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- Il manque quelque chose... bien sûr qu'il manque quelque chose...

Alors, d'un mouvement prompt, elle se tourna, se planta devant Maxime, auquel elle demanda:

- Est-ce que c'est vraiment bien?... Vous ne trouvez pas qu'il manque quelque chose, un rien, un noeud quelque part?

Le collégien, rassuré par la camaraderie de la jeune femme, avait repris tout l'aplomb de sa nature effrontée. Il s'éloigna, se rapprocha, cligna les yeux, en murmurant:

- Non, non, il ne manque rien, c'est très joli, très joli... Je trouve plutôt qu'il y a quelque chose de trop.

Il rougit un peu, malgré son audace, s'avança encore, et, traçant du bout du doigt un angle aigu sur la gorge de Renée:

- Moi, voyez-vous, continua-t-il, j'échancrerais comme ça cette dentelle, et je mettrais un collier avec une grosse croix.

Elle battit des mains, rayonnante.

- C'est cela, c'est cela, cria-t-elle... J'avais la grosse croix sur le bout de la langue.

Elle écarta la chemisette, disparut pendant deux minutes, revint avec le collier et la croix. Et, se replaçant devant la glace d'un air de triomphe.

- Oh! complet, tout à fait complet, murmura-t-elle... Mais il n'est pas bête du tout, le petit tondu! Tu habillais donc les femmes dans ta province? Décidément, nous serons bons amis. Mais il faudra m'écouter. D'abord, vous laisserez pousser vos cheveux, et vous ne porterez plus cette affreuse tunique. Puis, vous suivrez fidèlement mes leçons de bonnes manières. Je veux que vous soyez un joli jeune homme.

- Mais bien sûr, dit naïvement l'enfant; puisque papa est riche maintenant, et que vous êtes sa femme.

Elle eut un sourire, et avec sa vivacité habituelle:

- Alors commençons par nous tutoyer. Je dis tu, je dis vous. C'est bête... Tu m'aimeras bien?

- Je t'aimerai de tout mon coeur, répondit-il avec une effusion de galopin en bonne fortune.

Telle fut la première entrevue de Maxime et de Renée. L'enfant n'alla au collège qu'un mois plus tard. Sa belle-mère, les premiers jours, joua avec lui comme avec une poupée; elle le décrassa de sa province, et il faut dire qu'il y mit une bonne volonté extrême. Quand il parut, habillé de neuf des pieds à la tête par le tailleur de son père, elle poussa un cri de surprise joyeuse: il était joli comme un coeur; ce fut son expression. Ses cheveux seuls mettaient à pousser une lenteur désespérante. La jeune femme disait d'ordinaire que tout le visage est dans la chevelure. Elle soignait la sienne avec dévotion. Longtemps, la couleur l'en avait désolée, cette couleur particulière, d'un jaune tendre, qui rappelait celle du beurre fin. Mais quand la mode des cheveux jaunes arriva, elle fut charmée, et pour faire croire qu'elle ne suivait pas la mode bêtement, elle jura qu'elle se teignait tous les mois.

Les treize ans de Maxime étaient déjà terriblement savants. C'était une de ces natures frêles et hâtives, dans lesquelles les sens poussent de bonne heure. Le vice en lui parut même avant l'éveil des désirs. A deux reprises, il faillit se faire chasser du collège. Renée, avec des yeux habitués aux grâces provinciales, aurait vu que, tout fagoté qu'il était, le petit tondu, comme elle le nommait, souriait, tournait le cou, avançait les bras d'une façon gentille, de cet air féminin des demoiselles de collège. Il se soignait beaucoup les mains, qu'il avait minces et longues: Si ses cheveux restaient courts, par ordre du proviseur, ancien colonel du génie, il possédait un petit miroir, qu'il tirait de sa poche, pendant les classes, qu'il posait entre les pages de son livre, et dans lequel il se regardait des heures entières, s'examinant les yeux, les gencives, se faisant des mines, s'apprenant des coquetteries. Ses camarades se pendaient à sa blouse, comme à une jupe, et il se serrait tellement, qu'il avait la taille mince, le balancement de hanches d'une femme faite. La vérité était qu'il recevait autant de coups que de caresses. Le collège de Plassans, un repaire de petits bandits comme la plupart des collèges de province, fut ainsi un milieu de souillure, dans lequel se développa singulièrement ce tempérament neutre, cette enfance qui apportait le mal, on ne savait de quel inconnu héréditaire. L'âge allait heureusement le corriger. Mais la marque de ses abandons d'enfant, cette effémination de tout son être, cette heure où il s'était cru fille, devait rester en lui, le frapper à jamais dans sa virilité.

Renée l'appelait « mademoiselle », sans savoir que, six mois auparavant, elle aurait dit juste. Il lui semblait très obéissant, très aimant, et même elle se trouvait souvent gênée par ses caresses. Il avait une façon d'embrasser qui chauffait la peau. Mais ce qui la ravissait, c'était son espièglerie; il était drôle au possible, hardi, parlant déjà des femmes avec des sourires, tenant tête aux amies de Renée, à la chère Adeline, qui venait d'épouser M. d'Espanet, et à la grosse Suzanne, mariée tout récemment au grand industriel Haffner. Il eut, à quatorze ans, une passion pour cette dernière. Il avait pris sa belle-mère pour confidente, et celle-ci s'amusait beaucoup.

- Moi, j'aurais préféré Adeline, disait-elle; elle est plus jolie.

- Peut-être, répondait le galopin, mais Suzanne est bien plus grosse... J'aime les belles femmes... Si tu étais gentille, tu lui parlerais pour moi.

Renée riait. Sa poupée, ce grand gamin aux mines de fille, lui semblait impayable, depuis qu'elle était amoureuse. Il vint un moment où Mme Haffner dut se défendre sérieusement. D'ailleurs, ces dames encourageaient Maxime par leurs rires étouffés, leurs demi-mots, les attitudes coquettes qu'elles prenaient devant cet enfant précoce. Il entrait là une pointe de débauche fort aristocratique toutes trois, dans leur vie tumultueuse, brûlées par la passion, s'arrêtaient à la dépravation charmante du galopin, comme à un piment original et sans danger qui réveillait leur goût. Elles lui laissaient toucher leur robe, frôler leurs épaules de ses doigts, lorsqu'il les suivait dans l'antichambre, pour jeter sur elles leur sortie de bal; elles se le passaient de main en main, riant comme des folles, quand il leur baisait les poignets, du côté des veines, à cette place où la peau est si douce; puis elles se faisaient maternelles et lui enseignaient doctement l'art d'être bel homme et de plaire aux dames. C'était leur joujou, un petit homme d'un mécanisme ingénieux, qui embrassait, qui faisait la cour, qui avait les plus aimables vices du monde, mais qui restait un joujou, un petit homme de carton qu'on ne craignait pas trop, assez cependant pour avoir, sous sa main enfantine, un frisson très doux.

A la rentrée des classes, Maxime alla au lycée Bonaparte. C'est le lycée du beau monde, celui que Saccard devait choisir pour son fils. L'enfant, si mou, si léger qu'il fût, avait alors une intelligence très vive; mais il s'appliqua à tout autre chose qu'aux études classiques. Il fut cependant un élève correct, qui ne descendit jamais dans la bohème des cancres, et qui demeura parmi les petits messieurs convenables et bien mis dont on ne dit rien.

Il ne lui resta de sa jeunesse qu'une véritable religion pour la toilette. Paris lui ouvrit les yeux, en fit un beau jeune homme, pincé dans ses vêtements, suivant les modes. Il était le Brummel de sa classe. Il s'y présentait comme dans un Salon, chaussé finement, ganté juste, avec des cravates prodigieuses et des chapeaux ineffables. D'ailleurs ils se trouvaient là une vingtaine, formant une aristocratie, s'offrant à la sortie des havanes dans des porte- cigares à fermoirs d'or, faisant porter leur paquet de livres par un domestique en livrée. Maxime avait déterminé son père à lui acheter un tilbury et un petit cheval noir qui faisaient l'admiration de ses camarades.