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- Tu sais cela? tu sais cela?...

Elle se reprit, elle essaya de mentir.

- Ce n'est pas vrai... qui te l'a dit?

Maxime haussa les épaules.

- Pardieu, mon père lui-même, qui te trouve joliment faite et qui m'a parlé de tes hanches.

Il avait laissé percer un léger dépit. Mais il se remit à marcher, continuant d'une voix grondeuse et amicale, entre deux bouffées de cigare:

- Vraiment, je ne te comprends pas. Tu es une singulière femme. Hier, c'est ta faute, si j'ai été grossier. Tu m'aurais dit que c'était mon père, je m'en serais allé tranquillement, tu comprends? Moi, je n'ai pas le droit... Mais tu vas me nommer M. de Saffré!

Elle sanglotait, les mains sur son visage. Il s'approcha, s'agenouilla devant elle, lui écarta les mains de force.

- Voyons, dis-moi pourquoi tu m'as nommé M. de Saffré.

Alors, détournant encore la tête, elle répondit au milieu de ses larmes, à voix basse:

- Je croyais que tu me quitterais, si tu savais que ton père...

Il se releva, reprit son cigare qu'il avait posé sur un coin de la cheminée, et se contenta de murmurer:

- Tu es bien drôle, va!...

Elle ne pleurait plus. Les flammes de la cheminée et le feu de ses joues séchaient ses larmes. L'étonnement de voir Maxime si calme devant une révélation qu'elle croyait devoir l'écraser lui faisait oublier sa honte. Elle le regardait marcher, elle l'écoutait parler comme dans un rêve. Il lui répétait, sans quitter son cigare, qu'elle n'était pas raisonnable, qu'il était tout naturel qu'elle eût des rapports avec son mari, mais qu'il ne pouvait vraiment songer à s'en fâcher. Mais aller avouer un amant quand ce n'était pas vrai. Et il revenait toujours à cela, à cette chose qu'il ne pouvait comprendre, et qui lui semblait réellement monstrueuse, parla des « imaginations folles » des femmes.

- Tu es une fêlée, ma chère, il faut soigner ça.

Il finit par demander curieusement:

- Mais pourquoi M. de Saffré plutôt qu'un autre?

- Il me fait la cour, dit Renée.

Maxime retint une impertinence; il allait dire qu'elle s'était sans doute crue plus vieille d'un mois en avouant M. de Saffré pour amant. Il n'eut que le sourire mauvais de cette méchanceté, et, jetant son cigare dans le feu, il vint s'asseoir de l'autre côté de la cheminée. Là, il parla raison, il donna à entendre à Renée qu'ils devaient rester bons camarades. Les regards fixes de la jeune femme l'embarrassaient un peu, pourtant; il n'osa pas lui annoncer son mariage. Elle le contemplait longuement, les yeux encore gonflés par les larmes. Elle le trouvait pauvre, étroit, misérable, et elle l'aimait toujours, de cette tendresse qu'elle avait pour ses dentelles. Il était joli sous la lumière du candélabre, placé au bord de la cheminée, à côté de lui. Comme il renversait la tête, la lueur des bougies lui dorait les cheveux, lui glissait sur la face, dans le duvet léger des joues, avec des blondeurs charmantes.

- Il faut pourtant que je m'en aille, dit-il à plusieurs reprises.

Il était bien décidé à ne pas rester. Renée ne l'aurait pas voulu d'ailleurs. Tous deux le pensaient, le disaient; ils n'étaient plus que deux amis. Et, quand Maxime eut enfin serré la main de la jeune femme et qu'il fut sur le point de quitter la chambre, elle le retint encore un instant, en lui parlant de son père. Elle en faisait un grand éloge.

- Vois-tu, j'avais trop de remords. Je préfère que ça soit arrivé... Tu ne connais pas ton père; j'ai été étonnée de le trouver si bon, si désintéressé. Le pauvre homme a de si gros soucis en ce moment.

Maxime regardait la pointe de ses bottines, sans répondre, d'un air gêné. Elle insistait.

- Tant qu'il ne venait pas dans cette chambre, ça m'était égal. Mais après... Quand je le voyais ici, affectueux, m'apportant un argent qu'il avait dû ramasser dans tous les coins de Paris, se ruinant pour moi sans une plainte, j'en devenais malade... Si tu savais avec quel soin il a veillé à mes intérêts!

Le jeune homme revint doucement à la cheminée, contre laquelle il s'adossa. Il restait embarrassé, la tête basse, avec un sourire qui montait peu à peu de ses lèvres.

- Oui, murmura-t-il, mon père est très fort pour veiller aux intérêts des gens.

Le son de sa voix étonna Renée. Elle le regarda, et lui, comme pour se défendre:

- Oh! je ne sais rien... Je dis seulement que mon père est un habile homme.

- Tu aurais tort d'en mal parler, reprit-elle. Tu dois le juger un peu en l'air... Si je te faisais connaître tous ses embarras, si je te répétais ce qu'il me confiait encore ce soir, tu verrais comme on se trompe, quand on croit qu'il tient à l'argent...

Maxime ne put retenir un haussement d'épaules. Il interrompit sa belle-mère, d'un rire d'ironie.

- Va, je le connais, je le connais beaucoup... Elle a dû te dire de bien jolies choses. Conte-moi donc ça.

Ce ton railleur la blessait. Alors elle renchérit encore sur ses éloges, elle trouva son mari tout à fait grand, elle parla de l'affaire de Charonne, de ce tripotage où elle n'avait rien compris, comme d'une catastrophe dans laquelle s'étaient révélées à elle l'intelligence et la bonté de Saccard. Elle ajouta qu'elle signerait l'acte de cession le lendemain, et que, si c'était réellement là un désastre, elle acceptait ce désastre en punition de ses fautes. Maxime la laissait aller, ricanant, la regardant en dessous; puis il dit à demi-voix:

- C'est ça, c'est bien ça..

Et, plus haut, mettant la main sur l'épaule de Renée:

- Ma chère, je te remercie, mais je savais l'histoire... C'est toi qui es d'une bonne pâte!

Il fit de nouveau mine de s'en aller. Il éprouvait une démangeaison furieuse de tout conter. Elle l'avait exaspéré, avec ses éloges sur son mari, et il oubliait qu'il s'était promis de ne pas parler, pour s'éviter tout désagrément.

- Quoi! que veux-tu dire? demanda-t-elle.

- Eh! pardieu! que mon père te met dedans de la plus jolie façon du monde... Tu me fais de la peine, vrai; tu es trop godiche!

Et il lui conta ce qu'il avait entendu chez Laure, lâchement, sournoisement, goûtant une secrète joie à descendre dans ces infamies. Il lui semblait qu'il se vengeait d'une injure vague qu'on venait de lui faire. Son tempérament de fille s'attardait béatement à cette dénonciation, à ce bavardage cruel, surpris derrière une porte. Il n'épargna rien à Renée, ni l'argent que son mari lui avait prêté à usure, ni celui qu'il comptait lui voler, à l'aide d'histoires ridicules, bonnes à endormir les enfants. La jeune femme l'écoutait, très pâle, les lèvres serrées. Debout devant la cheminée, elle baissait un peu la tête, elle regardait le feu. Sa toilette de nuit, cette chemise que Maxime avait fait chauffer, s'écartait, laissait voir des blancheurs immobiles de statue.

- Je te dis tout cela, conclut le jeune homme, pour que tu n'aies pas l'air d'une sotte... Mais tu aurais tort d'en vouloir à mon père. Il n'est pas méchant. Il a ses défauts comme tout le monde... A demain, n'est-ce pas?

Il s'avançait toujours vers la porte. Renée l'arrêta d'un geste brusque.

- Reste! cria-t-elle impérieusement.