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Et le prenant, l'attirant à elle, l'asseyant presque sur ses genoux, devant le feu, elle le baisa sur les lèvres, en disant:

- Ah! bien, ce serait trop bête de nous gêner, maintenant... Tu ne sais donc pas que, depuis hier, depuis que tu as voulu rompre, je n'ai plus la tête à moi. Je suis comme une imbécile. Ce soir, au bal, j'avais un brouillard devant les yeux. C'est qu'à présent, j'ai besoin de toi pour vivre. Quand tu t'en iras, je serai vidée... Ne ris pas, je te dis ce que je sens.

Elle le regardait avec une tendresse infinie, comme si elle ne l'eût pas vu depuis longtemps.

- Tu as trouvé le mot, j'étais godiche, ton père m'aurait fait voir aujourd'hui des étoiles en plein midi. Est-ce que je savais! Pendant qu'il me contait son histoire, je n'entendais qu'un grand bourdonnement, et j'étais tellement anéantie qu'il m'aurait fait mettre à genoux, s'il avait voulu, pour signer ses paperasses. Et je m'imaginais que j'avais des remords!... Vrai, j'étais bête à ce point !...

Elle éclata de rire, des lueurs de folie luisaient dans ses yeux. Elle continua, en serrant plus étroitement son amant.

- Est-ce que nous faisons le mal, nous autres! Nous nous aimons, nous nous amusons comme il nous plaît. Tout le monde en est là, n'est-ce pas?... Vois, ton père ne se gêne guère. Il aime l'argent et il en prend où il en trouve. Il a raison, ça me met à l'aise... D'abord, je ne signerai rien, et puis tu reviendras tous les soirs. J'avais peur que tu ne veuilles plus, tu sais, pour ce que je t'ai dit... Mais puisque ça ne te fait rien... D'ailleurs, je lui fermerai ma porte, tu comprends, maintenant.

Elle se leva, elle alluma la veilleuse. Maxime hésitait, désespéré. Il voyait la sottise qu'il avait commise, il se reprochait durement d'avoir trop causé. Comment annoncer son mariage maintenant! C'était sa faute, la rupture était faite, il n'avait pas besoin de remonter dans cette chambre, ni surtout d'aller prouver à la jeune femme que son mari la dupait. Et il ne savait plus à quel sentiment il venait d'obéir, ce qui redoublait sa colère contre lui-même. Mais s'il eut la pensée, un instant, d'être brutal une seconde fois, de s'en aller, la vue de Renée qui laissait tomber ses pantoufles, lui donna une lâcheté invincible. Il eut peur, il resta.

Le lendemain, quand Saccard vint chez sa femme pour lui faire signer l'acte de cession, elle lui répondit tranquillement qu'elle n'en ferait rien, qu'elle avait réfléchi. D'ailleurs, elle ne se permit pas même une allusion; elle s'était juré d'être discrète, ne voulant pas se créer des ennuis, désirant goûter en paix le renouveau de ses amours. L'affaire de Charonne s'arrangerait comme elle pourrait; son refus de signer n'était qu'une vengeance; elle se moquait bien du reste. Saccard fut sur le point de s'emporter. Tout son rêve croulait. Ses autres affaires allaient de mal en pis. Il se trouvait à bout de ressources, se soutenant par un miracle d'équilibre; le matin même, il n'avait pu payer la note de son boulanger. Cela ne l'empêchait pas de préparer une fête splendide pour le jeudi de la mi-carême. Il éprouva, devant le refus de Renée, cette colère blanche d'un homme vigoureux arrêté dans son oeuvre par le caprice d'un enfant. Avec l'acte de cession en poche, il comptait bien battre monnaie, en attendant l'indemnité. Puis, quand il se fut un peu calmé et qu'il eut l'intelligence nette, il s'étonna du brusque revirement de sa femme à coup sûr, elle avait dû être conseillée. Il flaira un amant. Ce fut un pressentiment si net qu'il courut chez sa soeur pour l'interroger, lui demander si elle ne savait rien de la vie cachée de Renée. Sidonie se montra très aigre. Elle ne pardonnait pas à sa belle-soeur l'affront qu'elle lui avait fait en refusant de voir M. de Saffré. Aussi, quand elle comprit, aux questions de son frère, que celui-ci accusait sa femme d'avoir un amant, s'écria-t-elle qu'elle en était certaine. Et elle s'offrit d'elle-même pour espionner « les tourtereaux » Cette pimbêche verrait comme cela de quel bois elle se chauffait. Saccard, d'habitude, ne cherchait pas les vérités désagréables; son intérêt seul le forçait à ouvrir des yeux qu'il tenait sagement fermés. Il accepta l'offre de sa soeur.

- Va, sois tranquille, je saurai tout, lui dit-elle d'une voix pleine de compassion... Ah! mon pauvre frère, cc n'est pas Angèle qui t'aurait jamais trahi! Un mari si bon, si généreux! Ces poupées parisiennes n'ont pas de coeur... Et moi qui ne cesse de lui donner de bons conseils!

PARTIE VI

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Il y avait bal travesti, chez les Saccard, le jeudi de la mi-carême. Mais la grande curiosité était le poème des Amours du beau Narcisse et de la nymphe Echo, en trois tableaux, que ces dames devaient représenter. L'auteur de ce poème, M. Hupel de la Noue, voyageait depuis plus d'un mois, de sa préfecture à l'hôtel du parc Monceau, afin de surveiller les répétitions et de donner son avis sur les costumes. Il avait d'abord songé à écrire son oeuvre en vers; puis il s'était décidé pour des tableaux vivants; c'était plus noble, disait-il, plus près du beau antique.

Ces dames n'en dormaient plus. Certaines d'entre elles changeaient jusqu'à trois fois de costume. Il y eut des conférences interminables que le préfet présidait. On discuta longuement d'abord le personnage de Narcisse. Serait-ce une femme ou un homme qui le représenterait? Enfin, sur les instances de Renée, il fut décidé que l'on confierait le rôle à Maxime; mais il serait le seul homme, et encore Mme de Lauwerens disait-elle qu'elle ne consentirait jamais à cela, si « le petit Maxime ne ressemblait pas à une vraie fille ». Renée devait être la nymphe Echo. La question des costumes fut beaucoup plus laborieuse. Maxime donna un bon coup de main au préfet, qui se trouvait sur les dents, au milieu de neuf femmes, dont l'imagination folle menaçait de compromettre gravement la pureté des lignes de son oeuvre. S'il les avait écoutées, son Olympe aurait porté de la poudre. Mme d'Espanet voulait absolument avoir une robe à traîne pour cacher ses pieds un peu forts, tandis que Mme Haffner rêvait de s'habiller avec une peau de bête. M. Hupel de la Noue fut énergique; il se fâcha même une fois, il était convaincu, il disait que, s'il avait renoncé aux vers, c'était pour écrire son poème « avec des étoffes savamment combinées et des attitudes choisies parmi les plus belles ».

- L'ensemble, mesdames, répétait-il à chaque nouvelle exigence, vous oubliez l'ensemble... Je ne puis cependant pas sacrifier l'oeuvre entière aux volants que vous me demandez.

Les conciliabules se tenaient dans le salon bouton d'or. On y passa des après- midi entiers à arrêter la forme d'une jupe. Worms fut convoqué plusieurs fois. Enfin tout fut réglé, les costumes arrêtés, les poses apprises, et M. Hupel de la Noue se déclara satisfait. L'élection de M. de Mareuil lui avait donné moins de mal.

Les Amours du beau Narcisse et de la nymphe Echo devaient commencer à onze heures. Dès dix heures et demie, le grand salon se trouvait plein, et, comme il y avait bal ensuite, les femmes étaient là, costumées, assises sur des fauteuils rangés en demi-cercle devant le théâtre improvisé, une estrade que cachaient deux larges rideaux de velours rouge à franges d'or, glissant sur des tringles. Les hommes, derrière, se tenaient debout, allaient et venaient. Les tapissiers avaient donné à dix heures les derniers coups de marteau. L'estrade s'élevait au fond du salon, tenant tout un bout de cette longue galerie. On montait sur le théâtre par le fumoir, converti en foyer pour les artistes. En outre, au premier étage, ces dames avaient à leur disposition plusieurs pièces, où une armée de femmes de chambre préparaient les toilettes des différents tableaux.