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Antoine haussa les épaules et se dirigea vers le meuble où l’on rangeait les bouteilles et se servit un verre de vin.

— Ce n’est pas la première fois ! Leurs brouilles ne se comptent plus mais il revient toujours à elle, plus amoureux que jamais !

— Eh bien, cette fois, cela m’étonnerait qu’il revienne.

— Pas moi... ni elle d’ailleurs ! Elle m’a reçu avec une grâce infinie, m’a même invité à revenir en me disant qu’elle serait toujours enchantée de me recevoir.

— Dans son lit, par exemple ? fit Thomas, goguenard. Je gagerais tout ce que tu voudras que tu lui plais...

Outré, Antoine se leva et reprit son chapeau :

— Que cela te convienne ou non, je retournerai la voir ! Mais, en attendant, je vais essayer de me tirer d’affaire tout seul.

— Où vas-tu ?

— Chez Giovanetti ! Il faut que je parle à cette fille avant que l’on nous mette face à face chez le Roi où je serai pieds et poings liés !

— As-tu une idée de l’heure qu’il est ?

— Aucune importance ! Un ambassadeur doit se tenir prêt à recevoir des messagers à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.

Il allait claquer la porte en sortant mais Thomas se précipita :

— Je t’accompagne ! Ne fût-ce que pour t’empêcher de faire de trop grosses bêtises !

Un quart d’heure plus tard, Antoine agitait la cloche du logis et, à la voix ensommeillée qui lui répondit, les annonça comme des officiers du Roi désirant s’entretenir en urgence avec Son Excellence !

Le portail s’ouvrit devant leurs chevaux. Guidés par un valet muni d’un flambeau, ils se retrouvèrent bientôt dans un cabinet convenablement meublé mais dans un style assez impersonnel pour convenir aux occupants successifs de l’hôtel... Filippo Giovanetti les y rejoignit peu après. Il était encore en tenue de voyage et visiblement peu satisfait de cette visite intempestive :

— Monsieur de Sarrance ? Monsieur de Courcy ? Puis-je demander ce qui vous amène à une heure aussi tardive ? J’arrive de voyage...

— Je sais, dit Thomas, je soupais à la Ronce Couronnée et je l’ai remarqué. D’abord, veuillez nous pardonner cette incursion bien peu protocolaire mais mon ami ici présent a quelque chose d’important à vous dire avant que vous ne voyiez le Roi.

— Serait-il devenu subitement muet pour vous confier le soin de parler pour lui ? fit l’ambassadeur avec une nuance de mépris qui n’échappa pas à Antoine, lequel répondit :

— Nullement, Excellence ! Mais c’est Courcy qui a été témoin de votre entrée ici escortant un carrosse et c’est au sujet de la personne qui se trouvait à l’intérieur que j’avais si grande hâte de vous rencontrer !

— Continuez ! L’encouragea Giovanetti dans l’œil duquel une étincelle de gaieté venait de s’allumer.

— Je sais qu’à la demande de Sa Majesté la Reine vous avez pris la peine de retourner à Florence afin d’en ramener une demoiselle que... qui me serait destinée en mariage. Or, avant que l’on nous présente l’un à l’autre, devant le Roi, la Reine ou les deux ensemble, j’ai tenu à venir au plus tôt vous apprendre que l’on prétend me contraindre à une union qui ne peut que me déplaire pour la raison que je suis épris d’une autre demoiselle et qu’elle a bien voulu se promettre à moi ! Mon père ne veut rien entendre... Le Roi non plus d’ailleurs et, voulant éviter à tout prix de blesser publiquement une personne venue de si loin, je pense que le mieux pour tout le monde serait que le refus émane d’elle. Nous ne nous sommes jamais vus et il n’y a aucune raison pour que je lui plaise...

N’ayant pas l’habitude des longs discours, il s’arrêta pour reprendre son souffle. Le diplomate se détourna pour cacher son envie de rire et toussota deux ou trois fois :

— Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il y avait une demoiselle dans la voiture ?

— Courcy l’a aperçue. Elle semblait fort mécontente et...

— Il vous l’a décrite ?

— Non, Monsieur, pas du tout !

— Pourquoi n’en avoir rien fait, monsieur de Courcy ?

— Pardonnez-moi mais je pensais que... ce n’était pas la peine, du moment que Sarrance refusait d’épouser. Pourquoi offenser inutilement ? ajouta-t-il sur un ton vague. Cette personne était seule dans le carrosse et vous l’avez appelée « Madonna Davanzati »...

— Évidemment ! Eh bien, Messieurs, vous avez fort bien fait de vous confier à moi. Je vais rapporter votre visite... et vos sentiments à donna Lorenza et nous verrons ensemble quelle conduite adopter pour ne pas déplaire à Leurs Majestés ! Je vous donne le bonsoir !

— Je ne saurai jamais assez-vous remercier, Excellence ! dit Antoine, soulagé. Vous me rendez la vie !

— J’essaierai, Monsieur, j’essaierai !

En allant reprendre son cheval, Antoine se sentait rasséréné. Son père serait sans doute furieux mais lui, au moins, aurait droit à la douce existence dont il rêvait auprès de sa tendre amie ! Et cette démarche avait été si facile ! Ce Florentin était vraiment un brave homme...

— Au fait ! dit-il soudain à Thomas. Pourquoi t’a-t-il demandé si tu m’avais décrit la voyageuse ? Elle est si belle que cela ?

— Tout le contraire ! C’est une virago qui doit être aussi large que haute. Elle est laide comme le péché et certainement plus mûre qu’on ne le prétend. Ce qui devrait expliquer pourquoi la plus grosse fortune florentine après celle des Médicis n’ait pas encore trouvé preneur ! Si Giovanetti avait refusé de t’entendre, je t’aurais prévenu...

— C’est quand même bizarre ! Si elle est la filleule de la Reine, elle ne devrait pas avoir plus de... voyons ! Marie de Médicis a dans les trente-six ans...

— On peut être marraine au berceau ! Cela se fait chez les princes...

Courcy renifla et prit un air inspiré :

— Qu’est-ce que la beauté au fond sinon une vue de l’esprit ? On peut être séduisante pour quelqu’un et déplaire profondément à quelqu’un d’autre. Comme dit le proverbe : « Des goûts et des couleurs on ne peut discuter ! »

— Je ne peux que te donner raison bien qu’il y ait une limite.

— Très juste ! Et, à ce propos, tu ne devrais pas te réjouir trop vite.

— Pourquoi ?

— Rien ne dit qu’elle acceptera de rentrer benoîtement chez elle avec son magot ? Tu pourrais lui plaire, toi ? Tu es loin d’être vilain, mon bon !

— N’exagérons rien. Je ne suis pas Apollon et, comme tu viens de le dire : « Des goûts et des couleurs... » Ne t’inquiète pas, je ferai en sorte d’être aussi malgracieux que possible !

Ils cheminèrent encore un moment en silence puis Thomas lâcha un soupir et déclara en guise de conclusion :

— On verra ! Pour l’instant, allons dormir. Toi, je ne sais pas mais, moi, je meurs de sommeil !

Cependant, à l’hôtel des ambassadeurs, on avait observé leur départ et, quand Giovanetti remonta l’escalier, il découvrit Lorenza debout près d’une fenêtre donnant sur la cour. Les bras croisés sur la poitrine, retenant les plis d’une sorte de dalmatique de soie blanche dans une attitude qui lui était familière, la masse soyeuse de ses cheveux répandus sur ses épaules, elle le regarda gravir les dernières marches.

— Lequel était-ce ? demanda-t-elle. Le lion ou le loup ?

Filippo se mit à rire. Elle était bien une fille d’Eve, mère de la curiosité, et il ne chercha pas à finasser. Restait à savoir si elle avait écouté la conversation.

— Le loup ! Vous devriez le savoir si vous nous avez entendus ?

Elle eut un sourire de dédain :

— J’ai ouï les noms quand vous les avez rejoints mais je n’ai pas coutume d’espionner... et je comptais sur vous pour m’enseigner. Que voulaient-ils ?