. Street, puis leur fait remonter l’une des petites rues latérales, où l’on pourrait se croire en 1880, à condition d’ignorer les rails qui saillent sur la chaussée de pavés ronds. Ou d’y penser comme à des rails pour tramways. McPherson a la brève vision d’antiques tramways monorails, puis tire sur la bride de ses pensées. On est ici pour le boulot…

À l’intérieur, le décor du restaurant évoque l’Inde. Des bouddhas et diverses déités hindoues imprimés sur tissu sont accrochés aux murs : des trucs exotiques, à six bras, à têtes d’éléphant. McPherson est un peu inquiet, il préfère s’abstenir de manger de la nourriture qu’il ne peut identifier, mais le menu s’avère faire vingt pages, et on peut commander tout ce qui vous passe par la tête, mais chaque plat est accompagné de délicieux légumes bouddhistes. C’est parfait. Il commande du filet de saumon. Feldkirk commande une sorte de soupe asiatique. Il a été basé à Guam durant plusieurs années, et il a développé un goût pour cette alimentation. Ils discutent de la situation dans le Pacifique pendant un petit moment.

— Les Soviétiques ont conquis les goulets d’étranglement, dit Feldkirk, mais nous occupons les positions tout autour d’eux, alors ça n’a pas vraiment d’importance.

— Ça laisse le Japon et la Corée plutôt en plan.

— Exact. Mais comme les Japonais s’arment si bien, ils peuvent assurer leur propre front de défense. Nous pouvons couvrir leurs arrières. La situation n’est pas mauvaise.

— Et la Corée ?

— Ha !...

On leur sert leurs plats et ils parlent en mangeant des Rouges et des percées en territoire ennemi, puis des aspects techniques de la guerre en Birmanie. McPherson commence à se sentir à l’aise. Il aime bien cet homme, il peut s’entendre avec lui, il éprouve une sorte de sympathie à son égard. Feldkirk évoque avec regret ses deux fils, tous deux à Annapolis maintenant.

— Je les emmenais beaucoup en mer quand nous étions à Guam, mais je n’aurais jamais cru que ça conduirait à ça.

McPherson rit de son expression. Reste qu’il est effroyablement difficile de s’introduire à Annapolis.

— Et vos gosses ? demande Feldkirk.

— Juste un. Il traîne toujours dans le Comté d’Orange, en donnant des cours du soir et en travaillant à temps partiel dans une agence immobilière. (McPherson secoue la tête.) C’est quelqu’un de bizarre. Un cerveau sans programme.

Et Feldkirk rit.

Puis les plats sont terminés, ils s’attardent devant leurs verres et leurs flans au fromage blanc, écoutent le papotage le plus raffiné de Washington autour d’eux. Feldkirk se laisse aller en arrière sur sa chaise.

— Vous vous demandez sans doute ce que j’ai en tête pour ce soir.

McPherson hausse les sourcils ; nous y voilà.

— Bien sûr, dit-il dans un sourire.

— Eh bien, nous avons une idée de système dont je veux discuter avec vous. Voyez-vous, le R.X.-16 est désormais presque opérationnel.

— Ah bon ?

Le R.X.-16 est le V.P.D. de Northtrop, un véhicule piloté à distance, qui fait fureur en ce moment dans certains départements de la Division des Systèmes Electroniques : un avion à réaction robotisé dont la vitesse est top-secret et va peut-être jusqu’à Mach 7, et qui est capable d’accomplir des virages et des tonneaux qui tueraient un pilote. Fabriqué en kevlar et autres sournois matériaux légers, il a la signature radar d’une abeille. C’est l’un des plus réussis des contrats récents de Northtrop, et McPherson est en fait conscient qu’il est sur le point d’entrer dans la phase de production, mais il n’a pas envie de le dire.

— Ouais. Un superbe avion. (Feldkirk semble rêveur.) Je parie que ça doit être le pied d’en piloter un. Mais l’ère des avions de combat à pilotage humain est terminée, on dirait. Quoi qu’il en soit, nous avons quelques idées pour l’utilisation du R.X. -16 en question sur la scène européenne.

Utilisation contre la menace d’invasion du pacte de Varsovie, donc, la Grande Incertitude qui a tant alimenté l’escalade des armements conventionnels entre les superpuissances. McPherson hoche la tête.

— Oui ?

— Eh bien, voilà ce que nous pensons. Le R.X. est prêt, et nous estimons qu’il restera un certain temps beaucoup plus rapide et maniable que tout ce dont les Soviétiques disposeront. Maintenant, si les tanks s’ébranlent un jour ou l’autre, nous aimerions pouvoir utiliser le R.X. contre eux, parce que si nous sommes capables de le faire, la situation tournera au stand de tir. Ce que nous avons en tête, c’est de faire descendre le R.X. en piqué à pleine vitesse d’une altitude de mille huit cents mètres jusqu’au niveau de reconnaissance au sol, de leur faire effectuer des attaques à couvert là-bas dessous, repérer une douzaine de tanks et de leur tailler un short à coups de missiles Harris Stalker Nine, et remonter en flèche et se barrer. Et revenir faire d’autres tours jusqu’à épuisement des missiles et du carburant.

— Un pilote de stuka reconnaîtrait ce plan de vol, remarque McPherson en y réfléchissant. Il vous faut donc un système de navigation pour le vol en rase-mottes.

Lever les courbes de niveau de la cime des arbres à un kilomètre six par seconde ou plus…

— C’est exact.

— Et à couvert, vous dites.

Ce qui signifie qu’ils ne veulent pas que l’avion envoie des signaux d’investigation susceptibles d’être captés par des systèmes de détection ennemis. Cela est en contradiction avec le désir de naviguer au plus près, et rend les choses délicates.

— C’est exact.

— L’équipement standard pour le repérage des cibles, continue Feldkirk, un laser YA. G. qui fonctionne sur la longueur d’onde 1,06 micron, ne conviendra plus. La nouvelle fenêtre pour les lasers de ciblage se situe entre environ huit et quatorze microns, ce qui se trouve entre les limites supérieure et inférieure des derniers systèmes radar soviétiques.

— Ce qui implique un laser au CO2, sans doute.

Mais les lasers au CO2 sont loin de pénétrer les nuages aussi bien que ceux qui emploient l’yttrium/aluminium/grenat.

— Vous le voulez toutes conditions météo ? demande McPherson.

— Non, juste pour temps standard, jour et nuit.

Ils ne se souciaient donc pas du brouillard, par exemple. McPherson imagine soudain les tanks soviétiques attendant le brouillard pour déclencher la Troisième Guerre mondiale…

— Quel poids ?

— Nous aimerions qu’il fasse moins de deux cent vingt-cinq kilos, si vous l’avez en une seule nacelle. Peut-être trois cent quarante si vous le mettez dans deux nacelles d’aile. Nous pourrons régler ça plus tard.

McPherson pousse un soupir. Une contrainte pour toi.

— Et quelle puissance l’avion peut-il donner au système ?

— Peut-être dix kVA. Dix virgule cinq, maxi.

Une autre contrainte. McPherson y réfléchit, assemblant tous les facteurs dans sa tête. Les composants d’un tel système existent ; le tout est de les regrouper, de les faire fonctionner sur ce nouveau jet robot.