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Quand Mme Sidonie revint, ouvrant et fermant la porte avec précaution, elle fit des signes répétés au bout des doigts, pour lui recommander de parler tout bas. Puis à son oreille:

- Vous ne savez pas, l'aventure est bonne: c'est M. de Saffré qui est là.

- Vous ne lui avez pas dit au moins que j'étais ici? demanda la jeune femme inquiète.

La courtière sembla surprise, et très naïvement:

- Mais si... Il attend que je lui dise d'entrer. Bien entendu, je ne lui ai pas parlé des cinquante mille francs...

Renée, toute pâle, s'était redressée comme sous un coup de fouet. Une immense fierté lui remontait au coeur. Ce bruit de bottes, qu'elle entendait plus brutal dans la chambre d'à côté, l'exaspérait.

- Je m'en vais, dit-elle d'une voix brève. Venez m'ouvrir la porte.

Mme Sidonie essaya de sourire.

- Ne faites pas l'enfant... Je ne puis pas rester avec ce garçon sur les bras, maintenant que je lui ai dit que vous étiez ici... Vous me compromettez, vraiment...

Mais la jeune femme avait déjà descendu le petit escalier. Elle répétait devant la porte fermée de la boutique.

- Ouvrez-moi, ouvrez-moi.

La marchande de dentelle, quand elle retirait le bouton de cuivre, avait l'habitude de le mettre dans sa poche. Elle voulut encore parlementer. Enfin, prise de colère elle-même, laissant voir au fond de ses yeux gris la sécheresse aigre de sa nature, elle s'écria:

- Mais enfin que voulez-vous que je lui dise, à cet homme?

- Que je ne suis pas à vendre, répondit Renée, qui avait un pied sur le trottoir.

Et il lui sembla entendre Mme Sidonie murmurer en refermant violemment la porte « Eh! va donc, grue! tu me paieras ça. »

- Pardieu! pensa-t-elle en remontant dans son coupé, j'aime encore mieux mon mari.

Elle retourna droit à l'hôtel. Le soir, elle dit à Maxime de ne pas venir; elle était souffrante, elle avait besoin de repos. Et, le lendemain, lorsqu'elle lui remit les quinze mille francs pour le bijoutier de Sylvia, elle resta embarrassée devant sa surprise et ses questions. C'était son mari, dit-elle, qui avait fait une bonne affaire. Mais, à partir de ce jour, elle fut plus fantasque, elle changeait souvent les heures des rendez-vous qu'elle donnait au jeune homme, et souvent même elle le guettait dans la serre pour le renvoyer. Lui s'inquiétait peu de ces changements d'humeur; il se plaisait à être une chose obéissante aux mains des femmes. Ce qui l'ennuya davantage, ce fut la tournure morale que prenaient parfois leurs tête-à-tête d'amoureux. Elle devenait toute triste; même il lui arrivait d'avoir de grosses larmes dans les yeux. Elle interrompait son refrain sur « le beau jeune homme » de la Belle Hélène, jouait les cantiques du pensionnat, demandait à son amant s'il ne croyait pas que le mal fût puni tôt ou tard.

- Décidément, elle vieillit, pensait-il. C'est tout le plus si elle est drôle encore un an ou deux.

La vérité était qu'elle souffrait cruellement. Maintenant, elle aurait mieux aimé tromper Maxime avec M. de Saffré. Chez Mme Sidonie, elle s'était révoltée, elle avait cédé à une fierté instinctive, au dégoût de ce marché grossier. Mais, les jours suivants, quand elle endura les angoisses de l'adultère, tout sombra en elle, et elle se sentit si méprisable qu'elle se serait livrée au premier homme qui aurait poussé la porte de la chambre aux pianos. Si, jusque-là, la pensée de son mari était passée parfois dans l'inceste, comme une pointe d'horreur voluptueuse, le mari, l'homme lui-même, y entra dès lors avec une brutalité qui tourna les sensations les plus délicates en douleurs intolérables. Elle qui se plaisait aux raffinements de sa faute et qui rêvait volontiers un coin de paradis surhumain où les dieux goûtent leurs amours en famille, elle roulait à la débauche vulgaire, au partage de deux hommes. Vainement elle tenta de jouir de l'infamie. Elle avait encore les lèvres chaudes des baisers de Saccard, lorsqu'elle les offrait aux baisers de Maxime. Ses curiosités descendirent au fond de ces voluptés maudites; elle alla jusqu'à mêler ces deux tendresses, jusqu'à chercher le fils dans les étreintes du père. Et elle sortait plus effarée, plus meurtrie de ce voyage dans l'inconnu du mal, de ces ténèbres ardentes où elle confondait son double amant, avec des terreurs qui donnaient un râle à ses joies.

Elle garda ce drame pour elle seule, en doubla la souffrance par les fièvres de son imagination. Elle eût préféré mourir que d'avouer la vérité à Maxime. C'était une peur sourde que le jeune homme ne se révoltât, ne la quittât; c'était surtout une croyance si absolue de péché monstrueux et de damnation éternelle qu'elle aurait plus volontiers traversé nue le parc Monceau que de confesser sa honte à voix basse. Elle restait, d'ailleurs, l'étourdie qui étonnait Paris par ses extravagances. Des gaietés nerveuses la prenaient, des caprices prodigieux, dont s'entretenaient les journaux, en la désignant par ses initiales. Ce fut à cette époque qu'elle voulut sérieusement se battre en duel, au pistolet, avec la duchesse de Sternich, qui avait, méchamment, disait-elle, renversé un verre de punch sur sa robe; il fallut que son beau-frère le ministre se fâchât. Une autre fois, elle paria avec Mme de Lauwerens qu'elle ferait le tour de piste de Longchamp en moins de dix minutes, et ce ne fut qu'une question de costume qui la retint. Maxime lui-même commençait à être effrayé par cette tête où la folie montait, et où il croyait entendre, la nuit, sur l'oreiller, tout le tapage d'une ville en rut de plaisirs.

Un soir, ils allèrent ensemble au Théâtre-Italien. Ils n'avaient seulement pas regardé l'affiche. Ils voulaient voir une grande tragédienne italienne, la Ristori, qui faisait alors courir tout Paris, et à laquelle la mode leur commandait de s'intéresser. On donnait Phèdre. Il se rappelait assez son répertoire classique, elle savait assez l'italien pour suivre la pièce. Et même ce drame leur causa une émotion particulière, dans cette langue étrangère dont les sonorités leur semblaient, par moments, un simple accompagnement d'orchestre soutenant la mimique des acteurs. Hippolyte était un grand garçon pâle, très médiocre, qui pleurait son rôle.