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La camaraderie de Renée et de Maxime alla si loin qu'elle lui conta ses peines de coeur. Il la consolait, lui donnait des conseils. Son père ne semblait pas exister. Puis, ils en vinrent à se faire des confidences sur leur jeunesse. C'est surtout pendant leurs promenades au Bois qu'ils ressentaient une langueur vague, un besoin de se raconter des choses difficiles à dire, et qu'on ne raconte pas. Cette joie que les enfants éprouvent à causer tout bas des choses défendues, cet attrait qu'il y a pour un jeune homme et une jeune femme à descendre ensemble dans le péché, en paroles seulement, les ramenaient sans cesse aux sujets scabreux. Ils y jouissaient profondément d'une volupté qu'ils ne se reprochaient pas, qu'ils goûtaient, mollement étendus aux deux coins de leur voiture, comme des camarades qui se rappellent leurs premières escapades. Ils finirent par devenir des fanfarons de mauvaises moeurs. Renée avoua qu'au pensionnat les petites filles étaient très polissonnes. Maxime renchérit et osa raconter quelques-unes des hontes du collège de Plassans.

- Ah! moi, je ne puis pas dire.,., murmurait Renée.

Puis elle se penchait à son oreille, comme si le bruit de sa voix l'eût seul fait rougir, et elle lui confiait une de ces histoires de couvent qui traînent dans les chansons ordurières. Lui avait une trop riche collection d'anecdotes de ce genre pour rester à court. Il lui chantonnait à l'oreille des couplets très crus. Et ils entraient peu à peu dans un état de béatitude particulier, bercés par toutes ces idées charnelles qu'ils remuaient, chatouillés par de petits désirs qui ne se formulaient pas. La voiture roulait doucement, ils rentraient avec une fatigue délicieuse, plus lassés qu'au matin d'une nuit d'amour. Ils avaient fait le mal, comme deux garçons courant les sentiers sans maîtresse, et qui se contentent avec leurs souvenirs mutuels.

Une familiarité, un abandon plus grand encore existaient entre le père et le fils. Saccard avait compris qu'un grand financier doit aimer les femmes et faire quelques folies pour elles. Il était d'amour brutal, préférait l'argent; mais il entra dans son programme de courir les alcôves, de semer les billets de banque sur certaines cheminées, de mettre de temps à autre une fille célèbre comme une enseigne dorée à ses spéculations. Quand Maxime fut sorti du collège, ils se rencontrèrent chez les mêmes dames, et ils en rirent. Ils furent même un peu rivaux. Parfois, lorsque le jeune homme dînait à la Maison- d'Or, avec quelque bande tapageuse, il entendait la voix de Saccard dans un cabinet voisin.

- Tiens! papa qui est à côté! s'écriait-il avec la grimace qu'il empruntait aux acteurs en vogue.

Il allait frapper à la porte du cabinet, curieux de voir la conquête de son père.

- Ah! c'est toi, disait celui-ci d'un ton réjoui. Entre donc. Vous faites un tapage à ne pas s'entendre manger. Avec qui donc êtes-vous là?

- Mais il y a Laure d'Aurigny, Sylvia, l'Ecrevisse, puis deux autres encore, je crois. Elles sont étonnantes: elles mettent les doigts dans les plats et nous jettent des poignées de salade à la tête. J'ai mon habit plein d'huile.

Le père riait, trouvait cela très drôle.

- Ah! jeunes gens, jeunes gens, murmurait-il. Ce n'est pas comme nous, n'est-ce pas, mon petit chat? nous avons mangé bien tranquillement, et nous allons faire dodo.

Et il prenait le menton de la femme qu'il avait à côté de lui, il roucoulait avec son nasillement provençal, ce qui produisait une étrange musique amoureuse.

- Oh! le vieux serin!... s'écriait la femme. Bonjour, Maxime. Faut-il que je vous aime, hein! pour consentir à souper avec votre coquin de père!... On ne vous voit plus. Venez après-demain matin de bonne heure... Non, vrai, j'ai quelque chose à vous dire.

Saccard achevait une glace ou un fruit, à petites bouchées, avec béatitude, il baisait l'épaule de la femme, en disant plaisamment:

- Vous savez, mes amours, si je vous gêne, je vais m'en aller... Vous sonnerez quand on pourra rentrer.

Puis il emmenait la dame ou parfois allait avec elle se joindre au tapage du salon voisin. Maxime et lui partageaient les mêmes épaules; leurs mains se rencontraient autour des mêmes tailles, ils s'appelaient sur les divans, se racontaient tout haut les confidences que les femmes leur faisaient à l'oreille. Et ils poussaient l'intimité jusqu'à conspirer ensemble pour enlever à la société la blonde ou la brune que l'un d'eux avait choisie.

Ils étaient bien connus à Mabille, ils y venaient bras dessus bras dessous, à la suite de quelque dîner fin, faisaient le tour du jardin, saluant les femmes, leur jetant un mot au passage, ils riaient haut, sans se quitter le bras, se prêtaient main-forte au besoin dans les conversations trop vives. Le père, très fort sur ce point, débattait avantageusement les amours du fils. Parfois, ils s'asseyaient, buvaient avec une bande de filles. Puis ils changeaient de table, reprenaient leurs courses. Et jusqu'à minuit, on les voyait, les bras toujours unis dans leur camaraderie, poursuivre des jupes, le long des allées jaunes, sous la flamme crue des becs de gaz.

Quand ils rentraient, ils rapportaient du dehors, dans leurs habits, un peu des filles qu'ils quittaient. Leurs attitudes déhanchées, le reste de certains mots risqués et de certains gestes canailles, emplissaient l'appartement de la rue de Rivoli d'une senteur d'alcôve suspecte. La façon molle et abandonnée dont le père donnait la main au fils, disait seule d'où ils venaient. C'était dans cet air que Renée respirait ses caprices, ses anxiétés sensuelles. Elle les raillait nerveusement.

- D'où venez-vous donc? leur disait-elle. Vous sentez la pipe et le musc... C'est sûr, je vais avoir la migraine.

Et l'odeur étrange, en effet, la troublait profondément. C'était le parfum persistant de ce singulier foyer domestique.