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Parfois Renée, lasse de cet horizon sans bornes, grande déjà et rapportant du pensionnat des curiosités charnelles, jetait un regard dans l'école de natation des bains Petit, dont le bateau se trouve amarré à la pointe de l'île. Elle cherchait à voir, entre les linges flottants pendus à des ficelles en guise de plafond, les hommes en caleçon dont on apercevait les ventres nus.

PARTIE III

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Maxime resta au collège de Plassans jusqu'aux vacances de 1854. Il avait treize ans et quelques mois, et venait d'achever sa cinquième. Ce fut alors que son père se décida à le faire venir à Paris. Il songeait qu'un fils de cet âge le poserait, l'installerait définitivement dans son rôle de veuf remarié, riche et sérieux. Lorsqu'il annonça son projet à Renée, à l'égard de laquelle il se piquait d'une extrême galanterie, elle lui répondit négligemment:

- C'est cela, faites venir le gamin... Il nous amusera un peu. Le matin, on s'ennuie à mourir.

Le gamin arriva huit jours après. C'était déjà un grand galopin fluet, à figure de fille, l'air délicat et effronté, d'un blond très doux. Mais comme il était fagoté, grand Dieu! Tondu jusqu'aux oreilles, les cheveux si ras que la blancheur du crâne se trouvait à peine couverte d'une ombre légère, il avait un pantalon trop court, des souliers de charretier, une tunique affreusement râpée, trop large, et qui le rendait presque bossu. Dans cet accoutrement, surpris des choses nouvelles qu'il voyait, il regardait autour de lui, sans timidité, d'ailleurs, de l'air sauvage et rusé d'un enfant précoce, hésitant à se livrer du premier coup.

Un domestique venait de l'amener de la gare, et il était dans le grand salon, ravi par l'or de l'ameublement et du plafond, profondément heureux de ce luxe au milieu duquel il allait vivre, lorsque Renée, qui revenait de chez son tailleur, entra comme un coup de vent. Elle jeta son chapeau et le burnous blanc qu'elle avait mis sur ses épaules pour se protéger contre le froid déjà vif. Elle apparut à Maxime, stupéfait d'admiration, dans tout l'éclat de son merveilleux costume.

L'enfant la crut déguisée. Elle portait une délicieuse jupe de faille bleue, à grands volants, sur laquelle était jeté une sorte d'habit de garde française de soie gris tendre. Les pans de l'habit, doublé de satin bleu plus foncé que la faille du jupon, étaient galamment relevés et retenus par des noeuds de ruban; les parements des manches plates, les grands revers du corsage s'élargissaient, garnis du même satin. Et, comme assaisonnement suprême, comme pointe risquée d'originalité, de gros boutons imitant le saphir, pris dans des rosettes azur, descendaient le long de l'habit, sur deux rangées. C'était laid et adorable.

Quand Renée aperçut Maxime:

- C'est le petit, n'est-ce pas? demanda-t-elle au domestique, surprise de le voir aussi grand qu'elle.

L'enfant la dévorait du regard. Cette dame si blanche de peau, dont on apercevait la poitrine dans l'entrebâillement d'une chemisette plissée, cette apparition brusque et charmante, avec sa coiffure haute, ses fines mains gantées, ses petites bottes d'homme dont les talons pointus s'enfonçaient dans le tapis, le ravissait, lui semblait la bonne fée de cet appartement tiède et doré. Il se mit à sourire, et il fut tout juste assez gauche pour garder sa grâce de gamin.

- Tiens, il est drôle! s'écria Renée... Mais quelle horreur! comme on lui a coupé les cheveux!... Ecoute, mon petit ami, ton père ne rentrera sans doute que pour le dîner, et je vais être obligée de t'installer... Je suis votre belle- maman, monsieur. Veux-tu m'embrasser?

- Je veux bien, répondit carrément Maxime.

Et il baisa la jeune femme sur les deux joues, en la prenant par les épaules, ce qui chiffonna un peu l'habit de garde française. Elle se dégagea, riant, disant:

- Mon Dieu! qu'il est drôle, le petit tondu!...

Elle revint à lui, plus sérieuse.

- Nous serons amis, n'est-ce pas?... Je veux être une mère pour vous. Je réfléchissais à cela, en attendant mon tailleur, qui est en conférence, et je me disais que je devais me montrer très bonne et vous élever tout à fait bien... Ce sera gentil!

Maxime continuait à la regarder, de son regard bleu de fille hardie, et brusquement:

- Quel âge avez-vous? demanda-t-il.

- Mais on ne demande jamais cela! s'écria-t-elle en joignant les mains... Il ne sait pas, le petit malheureux! Il faudra tout lui apprendre. Heureusement que je puis encore dire mon âge. J'ai vingt et un ans.

- Moi, j'en aurai bientôt quatorze... Vous pourriez être ma soeur.

Il n'acheva pas, mais son regard ajoutait qu'il s'attendait à trouver la seconde femme de son père beaucoup plus vieille. Il était tout près d'elle, il lui regardait le cou avec tant d'attention qu'elle finit presque par rougir. Sa tête folle, d'ailleurs, tournait, ne pouvant s'arrêter longtemps sur le même sujet; et elle se mit à marcher, à parler de son tailleur, oubliant qu'elle s'adressait à un enfant.

- J'aurais voulu être là pour vous recevoir. Mais imaginez-vous que Worms m'a apporté ce costume ce matin... Je l'essaie et je le trouve assez réussi. Il a beaucoup de chic, n'est-ce pas?

Elle s'était plantée devant une glace. Maxime allait et venait derrière elle, pour la voir sur toutes les faces.

- Seulement, continua-t-elle, en mettant l'habit, je me suis aperçue qu'il faisait un gros pli, là, sur l'épaule gauche, vous voyez... C'est très laid, ce pli; il semble que j'ai une épaule plus haute que l'autre.

Il s'était approché, il passait son doigt sur le pli, comme pour l'aplatir, et sa main de collégien vicieux paraissait s'oublier en cet endroit avec un certain bien-aise.

- Ma foi, continua-t-elle, je n'ai pu y tenir. J'ai fait atteler et je suis allée dire à Worms ce que je pensais de son inconcevable légèreté... Il m'a promis de réparer cela.

Puis, elle resta devant la glace, se contemplant toujours, se perdant dans une subite rêverie. Elle finit par poser un doigt sur ses lèvres, d'un air d'impatience méditative. Et, tout bas, comme se parlant à elle-même: