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Maxime ricanait; il arrêta son père, le contempla au clair de lune, en déclarant qu'il avait « une bonne tête ». Mais Saccard se fit plus grave encore.

- Plaisante tant que tu voudras. Je te répète qu'il n'y a rien de tel que le mariage pour conserver un homme et le rendre heureux.

Alors il lui parla de Louise. Et il marcha plus doucement, pour terminer cette affaire, disait-il, puisqu'ils en causaient. La chose était complètement arrangée. Il lui apprit même qu'il avait fixé avec M. de Mareuil la date de la signature du contrat au dimanche qui suivrait le jeudi de la mi-carême. Ce jeudi-là, il devait y avoir une grande soirée à l'hôtel du parc Monceau, et il en profiterait pour annoncer publiquement le mariage. Maxime trouva tout cela très bien. Il était débarrassé de Renée, il ne voyait plus d'obstacle, il se livrait à son père comme il s'était livré à sa belle-mère.

- Eh bien, c'est entendu, dit-il. Seulement n'en parle pas à Renée. Ses amies me plaisanteraient, me taquineraient, et j'aime mieux qu'elles sachent la chose en même temps que tout le monde.

Saccard lui promit le silence. Puis, comme ils arrivaient vers le haut du boulevard Malesherbes, il lui donna de nouveau une foule d'excellents conseils. Il lui apprenait comment il devait s'y prendre pour faire un paradis de son ménage.

- Surtout, ne romps jamais avec ta femme. C'est une bêtise. Une femme avec laquelle on n'a plus de rapports vous coûte les yeux de la tête... D'abord, il faut payer quelque fille, n'est-ce pas? Puis, la dépense est bien plus grande à la maison: c'est la toilette, ce sont les plaisirs particuliers de madame, les bonnes amies, tout le diable et son train.

Il était dans une heure de vertu extraordinaire. Le succès de son affaire de Charonne lui mettait au coeur des tendresses d'idylle.

- Moi, continua-t-il, j'étais né pour vivre heureux et ignoré au fond de quelque village, avec toute ma famille à mes côtés... On ne me connaît pas, mon petit... J'ai l'air comme ça très en l'air. Eh bien, pas du tout, j'adorerais rester près de ma femme, je lâcherais volontiers mes affaires pour une rente modeste qui me permettrait de me retirer à Plassans... Tu vas être riche, fais- toi avec Louise un intérieur où vous vivrez comme deux tourtereaux. C'est si bon! J'irai vous voir. Ça me fera du bien.

Il finissait par avoir des larmes dans la voix. Cependant, ils étaient arrivés devant la grille de l'hôtel, et ils causaient, sur le bord du trottoir. Sur ces hauteurs de Paris, une bise soufflait. Pas un bruit ne montait dans la nuit pâle d'une blancheur de gelée; Maxime, surpris des attendrissements de son père, avait depuis un instant une question sur les lèvres.

- Mais toi, dit-il enfin, il me semble...

- Quoi?

- Avec ta femme!

Saccard haussa les épaules.

- Eh! parfaitement. J'étais un imbécile. C'est pourquoi je te parle en toute expérience... Mais nous nous sommes remis ensemble, oh! tout à fait. Il y a bientôt six semaines. Je vais la retrouver le soir, quand je ne rentre pas trop tard. Aujourd'hui, la pauvre bichette se passera de moi; j'ai à travailler jusqu'au jour. C'est qu'elle est joliment faite!...

Comme Maxime lui tendait la main, il la retint, et ajouta, à voix plus basse, d'un ton de confidence:

- Tu sais, la taille de Blanche Muller, eh bien, c'est ça, mais dix fois plus souple. Et les hanches donc! elles sont d'un dessin, d'une délicatesse...

Et il conclut en disant au jeune homme, qui s'en allait:

- Tu es comme moi, tu as du coeur, ta femme sera heureuse... Au revoir, mon petit!

Quand Maxime fut enfin débarrassé de son père, il fit rapidement le tour du parc. Ce qu'il venait d'entendre le surprenait si fort, qu'il éprouvait l'irrésistible besoin de voir Renée. Il voulait lui demander pardon de sa brutalité, savoir pourquoi elle lui avait menti en lui nommant M. de Saffré, connaître l'histoire des tendresses de son mari. Mais tout cela confusément, avec le seul désir net de fumer chez elle un cigare et de renouer leur camaraderie. Si elle était bien disposée, il comptait même lui annoncer son mariage, pour lui faire entendre que leurs amours devaient rester mortes et enterrées. Quand il eut ouvert la petite porte, dont il avait heureusement gardé la clef, il finit par se dire que sa visite, après la confidence de son père, était nécessaire et tout à fait convenable.

Dans la serre, il siffla comme la veille; mais il n'attendit pas. Renée vint lui ouvrir la porte-fenêtre du petit salon, et monta devant lui sans parler. Elle rentrait à peine d'un bal de l'Hôtel de Ville. Elle était encore vêtue d'une robe blanche de tulle bouillonné, semée de noeuds de satin; les basques du corsage de satin se trouvaient encadrées d'une large dentelle de jais blanc, que la lumière des candélabres moirait de bleu et de rose. Quand Maxime la regarda, en haut, il fut touché de sa pâleur, de l'émotion profonde qui lui coupait la voix. Elle ne devait pas l'attendre, elle était toute frissonnante de le voir arriver comme à l'ordinaire, tranquillement, de son air câlin. Céleste revint de la garde-robe, où elle était allée chercher une chemise de nuit, et les amants continuaient à garder le silence, attendant que cette fille ne fût plus là. Ils ne se gênaient pas d'habitude devant elle; mais des pudeurs leur venaient pour les choses qu'ils se sentaient sur les lèvres. Renée voulut que Céleste la déshabillât dans la chambre à coucher où il y avait un grand feu. La chambrière ôtait les épingles, enlevait les chiffons un à un, sans se presser. Et Maxime, ennuyé, prit machinalement la chemise, qui se trouvait sur une chaise, et la fit chauffer devant la flamme, penché, les bras élargis. C'était lui qui, aux jours heureux, rendait ce petit service à Renée. Elle eut un attendrissement, à le voir présenter délicatement la chemise au feu. Puis, comme Céleste n'en finissait pas :

- Tu t'es bien amusée à ce bal? demanda-t-il.

- Oh! non, tu sais, toujours la même chose, répondit-elle. Beaucoup trop de monde, une véritable cohue.

Il retourna la chemise qui se trouvait chaude d'un côté.

- Quelle toilette avait Adeline?

- Une robe mauve, assez mal comprise... Elle est petite, et elle a la rage des volants.

Ils parlèrent des autres femmes. Maintenant Maxime se brûlait les doigts avec la chemise.

- Mais tu vas la roussir, dit Renée dont la voix avait des caresses maternelles.

Céleste prit la chemise des mains du jeune homme. Il se leva, alla regarder le grand lit gris et rose, s'arrêta à un des bouquets brochés de la tenture pour tourner la tête, pour ne pas voir les seins nus de Renée. C'était instinctif. Il ne se croyait plus son amant, il n'avait plus le droit de voir. Puis il tira un cigare de sa poche et l'alluma. Renée lui avait permis de fumer chez elle. Enfin Céleste se retira, laissant la jeune femme au coin du feu, toute blanche dans son vêtement de nuit.

Maxime marcha encore quelques instants, silencieux, regardant du coin de l'oeil Renée, qu'un frisson semblait reprendre. Et, se plantant devant la cheminée, le cigare aux dents, il demanda d'une voix brusque :

- Pourquoi ne m'as-tu pas dit que c'était mon père qui se trouvait avec toi, hier soir?

Elle leva la tête, les yeux tout grands, avec un regard de suprême angoisse, puis un flot de sang lui empourpra la face, et, anéantie de honte, elle se cacha dans ses mains, elle balbutia: