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Maxime avait encore pu réunir un souper très confortable. Louise adorait les nougats aux pistaches, dont une assiette pleine était restée sur le haut d'un buffet. Ils avaient devant eux trois bouteilles de champagne entamées.

- Papa est peut-être parti, dit la jeune fille.

- Tant mieux! répondit Maxime, je vous reconduirai.

Et, comme elle riait:

- Vous savez que, décidément, on veut que je vous épouse. Ce n'est plus une farce, c'est sérieux...

Qu'est-ce que nous ferons donc, quand nous allons être mariés?

- Nous ferons ce que font les autres, donc!

Cette drôlerie lui avait échappé un peu vite; elle reprit vivement, comme pour la retirer:

- Nous irons en Italie. Ça me fera du bien à la poitrine... Je suis très malade... Ah! mon pauvre Maxime, la drôle de femme que vous allez avoir! Je ne suis pas plus grosse que deux sous de beurre.

Elle souriait, avec une pointe de tristesse, dans son costume de page. Une toux sèche fit monter des lueurs rouges à ses joues.

- C'est le nougat, dit-elle. A la maison, on me défend d'en manger... Passez- moi l'assiette, je vais fourrer le reste dans ma poche.

Et elle vidait l'assiette, quand Renée entra. Elle vint droit à Maxime, en faisant des efforts inouïs pour ne pas jurer, pour ne pas battre cette bossue qu'elle trouvait là, attablée avec son amant.

- Je veux te parler, bégaya-t-elle d'une voix sourde.

Il hésitait, pris de peur, redoutant un tête-à-tête.

- A toi seul, tout de suite, répétait Renée.

- Allez donc, Maxime, dit Louise avec son regard indéfinissable. Vous tâcherez, en même temps, de retrouver mon père. Je l'égare à chaque soirée.

Il se leva, il essaya d'arrêter la jeune femme au milieu de la salle à manger, en lui demandant ce qu'elle avait de si pressé à lui dire. Mais elle reprit entre ses dents:

- Suis-moi, ou je dis tout devant le monde!

Il devint très pâle, il la suivit avec une obéissance d'animal battu. Elle crut que Baptiste la regardait; mais, à cette heure, elle se souciait bien des regards clairs de ce valet! A la porte, le cotillon la retint une troisième fois.

- Attends, murmura-t-elle. Ces imbéciles n'en finiront pas.

Et elle lui prit la main pour qu'il n'essayât pas de s'échapper.

M. de Saffré plaçait le duc de Rozan, le dos contre le mur, dans un angle du salon, à côté de la porte de la salle à manger. Il mit une dame devant lui, puis un cavalier dos à dos avec la dame, puis une autre dame devant le cavalier, et cela à la file, couple par couple en long serpent. Comme des danseuses causaient, s'attardaient:

- Voyons, mesdames, cria-t-il, en place pour les « Colonnes ».

Elles vinrent, les « colonnes » furent formées. L'indécence qu'il y avait à se trouver ainsi prise, serrée entre deux hommes, appuyée contre le dos de l'un, ayant devant soi la poitrine de l'autre, égayait beaucoup les dames. Les pointes des seins touchaient les parements des habits, les jambes des cavaliers disparaissaient dans les jupes des danseuses, et, quand une gaieté brusque faisait pencher une tête, les moustaches d'en face étaient obligées de s'écarter, pour ne pas pousser les choses jusqu'au baiser. Un farceur, à un moment, dut donner une légère poussée; la file se raccourcit, les habits entrèrent plus profondément dans les jupes; il y eut de petits cris, et des rires, des rires qui n'en finissaient plus. On entendit la baronne de Meinhold dire: « Mais, monsieur, vous m'étouffez; ne me serrez pas si fort! » ce qui parut si drôle, ce qui donna à toute la file un accès d'hilarité si fou, que les « colonnes », ébranlées, chancelaient, s'entrechoquaient, s'appuyaient les unes sur les autres, pour ne pas tomber. M. de Saffré, les mains levées, prêt à frapper, attendait. Puis il frappa. A ce signal, tout d'un coup, chacun se retourna. Les couples qui étaient face à face, se prirent à la taille, et la file égrena dans le salon son chapelet de valseurs.

Il n'y eut que le pauvre duc de Rozan qui, en se tournant, se trouva le nez contre le mur. On se moqua de lui.

- Viens, dit Renée à Maxime.

L'orchestre jouait toujours la valse. Cette musique molle, dont le rythme monotone s'affadissait à la longue, redoublait l'exaspération de la jeune femme. Elle gagna le petit salon, tenant Maxime par la main; et, le poussant dans l'escalier qui allait au cabinet de toilette.

- Monte, lui ordonna-t-elle.

Elle le suivit. A ce moment, Mme Sidonie, qui avait rôdé toute la soirée autour de sa belle-soeur, étonnée de ses promenades continuelles à travers les pièces, arrivait justement sur le perron de la serre. Elle vit les jambes d'un homme s'enfoncer au milieu des ténèbres du petit escalier. Un sourire pâle éclaira son visage de cire, et, retroussant sa jupe de magicienne pour aller plus vite, elle chercha son frère, bouleversant une figure du cotillon, s'adressant aux domestiques qu'elle rencontrait. Elle trouva enfin Saccard avec M. de Mareuil, dans une pièce contiguë à la salle à manger, et que l'on avait transformée provisoirement en fumoir. Les deux pères parlaient de dot, de contrat. Mais, quand sa soeur lui eut dit un mot à l'oreille, Saccard se leva, s'excusa, disparut.

En haut, le cabinet de toilette était en plein désordre. Sur les sièges traînaient le costume de la nymphe Echo, le maillot déchiré, des bouts de dentelle froissés, des linges jetés en paquet, tout ce que la hâte d'une femme attendue laisse derrière elle. Les petits outils d'ivoire et d'argent gisaient un peu partout; il y avait des brosses, des limes tombées sur le tapis; et les serviettes encore humides, les savons oubliés sur le marbre, les flacons laissés débouchés mettaient, dans la tente couleur de chair, une odeur forte, pénétrante. La jeune femme, pour enlever le blanc de ses bras et de ses épaules, s'était trempée dans la baignoire de marbre rose, après les tableaux vivants. Des plaques irisées s'arrondissaient sur la nappe d'eau refroidie.

Maxime marcha sur un corset, faillit tomber, essaya de rire. Mais il grelottait devant le visage dur de Renée. Elle s'approcha de lui, le poussant, disant à voix basse:

- Alors tu vas épouser la bossue?

- Mais pas le moins du monde, murmura-t-il. Qui t'a dit cela?

- Eh! ne mens pas, c'est inutile...

Il eut une révolte. Elle l'inquiétait, il voulait en finir avec elle.

- Eh bien, oui, je l'épouse. Après?.... Est-ce que je ne suis pas le maître?

Elle vint à lui, la tête un peu baissée, avec un rire mauvais, et, lui prenant les poignets:

- Le maître! toi, le maître!... Tu sais bien que non. C'est moi qui suis le maître. Je te casserais les bras, si j'étais méchante; tu n'as pas plus de force qu'une fille.

Et, comme il se débattait, elle lui tordit les bras, de toute la violence nerveuse que lui donnait la colère. Il poussa un faible cri. Alors elle le lâcha, en reprenant: