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- Vous êtes belle à ravir..., murmura-t-il.

Et, comme elle se penchait pour repousser la table, il la baisa rudement sur le cou. Elle jeta un petit cri. Puis elle se leva, frémissante, tâchant de rire, songeant invinciblement aux baisers de l'autre, la veille. Mais il eut regret de ce baiser de cocher. Il la quitta, en lui serrant amicalement la main, et en lui promettant qu'elle aurait les cinquante mille francs le soir même. Renée sommeilla toute la journée devant le feu. Aux heures de crise, elle avait des langueurs de créole. Alors, toute sa turbulence devenait paresseuse, frileuse, endormie. Elle grelottait, il lui fallait des brasiers ardents, une chaleur suffocante qui lui mettait au front de petites gouttes de sueur, et qui l'assoupissait. Dans cet air brûlant, dans ce bain de flammes, elle ne souffrait presque plus; sa douleur devenait comme un songe léger, un vague oppressement, dont l'indécision même finissait par être voluptueuse. Ce fut ainsi qu'elle berça jusqu'au soir ses remords de la veille, dans la clarté rouge du foyer, en face d'un terrible feu qui faisait craquer les meubles autour d'elle, et lui ôtait, par instants, la conscience de son être. Elle put songer à Maxime, comme à une jouissance enflammée dont les rayons la brûlaient; elle eut un cauchemar d'étranges amours au milieu de bûchers, sur des lits chauffés à blanc. Céleste allait et venait, dans la chambre, avec sa figure calme de servante au sang glacé. Elle avait l'ordre de ne laisser entrer personne; elle congédia même les inséparables, Adeline d'Espanet et Suzanne Haffner, de retour d'un déjeuner qu'elles venaient de faire ensemble, dans un pavillon loué par elles à Saint-Germain. Cependant, vers le soir, Céleste étant venue dire à sa maîtresse que Mme Sidonie, la soeur de monsieur, voulait lui parler, elle reçut l'ordre de l'introduire.

Mme Sidonie ne venait généralement qu'à la nuit tombée. Son frère avait pourtant obtenu qu'elle mît des robes de soie. Mais, on ne savait comment, la soie qu'elle portait avait beau sortir du magasin, elle ne paraissait jamais neuve; elle se fripait, perdait son luisant, ressemblait à une loque. Elle avait aussi consenti à ne pas apporter son panier chez les Saccard. En revanche, ses poches débordaient de paperasses. Renée, dont elle ne pouvait faire une cliente raisonnable, résignée aux nécessités de la vie, l'intéressait. Elle la visitait régulièrement, avec des sourires discrets de médecin qui ne veut pas effrayer un malade en lui apprenant le nom de son mal. Elle s'apitoyait sur ses petites misères, comme sur des bobos qu'elle guérirait immédiatement, si la jeune femme voulait. Cette dernière, qui était dans une de ces heures où l'on a besoin d'être plaint, la faisait uniquement entrer pour lui dire qu'elle avait des douleurs de tête intolérables.

- Eh! ma toute belle, murmura Mme Sidonie en se glissant dans l'ombre de la pièce, mais vous étouffez, ici!... Toujours vos douleurs névralgiques, n'est-ce pas? C'est le chagrin. Vous prenez la vie trop à coeur.

- Oui, j'ai bien des soucis, répondit languissamment Renée.

La nuit tombait. Elle n'avait pas voulu que Céleste allumât une lampe. Le brasier seul jetait une grande lueur rouge, qui l'éclairait en plein, allongée, dans son peignoir blanc dont les dentelles devenaient roses. Au bord de l'ombre, on ne voyait qu'un bout de la robe noire de Mme Sidonie et ses deux mains croisées, couvertes de gants de coton gris. Sa voix tendre sortait des ténèbres.

- Encore des peines d'argent! dit-elle, comme si elle avait dit: des peines de coeur, d'un ton plein de douceur et de pitié.

Renée abaissa les paupières, fit un geste d'aveu.

- Ah! Si mes frères m'écoutaient, nous serions tous riches. Mais ils lèvent les épaules quand je leur parle de cette dette de trois milliards, vous savez?... J'ai bon espoir, pourtant. Il y a dix ans que je veux faire un voyage en Angleterre. J'ai si peu de temps à moi !... Enfin je me suis décidée à écrire à Londres, et j'attends la réponse.

Et comme la jeune femme souriait:

- Je sais, vous êtes une incrédule, vous aussi. Cependant vous seriez bien contente, si je vous faisais cadeau, un de ces jours, d'un joli petit million... Allez, l'histoire est toute simple: c'est un banquier de Paris qui prêta l'argent au fils du roi d'Angleterre, et, comme le banquier mourut sans héritier naturel, l'Etat peut aujourd'hui exiger le remboursement de la dette, avec les intérêts composés. J'ai fait le calcul, ça monte à deux milliards neuf cent quarante- trois millions deux cent dix mille francs... N'ayez pas peur, ça viendra, ça viendra.

- En attendant, dit la jeune femme avec une pointe d'ironie, vous devriez bien me faire prêter cent mille francs... Je pourrais payer mon tailleur qui me tourmente beaucoup.

- Cent mille francs se trouvent, répondit tranquillement Mme Sidonie. Il ne s'agit que d'y mettre le prix.

Le brasier luisait; Renée, plus languissante, allongeait ses jambes, montrait le bout de ses pantoufles, au bord de son peignoir. La courtière reprit sa voix apitoyée.

- Pauvre chère, vous n'êtes vraiment pas raisonnable... Je connais beaucoup de femmes, mais je n'en ai jamais vu une aussi peu soucieuse de sa santé. Tenez, cette petite Michelin, c'est elle qui sait s'arranger! Je songe à vous, malgré moi, quand je la vois heureuse et bien portante... Savez-vous que M. de Saffré en est amoureux fou et qu'il lui a déjà donné pour près de dix mille francs de cadeaux. Je crois que son rêve est d'avoir une maison de campagne.

Elle s'animait, elle cherchait sa poche.

- J'ai là encore une lettre d'une pauvre jeune femme... Si nous avions de la lumière, je vous la ferais lire... Imaginez-vous que son mari ne s'occupe pas d'elle. Elle avait signé des billets, elle a été obligée d'emprunter à un monsieur que je connais. C'est moi qui ai retiré les billets des griffes des huissiers, et ça n'a pas été sans peine... Ces pauvres enfants, croyez-vous qu'ils font le mal? Je les reçois chez moi, comme s'ils étaient mon fils et ma fille.

- Vous connaissez un prêteur? demanda négligemment Renée.

- J'en connais dix... Vous êtes trop bonne. Entre femmes, n'est-ce pas? on peut se dire bien des choses, et ce n'est pas parce que votre mari est mon frère que je l'excuserai de courir les gueuses et de laisser se morfondre au coin du feu un amour de femme comme vous... Cette Laure d'Aurigny lui coûte les yeux de la tête. Ça ne m'étonnerait pas qu'il vous eût refusé de l'argent. Il vous en a refusé, n'est-ce pas?... O le malheureux!

Renée écoutait complaisamment cette voix molle qui sortait de l'ombre, comme l'écho encore vague de ses propres songeries. Les paupières demi- closes, presque couchée dans son fauteuil, elle ne savait plus que Mme Sidonie était là, elle croyait rêver que de mauvaises pensées lui venaient et tentaient avec une grande douceur. La courtière parla longtemps, pareille à une eau tiède et monotone.

- C'est Mme de Lauwerens qui a gâté votre existence. Vous n'avez jamais voulu me croire. Ah! vous n'en seriez pas à pleurer au coin de votre cheminée si vous ne vous étiez pas défiée de moi... Et je vous aime comme mes yeux, ma toute belle. Vous avez un pied ravissant. Vous allez vous moquer de moi, mais je veux vous conter mes folies; quand il y a trois jours que je ne vous ai vue, il faut absolument que je vienne pour vous admirer; oui, il me manque quelque chose; j'ai besoin de me rassasier de vos beaux cheveux, de votre visage si blanc et si délicat, de votre taille mince... Vrai, je n'ai jamais vu de taille pareille.