Выбрать главу

- Il se fourre partout, ce petit-là, disait la baronne de Meinhold, en lui tapotant les joues.

Il était si fluet que ces dames ne lui donnaient guère plus de quatorze ans. Elles s'amusèrent à le griser avec le madère de l'illustre Worms. Il leur dit des choses stupéfiantes, qui les firent rire aux larmes. Toutefois, ce fut la marquise d'Espanet qui trouva le mot de la situation. Comme on découvrit un jour Maxime, dans un angle des divans, derrière son dos:

- Voilà un garçon qui aurait dû naître fille, murmura-t-elle, à le voir si rose, si rougissant, si pénétré du bien-être qu'il avait éprouvé dans son voisinage.

Puis, lorsque le grand Worms recevait enfin Renée, Maxime pénétrait avec elle dans le cabinet. Il s'était permis de parler deux ou trois fois, pendant que le maître s'absorbait dans le spectacle de sa cliente, comme les pontifes du beau veulent que Léonard de Vinci l'ait fait devant la Joconde. Le maître avait daigné sourire de la justesse de ses observations. Il faisait mettre Renée debout devant une glace, qui montait du parquet au plafond, se recueillait, avec un froncement de sourcils, pendant que la jeune femme, émue, retenait son haleine, pour ne pas bouger. Et, au bout de quelques minutes, le maître, comme pris et secoué par l'inspiration, peignait à grands traits saccadés le chef-d'oeuvre qu'il venait de concevoir, s'écriait en phrases sèches:

- Robe Montespan en faille cendrée..., la traîne dessinant, devant, une basque arrondie..., gros noeuds de satin gris la relevant sur les hanches..., enfin tablier bouillonné de tulle gris perle, les bouillonnés séparés par des bandes de satin gris.

Il se recueillait encore, paraissait descendre tout au fond de son génie, et, avec une grimace triomphante de pythonisse sur son trépied, il achevait:

- Nous poserons dans les cheveux, sur cette tête rieuse, le papillon rêveur de Psyché aux ailes d'azur changeant.

Mais, d'autres fois, l'inspiration était rétive. L'illustre Worms l'appelait vainement, concentrait ses facultés en pure perte. Il torturait ses sourcils, devenait livide, prenait entre ses mains sa pauvre tête, qu'il branlait avec désespoir, et vaincu, se jetant dans un fauteuiclass="underline"

- Non, murmurait-il d'une voix dolente, non, pas aujourd'hui..., ce n'est pas possible... Ces dames sont indiscrètes. La source est tarie.

Et il mettait Renée à la porte en répétant:

- Pas possible, pas possible, chère dame, vous repasserez un autre jour... Je ne vous sens pas ce matin.

La belle éducation que recevait Maxime eut un premier résultat. A dix-sept ans, le gamin séduisit la femme de chambre de sa belle-mère. Le pis de l'histoire fut que la chambrière devint enceinte. Il fallut l'envoyer à la campagne avec le marmot et lui constituer une petite rente. Renée resta horriblement vexée de l'aventure. Saccard ne s'en occupa que pour régler le côté pécuniaire de la question; mais la jeune femme gronda vertement son élève. Lui, dont elle voulait faire un homme distingué, se compromettre avec une telle fille! Quel début ridicule et honteux, quelle fredaine inavouable! Encore s'il s'était lancé avec une de ces dames!

- Pardieu! répondit-il tranquillement, si ta bonne amie Suzanne avait voulu c'est elle qui serait allée à la campagne.

- Oh! le polisson! murmura-t-elle, désarmée, égayée par l'idée de voir Suzanne se réfugiant à la campagne avec une rente de douze cents francs.

Puis, une pensée plus drôle lui vint, et oubliant son rôle de mère irritée, poussant des rires perlés, qu'elle retenait entre ses doigts, elle balbutia, en le regardant du coin de l'oeiclass="underline"

- Dis donc, c'est Adeline qui t'en aurait voulu, et qui lui aurait fait des scènes...

Elle n'acheva pas. Maxime riait avec elle. Telle fut la belle chute que fit la morale de Renée en cette aventure.

Cependant Aristide Saccard ne s'inquiétait guère des deux enfants, comme il nommait son fils et sa seconde femme. Il leur laissait une liberté absolue, heureux de les voir bons amis, ce qui emplissait l'appartement d'une gaieté bruyante. Singulier appartement que ce premier étage de la rue de Rivoli. Les portes y battaient toute la journée; les domestiques y parlaient haut; le luxe neuf et éclatant en était traversé continuellement par des courses de jupes énormes et volantes, par des processions de fournisseurs, par le tohu-bohu des amies de Renée, des camarades de Maxime et des visiteurs de Saccard. Ce dernier recevait, de neuf heures à onze heures, le plus étrange monde qu'on pût voir: sénateurs et clercs d'huissier, duchesses et marchandes à la toilette, toute l'écume que les tempêtes de Paris jetaient le matin à sa porte, robes de soie, jupes sales, blouses, habits noirs, qu'il accueillait du même ton pressé, des mêmes gestes impatients et nerveux; il bâclait les affaires en deux paroles, résolvait vingt difficultés à la fois, et donnait les solutions en courant. On eût dit que ce petit homme remuant, dont la voix était très forte, se battait dans son cabinet avec les gens, avec les meubles, culbutait, se frappait la tête au plafond pour en faire jaillir les idées, et retombait toujours victorieux sur ses pieds. Puis, à onze heures, il sortait; on ne le voyait plus de la journée; il déjeunait dehors, souvent même il y dînait. Alors la maison appartenait à Renée et à Maxime; ils s'emparaient du cabinet du père; ils y déballaient les cartons des fournisseurs, et les chiffons traînaient sur les dossiers. Parfois des gens graves attendaient une heure à la porte du cabinet, pendant que le collégien et la jeune femme discutaient un noeud de ruban, assis aux deux bouts du bureau de Saccard. Renée faisait atteler dix fois par jour. Rarement on mangeait ensemble; sur les trois, deux couraient, s'oubliaient, ne revenaient qu'à minuit. Appartement de tapage, d'affaires et de plaisirs, où la vie moderne, avec son bruit d'or sonnant, de toilettes froissées, s'engouffrait comme un coup de vent.

Aristide Saccard avait enfin trouvé son milieu.

Il s'était révélé grand spéculateur, brasseur de millions. Après le coup de maître de la rue de la Pépinière, il se lança hardiment dans la lutte qui commençait à semer Paris d'épaves honteuses et de triomphes fulgurants. D'abord, il joua à coup sûr, répétant son premier succès, achetant les immeubles qu'il savait menacés de la pioche, et employant ses amis pour obtenir de grosses indemnités. Il vint un moment où il eut cinq ou six maisons, ces maisons qu'il regardait si étrangement autrefois, comme des connaissances à lui, lorsqu'il n'était qu'un pauvre agent voyer. Mais c'était là l'enfance de l'art. Quand il avait usé les baux, comploté avec les locataires, volé l'Etat et les particuliers, la finesse n'était pas grande, et il pensait que le jeu ne valait pas la chandelle. Aussi mit-il bientôt son génie au service de besognes plus compliquées.

Saccard inventa d'abord le tour des achats d'immeubles faits sous le manteau pour le compte de la Ville. Une décision du conseil d'Etat créait à cette dernière une situation difficile. Elle avait acheté à l'amiable un grand nombre de maisons, espérant user les baux et congédier les locataires sans indemnité. Mais ces acquisitions furent considérées comme de véritables expropriations, et elle dut payer. Ce fut alors que Saccard offrit d'être le prête-nom de la Ville; il achetait, usait les baux, et, moyennant un pot-de-vin, livrait l'immeuble au moment fixé. Et même il finit par jouer double jeu; il achetait pour la Ville et pour le préfet. Quand l'affaire était par trop tentante, il escamotait la maison. L'Etat payait. On récompensa ses complaisances en lui concédant des bouts de rues, des carrefours projetés, qu'il rétrocédait avant même que la voie nouvelle fût commencée. C'était un jeu féroce; on jouait sur les quartiers à bâtir comme on joue sur un titre de rente. Certaines dames, de jolies filles, amies intimes de hauts fonctionnaires, étaient de la partie; une d'elles, dont les dents blanches sont célèbres, a croqué, à plusieurs reprises, des rues entières Saccard s'affamait, sentait ses désirs s'accroître, à voir ce ruissellement d'or qui lui glissait entre les mains. Il lui semblait qu'une mer de pièces de vingt francs s'élargissait autour de lui, de lac devenait océan, emplissait l'immense horizon avec un bruit de vagues étranges, une musique métallique qui lui chatouillait le coeur; et il s'aventurait, nageur plus hardi chaque jour, plongeant, reparaissant, tantôt sur le dos, tantôt sur le ventre, traversant cette immensité par les temps clairs et par les orages, comptant sur ses forces et son adresse pour ne jamais aller au fond.