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Mais, lorsque Renée descendit enfin, il se fit un demi-silence. Elle avait mis un nouveau costume, d'une grâce si originale et d'une telle audace que ces messieurs et ces dames, habitués pourtant aux excentricités de la jeune femme, eurent un premier mouvement de surprise. Elle était en Otaïtienne. Ce costume, paraît-il, est des plus primitifs; un maillot couleur tendre, qui lui montait des pieds jusqu'aux seins, en lui laissant les épaules et les bras nus; et, sur ce maillot, une simple blouse de mousseline, courte et garnie de deux volants, pour cacher un peu ses hanches. Dans les cheveux, une couronne de fleurs des champs; aux chevilles et aux poignets, des cercles d'or. Et rien autre. Elle était nue. Le maillot avait des souplesses de chair, sous la pâleur de la blouse; la ligne pure de cette nudité se retrouvait, des genoux aux aisselles vaguement effacée par les volants, mais s'accentuant et reparaissant entre les mailles de la dentelle, au moindre mouvement. C'était une sauvagesse adorable, une fille barbare et voluptueuse, à peine cachée dans une vapeur blanche, dans un pan de brume marine, où tout son corps se devinait.

Renée, les joues roses, avançait d'un pas vif. Céleste avait fait craquer un premier maillot; heureusement que la jeune femme, prévoyant le cas, s'était précautionnée. Ce maillot déchiré l'avait mise en retard. Elle parut se soucier peu de son triomphe. Ses mains brûlaient, ses yeux brillaient de fièvre. Elle souriait pourtant, répondait par de petites phrases aux hommes qui l'arrêtaient, qui la complimentaient sur sa pureté d'attitudes, dans les tableaux vivants. Elle laissait derrière elle un sillage d'habits noirs étonnés et charmés de la transparence de sa blouse de mousseline. Quand elle fut arrivée au groupe de femmes qui entouraient Maxime, elle souleva de courtes exclamations, et la marquise se mit à la regarder de la tête aux pieds, d'un air tendre, en murmurant:

- Elle est adorablement faite.

Mme Michelin, dont le costume d'almée devenait horriblement lourd à côté de ce simple voile, pinçait les lèvres, tandis que Mme Sidonie, ratatinée dans sa robe noire de magicienne, murmurait à son oreille:

- C'est de la dernière indécence, n'est-ce pas, ma toute belle?

- Ah! bien, dit enfin la jolie brune, c'est M. Michelin qui se fâcherait si je me déshabillais comme ça!

- Et il aurait raison, conclut la courtière.

La bande des hommes graves n'était pas de cet avis. Ils s'extasiaient de loin. M. Michelin, que sa femme mettait si mal à propos en cause, se pâmait pour faire plaisir à M. Toutin-Laroche et au baron Gouraud, que la vue de Renée ravissait. On complimenta fortement Saccard sur la perfection des formes de sa femme. Il s'inclinait, se montrait très touché. La soirée était bonne pour lui, et, sans une préoccupation qui passait par instants dans ses yeux, lorsqu'il jetait un regard rapide sur sa soeur, il eût paru parfaitement heureux.

- Dites, elle ne nous en avait jamais autant montré, dit plaisamment Louise à l'oreille de Maxime, en lui désignant Renée du coin de l'oeil.

Elle se reprit, et avec un sourire indéfinissable:

- A moi, du moins.

Le jeune homme la regarda, d'un air inquiet, mais elle continuait à sourire, drôlement, comme un écolier enchanté d'une plaisanterie un peu forte.

Le bal fut ouvert. On avait utilisé l'estrade des tableaux vivants, en y plaçant un petit orchestre, où les cuivres dominaient; et les bugles, les cornets à pistons jetaient leurs notes claires dans la forêt idéale, aux arbres bleus. Ce fut d'abord un quadrille: Ah! il a des bottes, il a des bottes, Bastien! qui faisait alors les délices des bastringues. Ces dames dansèrent. Les polkas, les valses, les mazurkas alternèrent avec les quadrilles. Le large balancement des couples allait et venait, emplissait la longue galerie, sautant sous le fouet des cuivres, se balançant au bercement des violons. Les costumes, ce flot de femmes de tous les pays et de toutes les époques, roulait, avec un fourmillement, une bigarrure d'étoffes vives. Le rythme, après avoir mêlé et emporté les couleurs, dans un tohu-bohu cadencé, ramenait brusquement, à certains coups d'archet, la même tunique de satin rose, le même corsage de velours bleu, à côté du même habit noir. Puis un autre coup d'archet, une sonnerie de cornets à pistons poussaient les couples, les faisaient voyager à la file autour du salon, avec des mouvements balancés de nacelle s'en allant à la dérive, sous un souffle de vent qui a brisé l'amarre. Et toujours, sans fin, pendant des heures. Parfois, entre deux danses, une dame s'approchait d'une fenêtre, étouffant, respirant un peu d'air glacé; un couple se reposait sur une causeuse du petit salon bouton d'or, ou descendait dans la serre, faisant doucement le tour des allées. Sous les berceaux de lianes, au fond de l'ombre tiède, où arrivaient les forte des cornets à pistons, dans les quadrilles d' Ohé! les p'tits agneaux et de J'ai un pied qui r'mue, des jupes, dont on ne voyait que le bord, avaient des rires languissants.

Quand on ouvrit la porte de la salle à manger, transformée en buffet, avec des dressoirs contre les murs et une longue table au milieu, chargée de viandes froides, ce fut une poussée, un écrasement. Un grand bel homme, qui avait eu la timidité de garder son chapeau à la main, fut si violemment collé contre le mur, que le malheureux chapeau creva avec une plainte sourde. Cela fit rire. On se ruait sur les pâtisseries et les volailles truffées, en s'enfonçant les coudes dans les côtes, brutalement. C'était un pillage, les mains se rencontraient au milieu des viandes, et les laquais ne savaient à qui répondre au milieu de cette bande d'hommes comme il faut, dont les bras tendus exprimaient la seule crainte d'arriver trop tard et de trouver les plats vides. Un vieux monsieur se fâcha parce qu'il n'y avait pas de bordeaux et que le champagne, assurait-il, l'empêchait de dormir.

- Doucement, messieurs, doucement, disait Baptiste de sa voix grave. Il y en aura pour tout le monde.

Mais on ne l'écoutait pas. La salle à manger était pleine, et les habits noirs inquiets se haussaient à la porte. Devant les dressoirs, des groupes stationnaient, mangeant vite, se serrant. Beaucoup avalaient sans boire, n'ayant pu mettre la main sur un verre. D'autres, au contraire, buvaient, en courant inutilement après un morceau de pain.

- Ecoutez, dit M. Hupel de la Noue, que les Mignon et Charrier, las de mythologie, avaient entraîné au buffet, nous n'aurons rien si nous ne faisons pas cause commune... C'est bien pis aux Tuileries, et j'y ai acquis quelque expérience... Chargez-vous du vin, je me charge de la viande.

Le préfet guettait un gigot. Il allongea la main, au bout d'un moment, dans une éclaircie d'épaules, et l'emporta tranquillement, après s'être bourré les poches de petits pains. Les entrepreneurs revinrent de leur côté, Mignon avec une bouteille, Charrier avec deux bouteilles de champagne; mais ils n'avaient pu trouver que deux verres ; ils dirent que ça ne faisait rien, qu'ils boiraient dans le même. Et ces messieurs soupèrent sur le coin d'une jardinière, au fond de la pièce. Ils ne retirèrent pas même leurs gants, mettant les tranches toutes détachées du gigot dans leur pain, gardant les bouteilles sous leur bras. Et, debout, ils causaient, la bouche pleine, écartant leur menton de leur gilet, pour que le jus tombât sur le tapis.